J'ai eu aujourd'hui même une réunion avec M. Alain Juppé, qui a effectivement rendu hommage au rôle joué par le Liban lors de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies relative à la Libye. Si le Liban s'est prononcé de la sorte, ce n'est pas tant parce que nous sommes en conflit avec le régime libyen au sujet de la disparition - demeurée inexpliquée - de Moussa Sadr en 1979 en Libye, mais parce que nous sommes fermement convaincus qu'une réforme est indispensable dans ce pays. Comme le reste du monde, nous avons été choqués par la violence exercée par un régime en place depuis 42 ans contre la population, et c'est pourquoi nous avons soutenu l'initiative du Conseil de sécurité visant à mettre un terme à cette situation dramatique.
Outre que la situation qui prévaut actuellement en Libye est cause de morts, de souffrances et de destructions, elle aura un impact durable sur l'unité du pays et, si les choses se prolongent, elle compromettra l'évolution du Printemps arabe dans d'autres pays. Nous sommes convaincus que le Conseil de sécurité a pris la bonne décision et nous sommes toujours d'accord avec l'interprétation qui a été faite de la résolution, qui tend à mettre fin, le plus vite possible, à une situation catastrophique.
S'agissant des minorités à Bahreïn et dans d'autres pays du Golfe, nous avons clairement indiqué être favorables à une réforme. Rien ne peut justifier que, où que ce soit, certains soient considérés comme des citoyens de seconde zone ; c'est la position que nous avons toujours défendue. L'ingérence iranienne rend la situation à Bahreïn très délicate, mais il n'empêche qu'une réforme s'impose dans ce pays aussi, qu'il est de la responsabilité de l'État de mettre en oeuvre. Nous ne souhaitons pas le renversement du régime bahreïni ; nous souhaitons une réforme, mais nous savons que la situation est compliquée et qu'il faut en tenir compte.
Nous souhaitons que les relations entre les pays arabes et l'Iran soient les meilleures possible mais, pour cela, l'Iran doit en finir avec ses ingérences et cesser de chercher à exporter la « révolution iranienne ». L'absence de l'Égypte sur la scène politique arabe a créé un vide au moment même où se déroulait la révolution iranienne ; ses instigateurs ont alors entrepris d'exporter leur idéologie au-delà de leurs frontières. Manipulant l'opinion, ils ont argué de la défense des intérêts des Palestiniens et de l'Islam. L'établissement de bonnes relations avec l'Iran suppose la non-ingérence réciproque et le respect mutuel.
Le Liban, qui compte treize camps de réfugiés palestiniens, a payé un très lourd tribut au crime commis en 1948 contre les Palestiniens, contraints à l'émigration. Le Liban, parce qu'il soutient l'idée d'une paix globale au Moyen-Orient, a accueilli à Beyrouth le sommet de la Ligue arabe qui, en 2002, a approuvé l'Initiative de paix arabe. Nous restons attachés à ce plan de paix et nous ferons tout pour qu'il soit mis en oeuvre, conformément aux critères définis par les parties. Nous souhaitons que les Palestiniens puissent revenir sur leur terre, mais quoi qu'il en soit, le Liban ne pourra les naturaliser. Leur nombre est considérable, et notre pays est trop petit ; ce serait remettre en cause le délicat équilibre entre les communautés libanaises auquel nous sommes très attachés et qui est inscrit dans notre Constitution. L'ensemble de la population libanaise est contre une naturalisation massive des Palestiniens.
Cela étant, particulièrement depuis le retrait, en 2005, des troupes syriennes de son territoire, le Liban a multiplié les efforts en faveur des réfugiés palestiniens, faisant de son mieux pour assouplir les relations entre eux et les autorités. J'ai moi-même, lorsque de mon arrivée au pouvoir, cherché à rapprocher les points de vue en créant une Commission pour le dialogue national qui a permis de progresser, bien que les choses aient été rendues très difficiles par l'invasion israélienne et par les attentats terroristes perpétrés contre l'armée libanaise par le Fatah al Islam, dont les membres se sont réfugiés dans le camp de Nahr El Bared. Récemment, le Parlement a adopté une loi qui permet aux réfugiés palestiniens d'exercer certains emplois dans le secteur privé, exception faite des professions réglementées. De grands efforts sont donc réalisés pour favoriser leur intégration dans la société libanaise et, avec la participation de la communauté internationale, nous avons entrepris de reconstruire le camp de Nahr El Bared. Notre groupe parlementaire est très attaché à ce que les Palestiniens du Liban soient traités de manière équitable jusqu'au moment où ils pourront revenir sur leurs terres.
