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Intervention de Philippe de Ladoucette

Réunion du 24 mai 2011 à 17h00
Commission des affaires économiques

Philippe de Ladoucette, président de la commission de régulation de l'énergie :

Je vous remercie de m'avoir invité devant les deux commissions pour parler d'un sujet qui a été brûlant il y a quelques mois et qui reste un sujet de préoccupation et d'intérêt. J'essayerai, dans un premier temps, de définir la responsabilité de la CRE dans le domaine des énergies renouvelables. Ensuite, je tracerai quelques perspectives pour le présent et l'avenir, jusqu'en 2020, année d'aboutissement de la programmation pluriannuelle des investissements (PPI), de façon concrète qui transcrit les engagements pris par le Grenelle de l'environnement.

La CRE a deux grandes missions définies par la loi dans le domaine des énergies renouvelables. La première consiste à participer à la mise en place des dispositifs de soutien prévus par la loi, à savoir l'obligation d'achat et les appels d'offres pour les moyens de production, lancés par le ministre chargé de l'énergie. Deux dispositifs qui obligent EDF et les entreprises locales de distribution (ELD) à acheter l'électricité produite à partir des énergies renouvelables à un tarif d'achat fixé pour l'obligation d'achat, ou au prix résultant de l'appel d'offres.

La deuxième mission de la CRE consiste à évaluer les charges supportées par EDF et les ELD qui résultent de ces dispositifs. Dans le cadre de l'obligation d'achat, la CRE donne un avis sur les conditions d'achat de l'électricité, notamment le tarif d'achat. Conformément à la loi, elle doit s'assurer que la rentabilité des projets résultant de ces tarifs est normale, compte tenu des risques inhérents aux projets et de la garantie d'écouler l'intégralité de la production à un tarif déterminé. C'est ainsi que, dès 2006, la CRE avait alerté le Gouvernement sur les tarifs - qu'elle jugeait excessifs - envisagés pour la filière photovoltaïque. Dans le cas particulier du nouveau tarif mis en place en mars pour le photovoltaïque, la CRE devra déterminer chaque trimestre les valeurs des coefficients permettant de fixer les tarifs d'achat pour le trimestre suivant, coefficients dépendant de la puissance cumulée des demandes de raccordement enregistrées au cours du trimestre précédent. Pour ce qui concerne les appels d'offres lancés par le ministre chargé de l'énergie – domaine d'ailleurs aujourd'hui partagé avec le ministre chargé de l'environnement – pour de nouveaux moyens de production à partir d'énergies renouvelables, la CRE est chargée de les organiser : elle rédige un projet de cahier des charges sur la base des conditions fixées par le ministre, répond aux questions des candidats, analyse et classe les offres reçues, et enfin, donne un avis sur le choix des candidats. C'est une délibération du collège qui est adressée au ministre concerné. Le ministre fait ensuite son choix mais celui-ci n'est pas complètement libre : en termes de sécurité juridique, si le ministre ne respecte pas le classement établi par la CRE, il doit être capable de le justifier en cas de contestation d'un candidat non retenu.

Pour les installations photovoltaïques sur toitures de taille intermédiaire (100 à 250 kW), le gouvernement a prévu de lancer des appels d'offres dits automatiques, avec une sélection des offres sur le seul critère du prix. La CRE va développer la plateforme technique nécessaire à un enregistrement simple et rapide des offres, et à leur classement. Ce nouveau type d'appel d'offres nécessite de modifier le cadre réglementaire, ce qui est en cours (décret en Conseil d'État).

L'obligation faite à EDF et aux ELD d'acheter l'électricité produite dans le cadre de ces deux dispositifs les traduit par des charges financières. La CRE est chargée d'évaluer ces charges chaque année pour l'année suivante, tout en incluant la régularisation des charges de l'année précédente. Jusqu'à présent, la CRE doit, avant le 15 octobre, évaluer les charges de l'année N+1 en fonction des prévisions qu'elle peut avoir, mais sans connaître le résultat de l'année N-1. Nous travaillons donc sur des suppositions nous ayant parfois entraîné à donner des estimations. Ce fut le cas pour l'année 2010, en dessous de la réalité.

Ces charges sont compensées par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) payée par l'ensemble des consommateurs finals d'électricité, avec néanmoins des plafonnements pour les grands sites et les sociétés industrielles. Un amendement parlementaire a relevé le plafond de 550 000 euros. Le poids de ce financement n'est pas négligeable mais il est quand même limité pour les entreprises. La CSPE finance également les surcoûts de production dans les DOM et en Corse liés à la péréquation tarifaire, les dispositifs sociaux relatifs à l'électricité, ainsi que le Médiateur National de l'ÉNERGIE, même si ce dernier représente une très faible part du montant total.

