Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Fouad Siniora

Réunion du 10 mai 2011 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Fouad Siniora :

Le renversement du gouvernement libanais a eu lieu sous la pression des armes, en dépit des promesses faites par les différents partis, dont le Hezbollah et ses alliés, lors de la signature de l'accord de Doha, qui interdit le recours aux armes pour régler les différends internes et exclut tout blocage institutionnel. Ces belles promesses n'ont pas été tenues et une sorte de coup d'État a eu lieu, plusieurs députés transfuges se ralliant à un autre parti au mépris de leurs électeurs. Ceux qui ont ainsi retourné leur veste rendent impossible la formation d'un nouveau gouvernement, car ils ont sous-estimé les difficultés qui les attendaient : une nouvelle majorité théorique s'est formée, à cela près que chaque composante a son propre programme et que les partis ne s'accordent pas sur la répartition des portefeuilles ministériels.

Entre temps, les bouleversements intervenus en Tunisie, en Égypte, en Libye et maintenant en Syrie ont radicalement modifié le paysage politique dans le monde arabe et les renégats sont plus que jamais incapables de constituer un gouvernement. Surtout, la Syrie est réticente à l'idée de voir se former pour l'instant un nouveau gouvernement au Liban, car elle n'est pas certaine que ce gouvernement irait dans son sens et dans celui du Hezbollah. D'autre part, la formation d'un gouvernement libanais télécommandé par le Hezbollah ne serait pas sans répercussion, au-delà du Liban, sur le monde arabe et le monde occidental. Une certaine circonspection se fait donc sentir et même si des promesses répétées laissent entendre qu'un gouvernement sera formé rapidement, tout pousse à croire qu'il n'en sera rien. Selon moi, M. Najib Mikati, le Premier ministre désigné, devrait constituer un gouvernement de technocrates chargé de gérer les affaires courantes sans s'attaquer aux questions épineuses, en attendant que le calme revienne dans le pays et que la situation politique dans la région soit moins confuse. Avec un gouvernement technique, le Liban s'éviterait bien des soucis ; mais cette solution n'ayant pas reçu l'aval du Hezbollah, lié par l'accord qu'il a passé avec le général Aoun, je doute que M. Mikati soit en mesure de former un cabinet dans un avenir proche.

Mon groupe parlementaire, le plus important de l'opposition, est résolument favorable à une réforme en Syrie. L'ensemble du monde arabe a besoin qu'une démocratie réelle s'instaure dans ce pays, mais le Liban, singulièrement, aurait tout à gagner de l'avènement de la démocratie chez son voisin pour relever les défis politiques auxquels il se trouve confronté. Alors que ma formation politique a souligné qu'il fallait éviter toute intervention dans les affaires internes du pays, nous avons été accusés d'ingérence. Cette allégation est mensongère. Nous-mêmes ne voudrions pas que des forces étrangères se mêlent de nos affaires ; pourquoi donnerions-nous des verges pour nous faire fouetter ? On a prétendu que nous aurions envoyé vers la Syrie des navires chargés d'armes, ou que nous financerions des factions syriennes ; mais ces accusations, inventées de toutes pièces, ont dû être retirées. Nous souhaitons que les aspirations du peuple syrien soient satisfaites mais, je le répète, nous ne voulons en aucun cas nous ingérer dans les affaires syriennes. Notre espoir est que les relations entre la Syrie et le Liban soient les meilleures, et pour cela fondées sur le respect réciproque.

Nous nous félicitons de la réconciliation intervenue entre le Hamas et le Fatah, tout en notant un curieux paradoxe. Jusqu'à présent, les Israéliens expliquaient qu'ils ne pouvaient négocier faute d'interlocuteur palestinien. Maintenant, ils ne veulent plus parler à personne, au motif que l'un des membres de la nouvelle coalition ne leur plaît pas - autrement dit, quoi qu'il se passe, rien ne va jamais ! Pour notre part, nous pensons que la réconciliation inter-palestinienne contribuera à l'instauration d'une paix globale, durable et viable au Moyen-Orient. Les soulèvements en cours dans plusieurs pays arabes et l'avènement de la démocratie qui en résultera donnent une occasion inestimable d'appliquer le plan de paix global dont les contours sont bien connus. L'exécution de Ben Laden est une opportunité supplémentaire ; un contexte politique particulier s'est noué dont les États-Unis, l'Europe et notamment la France doivent se saisir. Ne pas le faire serait une erreur grave, car le statu quo pousserait les mouvements révolutionnaires arabes en cours vers l'extrémisme.

