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Intervention de Fouad Siniora

Réunion du 10 mai 2011 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Fouad Siniora :

C'est un plaisir et un honneur pour moi de m'adresser à vous et de répondre à vos questions sur le Liban et le Moyen-Orient mais aussi sur le Printemps arabe dont le souffle traverse la région. C'est de ce bouleversement et de ses implications que je vous entretiendrai pour commencer, au moment où des régimes qui ont gouverné pendant des décennies d'une main de fer s'écroulent d'un seul coup alors que s'effondrent les murs de silence et de peur qu'ils avaient érigés. Des populations hier terrifiées par leurs dirigeants les terrifient à leur tour. Ce mouvement met fin à « l'exception arabe », ce troc par lequel des populations avaient renoncé à leur liberté pour prix de la stabilité.

En Occident, le Printemps arabe a entièrement remis en cause le concept selon lequel les dirigeants du monde arabe se diviseraient entre « modérés » et « non modérés » en fonction de leur position à l'égard d'Israël. Cette terminologie a résonné de manière négative au sein des populations arabes, les dirigeants dits « modérés » en venant à être considérés comme des marionnettes aux mains de l'Occident, ce qui faisait le jeu des extrémistes. Or, il n'y a pas des dirigeants arabes « modérés » et « non modérés » mais des dirigeants légitimes et des dirigeants illégitimes. La légitimité vient du peuple et s'exprime par des mécanismes démocratiques ; après le Printemps arabe, elle sera nécessairement synonyme de modération. On a bien vu que les courageux jeunes gens et jeunes femmes qui manifestaient place Tahrir, au Caire, ne s'exprimaient pas contre l'Occident et qu'ils ne se sont pas particulièrement fait les avocats d'un Islam politique. Ce qu'ils voulaient, c'était faire entendre leur voix, participer à la quête commune de progrès et de développement pour vivre dans la dignité, sans étiquette politique revendiquée. Aussi, il est important que l'Occident ne répète pas ses erreurs passées ; il ne doit pas s'essayer à affronter les islamistes qui, à ce jour, ont envoyé des signaux montrant leur intérêt pour un modèle de société islamique ouverte et tolérante plutôt que pour un modèle à l'iranienne.

Pendant très longtemps, le Liban a été la seule démocratie du Moyen-Orient, mais cette ouverture lui a coûté très cher : notre pays, quatre décennies durant, a payé le prix des conflits entre les Américains et les Soviétiques, les Arabes et les Israéliens, les Syriens et les Irakiens, les Américains et les Iraniens, les Iraniens et les Arabes…Tout cela s'est traduit par une guerre civile qui a commencé en 1975, six invasions israéliennes depuis lors et une multitude de chocs et d'assassinats visant à ébranler les fondements du Liban souverain, resté malgré tout fermement établi même s'il a été considérablement affaibli.

Un Printemps libanais avait éclos en 2005, au point que certains observateurs estiment que le Printemps arabe n'est pas né en Tunisie en 2011 mais au Liban cette année-là, quand, horrifiés par l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, l'homme à qui l'on doit la reconstruction du pays après la guerre civile, des centaines de milliers de Libanais de toutes confessions et de toutes origines ont défilé dans les rues de Beyrouth pour exiger le retrait des troupes syriennes, la liberté, la justice et la souveraineté nationale. Las ! Le Printemps libanais n'a duré qu'un moment, les forces réactionnaires usant de tous moyens, dont la force des armes, pour reprendre le pouvoir politique, au prétexte, toujours, de combattre Israël.

Ce retour de balancier a à nouveau exposé le Liban aux néfastes influences qui traversent la région mais aussi transformé une nation modèle en matière d'ouverture et d'intégration en un État paralysé, où les tensions sont permanentes. En effet, la République islamique d'Iran exerce une influence grandissante dans le monde arabe où, profitant du vide créé par le retrait de l'Égypte de la scène arabe depuis les années 1980, il s'est introduit en brandissant le drapeau de l'Islam et de la cause palestinienne. L'Iran a attisé les tensions sectaires au Liban, à Gaza et en Irak, créant des troubles en prétextant de la cause palestinienne. Ses objectifs réels sont tout autres : exporter la révolution islamique et se poser en grande puissance nucléaire régionale. L'ironie mauvaise de l'histoire, c'est que les dirigeants de la République islamique prétendent être au côté des révolutionnaires du monde arabe alors qu'ils persécutent férocement les démocrates en Iran. D'évidence, l'Iran n'est pas un modèle de démocratie, de progrès et de développement économique pour les démocraties émergentes dans le monde arabe.

L'Occident a un rôle de premier plan à jouer dans la recherche urgente d'une solution globale au conflit entre Israël et les pays arabes, car il faut éviter une prise en otage par les extrémistes des deux bords. La déclaration du « guide suprême » iranien, affirmant que les bouleversements politiques du monde arabe signalaient « une irréversible défaite » pour les États-Unis et « un éveil islamique » au Moyen-Orient, se passe de commentaires. L'Occident, notamment la France et les Etats-Unis, ont une responsabilité éminente : faire appliquer l'Initiative de paix arabe, qui promet une paix globale et durable à Israël et aux États arabes en échange de la reconnaissance d'un État palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem Est comme capitale. Même des anciens officiers israéliens de haut rang – dont d'anciens chefs des services de sécurité – ont admis, en présentant une nouvelle initiative de paix, que la paix ne sera pas atteinte par des opérations militaires !

Le premier sondage librement mené en Egypte, publié juste avant l'exécution de Ben Laden, doit être entendu comme un message très clair à Israël et au monde occidental : 54% des personnes interrogées se sont déclarées favorables à l'annulation du traité de paix avec Israël signé à Camp David, 36% seulement souhaitant son maintien, et 69 % ont exprimé leur défiance à l'égard du Président Obama, dont le discours du Caire avait pourtant été très apprécié. Ces sondages reflètent le fossé entre Israël et l'Occident d'une part, l'opinion publique arabe d'autre part ; si la prise de conscience ne se fait pas qu'un accord de paix équitable et durable doit être trouvé, le problème ne fera qu'empirer.

L'élimination de Ben Laden est un succès pour les États-Unis, pour le monde occidental, pour le monde arabe et pour l'humanité. Pour autant, il serait naïf de croire que cette mort signifie la fin du terrorisme. En plus des opérations militaires ciblées, une offensive diplomatique d'envergure est indispensable pour mettre fin à l'un des grands prétextes utilisés par Ben Laden et ses acolytes, qui se servent des souffrances du peuple palestinien comme outil de propagande. L'Occident ne doit pas laisser passer l'occasion historique qui lui est donnée. La France doit convaincre ses alliés qu'il faut tirer parti de la récente réconciliation inter-palestinienne pour traiter des problèmes de la région afin d'aboutir à une paix réelle et juste.

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