C'est le Gouvernement qui, en tant que responsable de la politique énergétique, fixe les objectifs de développement des énergies renouvelables dans un arrêté relatif à la programmation pluriannuelle des investissements. La loi Grenelle I prévoit que la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie doit atteindre 23% en 2020. Dans le plan d'action national en faveur des énergies renouvelables transmis à la Commission européenne en 2010, le Gouvernement indique que l'atteinte de cet objectif se traduit par une part d'énergies renouvelables dans le secteur de l'électricité de 27 %. Elle était de 15,5% en 2010. Les objectifs de puissance installée par filière énergies renouvelables fixés par la programmation pluriannuelle des investissements permettent d'atteindre l'objectif de 27%. Cela nécessite une augmentation sensible de la puissance éolienne installée à terre, qui est d'environ 5 800 MW fin 2010, l'objectif 2020 étant de 19 000 MW. Pour atteindre cet objectif, il faudrait tripler le nombre d'éoliennes présentes sur le territoire français (3 500 à fin 2010).

Pour le photovoltaïque, la puissance installée fin 2010 en métropole continentale est d'environ 900 MW, dont 808 MW sur le réseau d'ERDF. Avec le nouveau dispositif de soutien en place pour le photovoltaïque, qui vise l'installation de 500 MW par an, et compte tenu du nombre de projets en file d'attente, on peut estimer que l'objectif 2020 de 5 400 MW installés devrait être atteint entre les années 2016 et 2017. La puissance installée en 2020 pourrait atteindre 7 000 MW. C'est la seule filière pour laquelle la CRE estime que la France sera en avance par rapport à l'objectif fixé pour 2020. Nous serons légèrement en retard dans les autres filières.

En ce qui concerne la méthodologie de calcul des charges dues aux énergies renouvelables, en métropole continentale, la loi prévoit que les surcoûts d'achat des énergies renouvelables supportés par EDF sont évalués en référence aux prix de marché de gros de l'électricité. Les surcoûts sont donc égaux à la différence entre le prix d'achat de l'électricité par EDF et le prix que cette électricité lui aurait coûté sur le marché de gros. Plus les prix de marché de gros sont élevés, plus les charges baissent. Le calcul des charges est très sensible au prix de marché. Avec le parc installé fin 2010, une hausse du prix de marché moyen de 1 euroMWh induit une baisse des charges dues aux énergies renouvelables d'environ 25 millions d'euros.

Plus les prix de marché de gros sont élevés, plus les charges dues aux énergies renouvelables baissent, mais plus les tarifs réglementés de vente augmentent. En effet, d'après la loi NOME, ces tarifs devront inclure environ 20% de prix de marché.

Le prix de marché de gros moyen sur une année n'évolue pas forcément à la hausse d'une année sur l'autre. Entre 2005 et 2010, il a atteint son minimum en 2007 à 41 eurosMWh et son maximum en 2008 à 69 eurosMWh. En 2010, la moyenne s'élève à 47,5 eurosMWh. Ces fluctuations importantes s'expliquent notamment par la volatilité du prix des matières premières – pétrole, gaz et charbon.

Ce prix de marché moyen est inférieur ou très inférieur au coût d'achat des énergies renouvelables en 2010, qui s'établit en moyenne à 82 eurosMWh, et varie entre 60 eurosMWh pour l'hydraulique et 537 eurosMWh pour le photovoltaïque, en passant par 84 eurosMWh pour l'éolien et 98 eurosMWh pour la biomasse.

Dans les DOM et en Corse, le surcoût des énergies renouvelables, qui est dû à la péréquation tarifaire, est calculé par rapport à la part production dans les tarifs réglementés de vente. Dans ces zones, appelées zones non interconnectées ou ZNI, le coût d'achat des énergies renouvelables, excepté pour le photovoltaïque, est plus faible que le coût de production moyen d'EDF. Ces filières y sont donc intéressantes d'un point de vue économique.

Toutefois, pour assurer la sécurité des réseaux, la puissance des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) dans ces zones ne doit pas dépasser 30% de la puissance totale appelée.

En octobre 2010, la CRE a évalué les charges dues aux énergies renouvelables constatées au titre de 2009 et prévisionnelles au titre de 2011.

En 2011, la production à partir d'énergie renouvelable bénéficiant d'un dispositif de soutien en métropole continentale devrait s'élever à 26 TWh, soit environ 4,5% de la production prévisionnelle totale pour 2011.

