Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy a pour objectif de priver les délinquants du bénéfice des infractions commises et, dans certains cas, de saisir l'ensemble de leur patrimoine. Elle vise à combler les lacunes du droit pénal afin de lutter plus efficacement contre les trafics et de dissuader leurs auteurs en saisissant leurs biens.
Il est vrai que les articles 54 et 94 du code de procédure pénale permettant la saisie ne concernent que les biens mobiliers utiles à la manifestation de la vérité, c'est-à-dire les pièces à conviction. L'article 97, relatif aux objets placés sous main de justice en cas d'ouverture d'une information judiciaire, ne vise, quant à lui, que les seuls biens utiles à l'enquête et n'organise pas de procédure spécifique de saisie pénale. En l'état actuel du droit la saisie immobilière et patrimoniale est donc particulièrement compliquée en matière pénale.
Pour pallier ces manques, le texte nous propose, dans un premier temps, d'étendre le champ des biens susceptibles d'être saisis dès le stade de l'enquête et de l'instruction, en développant les possibilités de saisie patrimoniale. Cette disposition vise à empêcher la dissipation des actifs et à rendre effectives les peines de confiscation pouvant être ordonnées au moment du jugement.
Il propose également de créer une procédure de saisie pénale applicable aux biens immeubles, aux biens incorporels ainsi qu'aux saisies sans dépossession, plus adaptée au cadre pénal que les procédures de nature civile.
Enfin, la proposition de loi tend à améliorer la gestion des biens saisis et les conditions d'exécution des confiscations.
Le texte de la commission, dans un article additionnel après l'article 3, institue une Agence de gestion des biens saisis et confisqués, avec l'ambition d'éviter le gaspillage de l'argent public ainsi que celui de l'énergie des magistrats.
La commission a ajouté des dispositions visant à favoriser la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation et à transposer la décision cadre du 6 octobre 2006 sur l'exécution des décisions de confiscation dans l'Union européenne.
Ces propositions nous satisfont et nous les approuvons. Elles entendent donner sens au proverbe populaire « bien mal acquis ne profite jamais ». On ne saurait, en effet, accepter que les délinquants puissent tirer bénéfice d'une possession obtenue illégalement et il appartient au législateur de donner à la justice les moyens de l'en empêcher.
Cela dit, il n'a échappé à personne que cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte général qui réprime sévèrement la petite délinquance mais se montre bien plus indulgente envers la délinquance en col blanc. Les peines de prison ferme frappant les délinquants des affaires sont, en effet, rarissimes en France, alors que la criminalité économique et financière prospère. Si le populisme pénal se satisfait facilement de la tolérance zéro appliquée à la délinquance de droit commun, il est moins regardant en matière de délinquance économique et financière.
Comme si le vieil adage cité plus haut – bien mal acquis ne profite jamais – devait être complété par tout dépend par qui ce bien a été mal acquis !
Les propos du Président de la République au cours de l'université d'été du MEDEF de 2007 ne laissent aucun doute à ce sujet : « La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur. [...] Comment comprendre que, dans les cas qui ne mettent en cause que des intérêts privés » – excusez le peu ! – « et pécuniaires, il puisse encore être fait recours au droit pénal ? »
Comme si des affaires mettant en jeu des sommes souvent considérables, toujours au détriment de la société, n'étaient guère plus graves que le vol d'un scooter.
On se souvient que le Président de la République avait alors soulevé les applaudissements d'un parterre de chefs d'entreprise conduits par Laurence Parisot, présidente du MEDEF, en répondant favorablement à plusieurs de leurs demandes majeures, demandes qui ont été à l'origine de la mise en place par Mme la garde des sceaux de la commission Coulon sur la dépénalisation du droit des affaires. Les propositions de cette commission sont effarantes en ce sens qu'elles entendent créer des procédures d'exception au profit de la délinquance économique et financière :
Allégement de la répression de la récidive des personnes morales alors que, dans le même temps, celle des délinquants récidivistes de droit commun est alourdie.
