Il s'agit en effet d'une question sensible, qui dépasse heureusement les clivages politiques. Elle a du reste été très longuement débattue.
Je tiens à rappeler, après mon collègue Olivier Jardé, que la disposition que nous examinons n'a rien à voir avec une insémination post mortem, qui consisterait, c'est vrai, à créer un orphelin, ce que nous proscrivons.
L'article que nous avions adopté en première lecture autorise simplement le transfert d'embryons après le décès du père, dès lors que celui-ci a donné son consentement et qu'un processus de transfert correspondant à un vrai projet parental et effectué dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation, donc destiné à un couple stérile – nous en avons longuement discuté tout à l'heure, avant la levée de séance –, est très largement entamé.
Je reconnais volontiers, madame la secrétaire d'État, qu'il est difficile de légiférer en la matière. Mais je considère que, si le projet de transfert était manifestement en voie d'exécution au moment du décès, et, je le répète, si le père avait donné son consentement préalable par écrit, il faut pouvoir mener à son terme ce parcours souvent entamé depuis bien longtemps, semé, on le sait, de nombreux obstacles, et qui fondait des espoirs brutalement anéantis par cet accident de la vie.
Je n'ai pas connu une situation comparable – je vous en fais la confidence, puisque l'on pourrait se demander pourquoi je tiens tant à défendre cette mesure depuis dix ou quinze ans. Je m'empresse de dire que cette possibilité ne concerne que de très rares cas ; mais elle me paraît parfaitement recevable. Je vous rappelle que le Comité national consultatif d'éthique et l'Académie de médecine ont toujours soutenu sa légalisation.
Bien sûr, il faut des garde-fous. Afin d'encadrer cette disposition, j'avais donc proposé en première lecture que la poursuite du projet parental ne soit autorisée que dans un délai compris entre six et dix-huit mois. Six mois, pour éviter une décision hâtive, dictée par l'émotion : l'enfant ne doit bien entendu pas servir de remède à un grand chagrin. Dix-huit mois n'est pas un délai excessif, étant donné le temps nécessaire pour mener à bien ce projet, comme nous le savons tous. Je répète en outre que le consentement du père de son vivant est indispensable, ainsi que l'avis de l'Agence de biomédecine.
Cette disposition, initialement votée par notre commission spéciale, puis en séance publique, emporte bien entendu, madame la secrétaire d'État, des conséquences juridiques en matière de succession et de filiation. Celles-ci sont expressément prévues dans l'article.
On m'objectera, comme on l'a souvent fait, qu'il est souhaitable qu'un enfant soit élevé par ses deux parents. C'est vrai, bien sûr. Mais l'enfant le mieux accueilli est toujours exposé au risque de devenir orphelin ou de subir un divorce contractuel. Les circonstances dans lesquelles naîtra et grandira cet enfant, désiré par un père que sa compagne ou sa femme aura aimé au point d'assumer seule l'éducation de l'enfant qu'elle a voulu de lui, sont à bien des égards préférables à la situation d'un enfant né de père inconnu, dont le père a abandonné la mère tout juste enceinte, ou que se disputent des parents divorcés.
De surcroît, nous le savons tous, rien n'empêche une femme célibataire de concevoir ou d'adopter seule un enfant. Autant de situations réelles que l'État le plus totalitaire ne saurait interdire.
Le Sénat a également fait valoir qu'une telle disposition créerait une inégalité manifeste entre l'homme et la femme. Cet argument me paraît particulièrement spécieux, du moins aussi longtemps que les hommes ne seront pas dotés d'un utérus !