Les charges prévisionnelles au titre de 2011 dues aux énergies renouvelables – métropole + ZNI – sont les suivantes pour les principales filières :

– le photovoltaïque: 998 millions d'euros

– l'éolien : 413 millions d'euros

– l'hydraulique : 68 millions d'euros

– la biomasse : 53 millions d'euros

– le biogaz : 33 millions d'euros

Les charges prévisionnelles dues aux énergies renouvelables en 2011 représentent au total 1 567 millions d'euros, soit presque trois fois les charges constatées en 2009.

Par ailleurs, la CRE a établi un outil de prévision des charges dues aux énergies renouvelables à l'horizon 2020. Il est fondé sur un scénario de développement du parc énergies renouvelables qui permet d'atteindre les objectifs PPI pour toutes les filières et les dépasse pour le photovoltaïque.

Cet outil repose sur un certain nombre d'autres hypothèses, en particulier l'évolution des prix de marché à l'horizon 2020. Dans un contexte très incertain sur l'évolution des prix du pétrole et du gaz, nous avons considéré une évolution des prix de marché de 4% par an, soit environ l'inflation + 2 %.

Le prix de marché moyen atteint en 2020 est de 82 eurosMWh, ou encore 70 eurosMWh en euros 2011, soit un peu moins que le prix de marché moyen le plus élevé, constaté en 2008, année où le prix du pétrole a atteint son plus haut niveau. Cela nous semble une hypothèse raisonnable mais l'on peut aussi se tromper complètement.

Les montants de charges que je vais évoquer ne sont à considérer qu'au regard de ces hypothèses. Voici le détail des charges en 2020 pour les principales filières :

– 2 294 millions d'euros pour le photovoltaïque,

– 576 millions d'euros pour l'éolien à terre,

– 2 474 millions d'euros pour l'éolien en mer,

– 1 084 millions d'euros pour la biomasse,

– et 344 millions d'euros pour le biogaz.

Au total dans le scénario étudié, les charges annuelles dues aux énergies renouvelables s'élèvent en 2020 à 6 700 millions d'euros, représentant 90 euros TTC sur la facture d'un client type avec un tarif base, et 170 euros TTC sur la facture d'un client type chauffage électrique, (environ 11 % de la facture).

Je répondrai à présent aux questions qui ont été posées. S'agissant de l'éolien off shore, nous sommes heureux d'apprendre que les industriels français sont satisfaits du cahier des charges, car nous ne le connaissons pas. Nous l'attendons avec intérêt mais nous n'en avons pas encore été saisis. Nous avons eu des esquisses des scénarios mais nous attendons la saisine officielle.

Vous m'avez demandé si nous aurons des tarifs d'électricité toujours croissants : c'est un sujet récurrent. Je me garderai bien de donner une réponse définitive. Mais je vois mal comment les prix pourraient baisser dans les années qui viennent, étant donné que l'on a des investissements à faire sur les réseaux de transport et de distribution, dans les moyens de production, sur la sécurité nucléaire, conséquence éventuelle de l'accident de Fukushima. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a fixé un prix de l'ARENH de 42 eurosMWh à partir du 1er janvier 2012. Enfin, la CSPE n'est pas en voie de diminution. Cette augmentation globale est donc la conséquence de choix qui ont été faits en matière d'énergies renouvelables, mais aussi de la nécessité d'investir dans les réseaux et dans les moyens de production. Il n'est pas évident de voir comment les prix de l'électricité diminueraient.

Vous m'avez demandé si l'on allait vers un marché européen de l'électricité : les Échos publient aujourd'hui un article assez pessimiste sur le sujet. Or, c'est la raison d'être de la Commission de régulation de l'énergie. Peut-être que cela ne se passera pas comme nous l'avions imaginé au départ. Les événements récents en matière nucléaire illustrent la nécessité de s'adapter et font évoluer la position des acteurs sur la définition du mix énergétique. Tout ce qui favorise le développement des énergies renouvelables concourt à la formation d'un marché européen de l'énergie. Car c'est le seul élément commun que l'Europe se soit fixé en matière de mix énergétique. Le reste est laissé entre les mains des États. Le fait que chaque État soit contraint d'intégrer un minimum de 20 % d'énergies renouvelables est un élément de base de ce qui peut constituer un jour un mix européen de l'électricité. Mais il est difficile d'évoluer vers un marché européen unique de l'électricité avec des visions relativement divergentes, notamment entre la France et l'Allemagne. Nous continuons à y croire et assurons les missions qui nous sont conférées par la loi et les directives européennes. Il reste qu'il s'agit probablement d'une course de longue haleine et non pas d'un sprint.

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