Le général Michel Aoun est un acteur de la démocratie libanaise que je respecte à ce titre, même si nous sommes en désaccord sur de nombreux points. Il a sa propre vision des choses et une approche parfois populiste. Il se présente à tort comme le seul défenseur des chrétiens, alors même que la coalition du 14-Mars compte 34 députés chrétiens et la majorité à laquelle il appartient 30 seulement. Il ne peut donc revendiquer le monopole de la défense des chrétiens du Liban. Pourtant, il s'efforce toujours de s'attirer le soutien exclusif de la communauté chrétienne, alors que nous devrions plutôt oeuvrer ensemble pour établir un consensus entre chrétiens et musulmans, en évitant toute exacerbation des différences entre les deux communautés et en s'abstenant des présentations caricaturales dont le général Aoun est coutumier. De plus, il est très obstiné et il insiste pour obtenir certains portefeuilles ministériels alors même que notre Constitution établit les choses de la manière la plus claire : c'est la prérogative du Président de la République et du Premier ministre désigné de proposer un Gouvernement au Parlement, auquel il revient de voter la confiance. Vouloir procéder autrement, comme on le voit aujourd'hui, c'est empiéter sur les prérogatives constitutionnelles du Président et du Premier ministre.
L'influence de l'Iran est très forte sur le Hezbollah, acteur armé de la politique libanaise. Ce parti a le droit de participer à la vie politique libanaise puisqu'il représente une partie de la population. Toutefois, la violence ne mène pas à grand-chose : il faut parfois recourir à la force, mais l'expérience nous a montré que cela ne produit pas les effets escomptés. Nous avons besoin du soutien de la communauté internationale, qui doit répondre aux attentes des pays arabes en démontrant que la diplomatie et le dialogue, contrairement à la force, donnent des résultats. Il ne suffit pas de condamner la violence, il faut faire preuve de volontarisme et montrer que la paix peut être atteinte par une autre voie.
Nous demandons à la France que, fidèle à ses principes, elle fasse progresser les belligérants sur le chemin d'une paix juste et durable au Moyen-Orient. L'influence de l'Iran est réelle, mais l'on note, ces derniers jours, des tensions croissantes dans ce pays. Nous souhaitons le meilleur à la population iranienne. Nous souhaitons que la paix prévale en Iran et qu'elle vaille aussi dans les relations entre l'Iran et le reste du monde. L'Iran n'est pas le seul pays qui représente les musulmans, qui ne devraient pas sembler en conflit permanent avec le reste du monde. Nous voulons vivre en bonne intelligence avec le reste du monde tout en gardant notre identité de musulmans. La politique de la confrontation n'est pas la bonne. L'Iran doit défendre toutes les valeurs démocratiques : la paix, l'ouverture et la tolérance, ces valeurs que nous souhaitons voir s'appliquer partout dans le monde.
Avec la Syrie, nous souhaitons établir des relations de voisinage fondées sur le respect mutuel. La réforme politique est dans l'intérêt de tous les pays arabes, et elle devrait avoir lieu en Syrie aussi. Les relations entre la Syrie et le Liban sont très délicates : alors que le Liban a gagné son indépendance en 1943, il nous aura fallu attendre 2009, soit plus de soixante-cinq ans, pour établir des relations diplomatiques avec notre voisin… Nous souhaitons maintenir de bonnes relations avec lui, mais nous ne pouvons approuver le recours à la violence par le régime syrien contre son peuple. Nous continuons de défendre le dialogue, comme nous l'avons toujours fait. Plus de la moitié de la population de tous les pays arabes est âgée de moins de 25 ans. Cette jeunesse descend dans la rue en exigeant la liberté, la dignité, la justice, une plus grande qualité de vie, de meilleures conditions de travail et plus d'emplois. Pour répondre à ces attentes, la violence ne règlera rien. J'ai entendu dire que les autorités syriennes cherchent à convaincre les chrétiens de Syrie de soutenir le gouvernement en place par la menace, en leur laissant entendre qu'ils se trouveraient dans une situation périlleuse si les islamistes prenaient le pouvoir. Le même langage serait tenu aux Turcs, aux Kurdes et aux Alaouites de Syrie. On tend ainsi à susciter des conflits intercommunautaires alors qu'il faudrait réformer par le dialogue pour instaurer la démocratie, dans l'intérêt de tous.