Mon intervention portera principalement sur la réforme de la fiscalité du patrimoine. Pour en comprendre l'économie, il faut avant tout se rendre compte que, dans les faits, le bouclier fiscal n'est pas supprimé, mais que ses effets bénéficieront davantage aux assujettis à l'ISF et moins aux autres.
C'est en effet l'allégement massif de l'ISF qui constitue le véritable coeur de la réforme. Cet allégement représente une baisse d'impôts que le Gouvernement chiffre à l,857 milliard d'euros. Pour la financer, ce dernier compte en premier lieu sur le surcroît de recettes qu'occasionnera la suppression du bouclier. Le résultat est donc clair : même si l'existence juridique du bouclier disparaît, les contribuables concernés, dans leur ensemble, ne paieront pas plus. D'une certaine façon, le bouclier est dissous dans le nouvel ISF : la baisse d'impôt est toujours là, même si elle n'est plus visible dans le code général des impôts. Non seulement le bouclier n'est pas supprimé, mais il est, en réalité, modifié de façon à bénéficier davantage aux plus riches et moins aux plus pauvres.
Que se passe-t-il, en effet, si l'on raisonne en distinguant les contribuables en fonction de leur richesse ?
D'abord, les assujettis à l'ISF bénéficiant du bouclier sont, dans l'ensemble, gagnants, du fait de l'allégement de l'ISF.
Prenons l'exemple d'une personne disposant d'un patrimoine important et bénéficiant aujourd'hui du bouclier fiscal. L'essentiel de ses revenus sont des revenus du patrimoine, généralement soumis au prélèvement forfaitaire libératoire – c'est-à-dire 19 % –, auquel s'ajoutent 12 % de prélèvements sociaux. Si l'on estime les impôts locaux à quelque 4 % de ces revenus, ce qui est très correct, on atteint un taux d'imposition total de 35 %. Il faut donc, pour qu'un contribuable perde à la réforme, que son nouvel ISF, soit 0,5 % du patrimoine, représente plus de 15 % des revenus produits par ce patrimoine, c'est-à-dire que le rendement moyen de son patrimoine soit inférieur à 3,33 %.
Quand on compare ce taux de 3,33 % – avant impôts – à celui de placements sans risques, tels que l'assurance-vie, les bons d'État, les livrets bancaires, et quand on sait de quels conseils peuvent bénéficier ces contribuables, on comprend bien que, sauf à utiliser des niches pour minorer artificiellement son revenu imposable, il faut, pour être perdant à la réforme quand on est bénéficiaire du bouclier au titre de I'ISF, ne pas savoir placer correctement son argent...
Qu'en est-il, en revanche, des contribuables qui bénéficient du bouclier du seul fait que les impôts locaux qu'ils payent représentent une part importante de leur revenu ? Pour eux, le Gouvernement a prévu un dispositif de plafonnement de la taxe foncière à 50 % du revenu. Or, de deux choses l'une.
Soit la taxe foncière est inférieure ou égale à 50 % du revenu, et dans ce cas, le contribuable concerné ne bénéficie plus d'aucun plafonnement : il doit acquitter l'ensemble de ses impôts, alors que ce n'était pas le cas auparavant. Il est donc perdant.
Soit sa taxe foncière est supérieure à 50 % de son revenu, et son montant est plafonné à ce niveau. Mais, dans ce cas, il doit tout de même payer, en plus de ces 50 %, les autres impôts directs auxquels il est assujetti, tels que les prélèvements sociaux ou le ticket modérateur de taxe d'habitation, alors qu'il n'avait pas à le faire avant la réforme : il est donc, dans ce cas aussi, perdant.
Ainsi, tous les contribuables qui bénéficient aujourd'hui du bouclier fiscal sans être redevables de l'ISF, c'est-à-dire ceux que le Gouvernement a si souvent mis en avant comme alibi au bouclier fiscal, sont nécessairement perdants à la réforme, s'ils sont redevables d'un autre impôt direct que la taxe foncière ; dans le cas contraire, la réforme est simplement neutre pour eux.
Il est particulièrement choquant que la préoccupation première du Gouvernement – et, malheureusement, d'une grande partie de la majorité – semble être de ne pas faire de perdants parmi les assujettis à l'ISF : « Nos calculs nous permettent d'affirmer avec sérénité que la modification des tranches et des pourcentages ne fait pas de perdants », avez-vous déclaré, monsieur le ministre, devant notre commission des finances.
Enfin, le bouclier fiscal est élargi à d'autres contribuables qui n'en bénéficiaient pas jusqu'à présent.
Le nouvel ISF light mis en place ne se contente pas de maintenir ou d'élargir le bouclier fiscal pour la quasi-totalité de ses bénéficiaires aisés. Il bénéficie aussi, et principalement, à ceux qui n'en profitaient pas jusqu'à présent, c'est-à-dire précisément à ceux pour qui l'impôt n'était pas – je reprends à dessein la terminologie du Gouvernement – « confiscatoire », alors même qu'éviter cette « confiscation » est la justification principale de la réforme.
En outre, le bénéfice de cette baisse d'impôt – en valeur absolue, bien sûr, mais aussi en proportion – augmente avec le patrimoine, comme l'a remarqué notre collègue Hervé Mariton. Ce mouvement n'est contrarié que par l'existence de trois tranches – une à 0 %, une autre à 0,25 % et une troisième à 0,5 % – et par les mécanismes de décote en découlant. Mais à l'intérieur d'une même tranche, quand on compare, par exemple, l'imposition d'un patrimoine de 1,4 million d'euros à celle de 3 millions d'euros, ou celle de 16,48 millions à celle de 3,2 millions, on voit bien que la baisse d'impôt croît avec le patrimoine. C'est la conséquence du choix d'un barème s'appliquant au premier euro, et non d'un barème par tranches qui aurait permis de mettre en place une réelle progressivité.
Ce refus d'un barème progressif est un indice très clair de la volonté gouvernementale de faire bénéficier de cette réforme non seulement les assujettis à l'ISF, mais aussi, parmi ceux qui ne bénéficiaient pas du bouclier fiscal, les plus gros patrimoines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)