Pour créer un bon impôt, il faudrait régler l'éternel problème de la quadrature du cercle ; l'impôt doit être rentable, simple à prélever tout en étant le plus neutre possible sur le plan économique et être socialement accepté. À l'évidence, notre architecture fiscale, telle qu'elle s'est façonnée au fil des années et au gré des majorités et des conjonctures, s'est éloignée à certains égards de ces objectifs.
Parallèlement, pour retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi et face à l'ampleur de notre déficit public et de notre endettement, c'est cette architecture qu'il convient de repenser, de simplifier et d'optimiser.
Je voudrais souligner au préalable toute la cohérence d'une méthode qui n'agit pas sur le montant des prélèvements, mais sur leur structure même, afin de les rendre plus efficaces et plus favorables à l'activité et à la croissance. Cette méthode redonne de la simplicité et de la stabilité à un système d'imposition devenu trop complexe.
En vous attaquant aussi bien à l'ISF qu'au bouclier fiscal, aux plus-values ou encore aux donations et transmissions de gros patrimoines, c'est vers plus de cohérence que vous orientez notre édifice fiscal.
En effet, l'ISF est devenu un impôt confiscatoire, c'est-à-dire excessivement élevé, inéquitable mais aussi, chacun le reconnaît, contre-productif pour l'État car engendrant nécessairement des stratégies d'évitement. Je regrette d'ailleurs qu'aujourd'hui ce soient les musées et les oeuvres d'art qui risquent d'en souffrir.
L'ISF, du fait de son barème progressif et de son taux marginal de 1,8 %, était devenu au fil des années destructeur de richesses en obligeant les contribuables à se séparer de leur patrimoine afin d'acquitter l'impôt, voire à s'expatrier. Nous ne pouvons que nous réjouir du changement du barème ; à partir de 2012, il y aura donc deux taux : 0,25 % entre 1,3 million et 3 millions d'euros, puis 0,5 % au-delà de 3 millions d'euros, malgré les insuffisances – cela a déjà été souligné – d'une taxation au premier euro.
La réduction des taux permettra de faire sortir de l'imposition sur la fortune les 300 000 foyers qui y sont entrés depuis dix ans, essentiellement à cause de la flambée des prix de l'immobilier.
En revanche, je regrette que la question des biens professionnels n'ait pas été suffisamment traitée. Pour bénéficier de l'exonération de l'outil professionnel, il faut détenir 25 % du capital de l'entreprise et occuper des fonctions dirigeantes. Ce dispositif, même s'il a été aménagé, constitue un frein à l'ouverture du capital et pose des problèmes pour l'organisation des successions – Michel Bouvard a, je crois, évoqué ce problème tout à l'heure. La France aurait peut-être tout intérêt, en la matière, à instituer un régime de fiducie ou de trustees qui permet en toute franchise fiscale de transférer la propriété de son entreprise à des structures de gestion dans lesquelles les héritiers et les autres actionnaires sont représentés.
Votre décision de compenser la baisse des recettes de l'ISF par un alourdissement de la taxation sur les grosses transmissions de patrimoine va dans le bon sens, bien sûr, dans la mesure où vous reportez la charge sur la même catégorie de contribuables, sans mettre à contribution des non-assujettis à l'ISF. C'est d'ailleurs dans cette même logique et dans ce même souci de cohérence que vous supprimez le bouclier fiscal.
À ce sujet, je voudrais souligner que l'idée du plafonnement du montant des impôts à 50 % des revenus, comme en Allemagne, relevait évidemment du bon sens. Mais la question fiscale est avant tout affaire de symbole, particulièrement en matière de patrimoine. Peut-être aurait-il mieux valu alors que l'administration fiscale calcule, bouclier compris, le montant de l'impôt dû, et non pas celui de la restitution.
J'en viens à la création de l'exit tax de 19 % qui s'appliquera lors de la cession de titres pour les résidents qui quittent la France. Cette taxe s'appliquera au moment de la vente des titres et non pas au moment du départ. Le seuil de cession de 25 830 euros ayant été supprimé par la loi de finances pour 2011, cette exit tax restera plus avantageuse que la cession de titres en tant que résident avant le départ, puisque les prélèvements sociaux – de 12,3 % au 1er janvier 2011 – ne seront pas appliqués ; les non-résidents sont exonérés de prélèvements sociaux quel que soit l'impôt.
Je tiens à préciser que ce projet de loi ne remet pas en cause l'exonération des plus-values sur titres au bout de huit ans, ce qui devrait rassurer les acteurs économiques.
Il s'agit, par cette taxe, de faire contribuer certaines personnes ayant accumulé des plus-values latentes pendant la durée de leur séjour en France et d'illustrer de la sorte un devoir de solidarité avec la collectivité dans un contexte économique contraint. À cet égard, l'équilibre trouvé est nettement plus satisfaisant que la solution, parfois proposée, consistant à assujettir à l'impôt en France tous les nationaux français.
Je conclurai, comme Jean-Pierre Brard tout à l'heure, par une citation : « L'extrême richesse, comme l'extrême pauvreté, peuvent avoir ce résultat fâcheux de rompre le lien qui unit l'individu à la communauté, et qui les unit entre eux. » Cette phrase d'un prix Nobel de littérature du milieu du XXe siècle résonne particulièrement au moment où, tous, ici, nous appréhendons la fiscalité comme un puissant levier de justice sociale.