Au cours des événements qui se sont déroulés récemment dans le monde arabe, la France a toujours été fidèle aux valeurs de la démocratie, de l'ouverture, de la tolérance, de la justice et de l'indépendance des États arabes. Nous savons que, telle qu'en elle-même, elle ne tombera pas dans le piège du double langage, ne songera pas à se mêler des affaires intérieures d'un pays ou d'un autre et qu'elle marquera son attachement à la très noble cause de la réforme dans le monde arabe.

Le Tribunal spécial pour le Liban a un rôle capital à jouer. Depuis trente ans, au Liban, une longue série de personnalités ont été assassinées : deux présidents de la République, trois Premiers ministres, nombre de députés et de ministres, des directeurs de journaux, des religieux… Jamais les assassins n'ont été identifiés, si bien que le Liban est devenu, au fil du temps, une terre d'impunité. Cette situation intolérable nous a conduits à demander la constitution d'un Tribunal international spécial, non par vengeance mais pour mettre un terme à une impunité qui n'a que trop duré. Cette mission a été confiée à la communauté internationale et nous espérons qu'elle parviendra à mettre en accusation les responsables de ces assassinats. Des rumeurs courent sur les personnes qui seraient mises en accusation : des membres du Hezbollah ? Des Syriens ? D'autres ? Je ne me perdrai pas en conjectures, car j'ai toute confiance dans le jugement du Tribunal, auquel a été confié le soin de déterminer la vérité. Nous voulons la justice, et rien que la justice.

Vous m'avez interrogé sur notre position relative au désarmement du Hezbollah. Que vous dire à ce propos sinon que, comme dans toute démocratie, c'est à l'État libanais que revient le monopole de la détention des armes, et à l'armée régulière celui de son usage ? L'État libanais a subi plusieurs tentatives de déstabilisation. Au lieu d'être dirigées contre Israël, les armes ont été tournées contre des populations civiles désarmées, ce qui est inacceptable. Grâce au Hezbollah, nous le reconnaissons, Israël a mis fin, dans le passé, à l'occupation de certains territoires libanais. Mais la situation ayant beaucoup évolué depuis l'an 2000, il est maintenant indispensable que les armes soient exclusivement aux mains des autorités légitimes de l'État, à qui il revient d'obtenir l'entière libération des territoires encore occupés par Israël au Liban – les fermes de Chebaa et la partie septentrionale du village de Ghajar.

Vous m'avez interrogé sur la situation des chrétiens du Liban. Je considère que le respect de la diversité est l'une des valeurs phares de la société libanaise. Notre société est une mosaïque – et chacun conviendra que les couleurs chatoyantes d'une mosaïque sont bien plus plaisantes à l'oeil qu'un bloc monochrome ! On me fera sans doute observer que bien d'autres pays ont des populations diverses, ce qui vrai ; mais dans la société libanaise, aucune couleur de la mosaïque ne l'emporte sur une autre. Nous souhaitons préserver cette ouverture qui implique l'acceptation de l'autre et de son opinion, ce que reflète l'accord de Taëf, signé par les représentants de tous les Libanais. L'unanimité s'est faite pour dire que les plus hautes responsabilités devaient être réparties pour moitié entre les communautés, ce qui figure dans notre Constitution. Nous souhaitons voir respecté et préservé cet esprit d'ouverture qui a fait dire au pape que le Liban constitue « un message de liberté, de respect et de coexistence ». En Irak et en Syrie, certains ont tenté de créer des conflits en polarisant la société sur les questions confessionnelles. Nous condamnons ces pratiques et nous préconisons la tolérance entre les communautés chrétiennes et musulmanes. Nous condamnons absolument les tentatives visant à diviser les sociétés arabes, et avec la plus grande énergie les événements tout récemment intervenus en Égypte ; nous nous félicitons de constater que le gouvernement égyptien est décidé à agir avec la plus grande fermeté pour contrecarrer de tels agissements. En clair, les chrétiens doivent avoir les mêmes droits que les autres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion