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Intervention de Isabelle Lemesle

Réunion du 11 mai 2011 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Isabelle Lemesle, présidente du Centre des monuments nationaux :

Je remercie tout d'abord les membres de votre Commission pour l'important travail de fond qu'ils fournissent, comme à l'accoutumée, sur ce sujet important.

Qu'il y ait de malentendu à propos de la décentralisation : je n'ai pas proposé de transférer aux collectivités locales les monuments déficitaires ! Bien au contraire, je souhaite préserver le système de péréquation dont le but est précisément de permettre la prise en charge de ces monuments, qui sont bien plus nombreux que ceux qui réalisent des bénéfices.

Il me semble que le débat des années 1980 sur ce qui relève respectivement de l'État et des collectivités locales est aujourd'hui dépassé : les grandes lois de décentralisation sont désormais entrées dans notre culture et dans notre mode de fonctionnement. « Comment travailler ensemble ? » telle est maintenant la question essentielle pour l'avenir du patrimoine.

Opérateur de l'État, le Centre des monuments nationaux regroupe 96 monuments. Nous avons, pour chacun, un schéma directeur de développement grâce auquel nous savons, pour chacun des métiers que nous exerçons – conservation, développement scientifique, développement culturel, édition, mais aussi développement économique –, ce que nous voulons faire dans les cinq ou dix ans qui viennent. Mais tout ceci ne saurait bien évidemment être mis en oeuvre sans un partenariat approfondi avec les collectivités locales et avec les partenaires économiques. Pour cela, nous travaillons monument par monument, territoire par territoire parce qu'un monument n'est pas « posé » sur un territoire, il lui appartient et il appartient à son économie : dans certains lieux, si un château disparaissait, il n'y aurait plus aucune activité économique… Nous avons donc conscience de l'importance de notre rôle comme du fait que nous ne pouvons le jouer pleinement qu'en partenariat avec les collectivités locales.

Vous avez évoqué, madame Faure, le château de Cadillac : je ne vois pas comment la commune pourrait supporter l'énorme déficit annuel. De même, nous avons célébré l'année dernière le onzième centenaire de la fondation de l'abbaye de Cluny – voilà, monsieur Herbillon, un élément de l'histoire de l'Europe – il est bien évident qu'une commune de 4 000 habitants ne saurait supporter le million d'euros de déficit annuel ! On voit bien que la présence de l'État est structurante, et je m'en réjouis. Cela ne signifie nullement que nous n'avons pas à travailler avec les collectivités locales, les institutions culturelles, les partenaires déconcentrés de l'État pour aboutir à un projet commun. Chacun est dans son rôle et dans sa responsabilité et nous dialoguons dans un respect mutuel.

J'ajoute que je ne suis pas favorable à la décentralisation des décisions d'investissement, qui nécessitent un véritable savoir-faire. Certes, l'institution que je préside compte 30 administrateurs qui gèrent au quotidien, sur le territoire et en lien avec lui, les monuments dont nous sommes chargés, mais nous fonctionnons de manière centralisée et l'économie du système repose sur le fait que nous avons à Paris 300 experts au service des 96 monuments. Outre qu'il serait économiquement absurde de démultiplier une telle expertise sur le territoire, je doute que l'on trouverait un nombre suffisant de personnes qui en dispose.

La gratuité a eu pour nous un effet considérable : sur 8,6 millions de visiteurs, 2,9 millions entrent gratuitement. Cela signifie que des visiteurs payants sont devenus des visiteurs gratuits. Il s'agit d'un sujet d'importance pour une institution dont les deux tiers des ressources propres, soit 43 millions d'euros, proviennent chaque année de la fréquentation : modifier la structure des entrées revient donc à mettre davantage à la charge du contribuable. Ouvrir un monument à la visite à un coût, mais le visiteur gratuit a également un coût et il faut donc s'interroger véritablement sur l'efficacité de la gratuité, dont je ne suis pas certain qu'elle soit la bonne réponse à notre préoccupation commune qu'est la démocratisation de l'accès à la culture. À titre personnel, je serais davantage favorable à ce que l'on mette l'accent sur le financement d'actions spécifiques en direction des publics les plus éloignés de la culture, pour des motifs physiques, intellectuels, géographiques, etc.

Vous m'avez d'ailleurs également interrogée à leur propos : nous faisons énormément pour eux ! Nous menons une politique de mise en accessibilité des monuments nationaux aux personnes handicapées : nous nous efforçons de respecter la loi que vous avez votée, même s'il ne sera pas possible de permettre l'accès à tous les monuments nationaux – on ne va pas installer un ascenseur extérieur pour monter aux tours de Notre-Dame en haut desquelles il ne serait de toute façon pas possible de faire passer un fauteuil roulant… Mais nous faisons autant que nous pouvons. Ainsi, nous mettons cette année en accessibilité totale le palais du Tau de la cathédrale de Reims : le monument ayant été bombardé, il est assez facile d'en remodeler l'intérieur, ce que la législation relative aux monuments historiques interdit de faire dans bon nombre de monuments.

Par ailleurs, au sein de nos éditions, deux collections sont conçues pour les handicapés visuels et auditifs et vendues à un prix très raisonnable parce qu'elles sont financées par le mécénat.

On se demande souvent si ceux qui prennent des mesures ont pensé à leur application pratique ! Je me réjouis donc que Mme de Panafieu se soit demandé comment appliquer concrètement une tarification différenciée : lorsque 6000 visiteurs se présentent en une journée d'été à l'entrée du Mont-Saint-Michel, peut-on vraiment demander aux caissières de décider, « à la tête du client », quel tarif elles doivent appliquer en fonction de l'âge et de la nationalité ? Tout au contraire, nous nous sommes efforcés de diminuer le nombre des tarifs afin de simplifier la gestion. J'en appelle à la sagesse des parlementaires pour que l'on poursuive sur cette voie de la simplification !

Je confirme que le mécénat culturel est en baisse, tandis qu'il progresse dans d'autres domaines, notamment le sport et le développement durable. Je mettrai à la disposition de votre Commission les chiffres qui nous ont été fournis par l'Admical – Association pour le développement du mécénat industriel et commercial – lors des assises qui se sont tenues en début de semaine à Marseille. Cela doit nous amener à nous demander comment mieux séduire les mécènes potentiels. On observe depuis peu une forte tendance à la multiplication d'un mécénat culturel et patrimonial de petits montants de la part de PME qui s'investissent dans le territoire et qui sont en quête d'image et de visibilité. À ce propos, il est bien évident que lors que vous donnez 5 millions d'euros pour restaurer les vitraux de la Sainte-chapelle, vous disposez d'une énorme visibilité. Mais tout le monde n'est pas la Fondation Velux… Il est fréquent qu'un mécène ne puisse consacrer que 2000 euros au monument qui se trouve sur son territoire. C'est pour cela que, là où nous avons de gros chantiers – comme à Angers où 8 millions d'euros sont nécessaires pour reconstruire le logis du château royal qui a brûlé il y a deux ans –, nous nous efforçons, avec les chambres de commerce et d'industrie, de rassembler dans des clubs de partenaires les entreprises dont les contributions sont parfois modestes mais qui souhaitent marquer leur investissement.

Une autre forte tendance est celle du mécénat pérenne et solidaire : les mécènes sont prêts à nous accompagner dans des opérations culturelles dès lors que ces dimensions y sont présentes et nous développons donc de plus en plus de projets dans ce cadre. C'est par exemple le cas de l'installation à Vincennes d'une maquette tactile pour les publics handicapés ou du recours à des entreprises d'insertion sur certains chantiers, comme à Saint-Cloud.

Vous avez été nombreux à évoquer, à juste titre, la place du tourisme dans le dispositif. Le ministre du tourisme siège, aux côtés du ministre de la culture, au sein de notre conseil d'administration, mais tout ce qui est financé au titre du budget de l'État est supporté par le ministère de la culture.

Atout France est pour nous un partenaire naturel. Des bases de données comme FranceGuide.com sont mises à la disposition des professionnels. Ayant vocation à nous adresser au public, nous diffusons chaque année 9 millions de documents d'appel ; nous avons bien évidemment un site internet ; nous menons des campagnes d'affichage ; nous avons passé 80 conventions de partenariat avec des grands acteurs comme la RATP, la SNCF, mais aussi les collectivités locales. En effet, le visiteur cherche aujourd'hui une destination et non un monument : il vient à Paris, pas à l'Arc de Triomphe… Les choses sont compliquées lorsqu'il s'agit d'un Japonais, qui passe deux jours à Paris, qui visite Versailles ou le Louvre, mais qui est aussi là pour faire ses achats avenue Montaigne. Ensuite, il se rend au Mont-Saint-Michel dont l'architecture a, par chance, une correspondance avec la culture traditionnelle japonaise. Pour notre part, nous efforçons de le tirer vers la culture. On est là dans le tourisme de groupe et nous ne discutons qu'avec les opérateurs. Pour cela, nous sommes présents dans le monde entier, dont tous les workshops, les éductours, les initiatives d'Atout France. Nous avons édité un manuel technique de vente dématérialisé, que nous distribuons notamment dans les salons du tourisme, afin que les professionnels aient toutes les informations dont ils ont besoin pour vendre la destination du monument.

En France, la compétence tourisme est déployée à travers des organismes régionaux, départementaux et municipaux et cette complexité est pour nous source de difficultés. Ainsi, on ne peut pas compter sur un office du tourisme situé à 20 km d'un monument, mais dans un autre département, pour assurer sa promotion… J'appelle donc de mes voeux une simplification de cette organisation institutionnelle.

Beaucoup a été fait en matière de numérisation : de nombreuses bases de données sont déjà en ligne, avec une partie à destination des professionnels et des scientifiques, et une autre à destination du public. Nous aidons par ailleurs tous les éditeurs privés à mettre à jour les guides qui parlent de nous. À l'heure où l'on recherche des recettes supplémentaires, il convient de se demander qui finance quoi et qui en tire bénéfice.

S'agissant de l'Hôtel de la Marine, faisant partie de la commission présidée par Valéry Giscard d'Estaing je suis astreinte à une obligation de discrétion. Mais nous avons mesuré l'étendue de la réaction du public à l'annonce du projet et nous avons compris qu'elle a pour origine l'attachement viscéral des Français à leur patrimoine, quand bien même ils ne visitent guère les monuments et les musées et ils ignoraient tout de ce monument avant que la polémique ne naisse dans la presse. La seule idée que l'on pourrait sortir du patrimoine de l'État un monument aussi emblématique de notre histoire a choqué. Vous pouvez faire confiance au bon sens des membres de la commission pour préserver toutes les parties qui relèvent de cette conception emblématique, une activité d'une autre nature ne pouvant être envisagée que dans les autres parties. Il importe donc de caractériser les espaces en fonction de la valeur patrimoniale historique qu'on leur donne et de voir quels sont les usages les plus appropriés, dans une logique économique qui ne saurait consister à solliciter le budget de l'État, qui n'en a pas les moyens.

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