Création d'un tribunal d'exception pour statuer en matière d'infractions boursières, composé de deux assesseurs supplémentaires désignés par arrêté conjoint des ministres de l'économie et des finances et de la justice, ce qui permet au Gouvernement de composer directement les juridictions statuant sur les enjeux financiers majeurs.
Homologation par le parquet, qui dépend hiérarchiquement du garde des sceaux, des transactions proposées par le conseil de la concurrence.
Développement, au bénéfice des personnes morales, des procédures de jugement en catimini par le plaider coupable ou la composition pénale, empêchant tout véritable débat public et contradictoire.
Le plus préoccupant reste la proposition de modification des règles de prescription pour les délits, comme l'abus de biens sociaux, modification qui a pour but d'interdire toute action pénale lorsque se révèlent tardivement les conséquences gravement dommageables d'infractions facilement dissimulables.
Pourtant, le pénal financier agit comme le dernier garde-fou. La justice n'intervient qu'en bout de chaîne, quand les autres verrous n'ont pas fonctionné. Cette menace est d'autant plus efficace que les nantis, insérés socialement, à la différence des petits délinquants, craignent plus que tout leur mise en cause publique. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que les effectifs des brigades financières de la police judiciaire aient été affaiblis, ni que l'administration, en matière de lutte contre la fraude fiscale, ait été désarmée.
Pourtant, les dégâts issus de la fraude fiscale sont considérables et fort préjudiciables aux finances de notre pays. On estime qu'elle représente une perte de recettes pour la France de 35 à 50 milliards d'euros par an, soit l'équivalent du déficit du budget avant la crise.
De manière plus globale, le Président de la République s'est toujours refusé à traiter la délinquance financière comme une délinquance à part entière, alors qu'elle porte un préjudice considérable à la vie économique du pays, par les fonds détournés, et est contraire à la morale.
C'est ainsi que, comme nous en informait Le Monde dans son édition du 24 mai dernier, le nombre de dossiers confiés par le procureur à des juges d'instruction est brutalement et étrangement passé, entre 2007 et 2008, de 467 à 251 pour l'ensemble des affaires, y compris celles concernant la santé publique et la délinquance astucieuse. Doit-on rappeler que les juges ne peuvent s'autosaisir ? Comme le note M. Van Ruymbeke, « la réforme de la suppression du juge d'instruction a été largement anticipée ».
La chute se révèle, en effet, vertigineuse pour les délits financiers les plus complexes : 21 informations judiciaires ont été ouvertes en 2008, contre 101 en 2006, au pôle financier du tribunal de Paris. Depuis le début de l'année 2009, le procureur de Paris n'a ouvert que six informations.
Les quatorze juges de la section économique et financière savent que leurs jours sont comptés, et l'on peut, avec les plus anciens, regretter la fin d'une époque, celle des grandes affaires politico-financières. C'est pourquoi, d'ailleurs, les magistrats de ce pôle se vivent comme un foyer de résistance contre la suppression du juge d'instruction, ainsi que l'a déclaré l'un d'entre eux.
Voilà, mes chers collègues, ce qui nous préoccupe et nous inquiète.
Le bien mal acquis ne doit profiter à personne, ni aux délinquants des cités, stigmatisés avec force détails, ce qui ne les excuse pas, ni aux délinquants en col blanc, aux délinquants économiques et financiers. Ces derniers sont peut-être plus présentables. Pour autant, méritent-ils autant d'égards ?
Je souhaite, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, que vos réponses viennent apaiser mes inquiétudes et éclairent, demain, le juge quant à la véritable intention du législateur.
Mon vote dépendra de la teneur de vos clarifications. Je confirme nettement mon soutien à l'ensemble des propositions contenues dans ce texte. Il sera adopté, et je m'en réjouirai…