Nous avons achevé il y a quelques mois à peine ce rapport sur la valorisation du patrimoine culturel qui nous a amenés à nous interroger sur ce qu'il représente aujourd'hui du point de vue tant des revenus qu'il génère que des charges qu'il entraîne et des moyens d'y faire face.
Nous avons décidé de nous centrer sur le « noyau dur » c'est-à-dire aussi bien le patrimoine protégé – monuments historiques qu'ils soient classés ou inscrits, collections nationales, sites archéologiques, zones de protection – que le patrimoine immatériel – en tant que tel et en tant que valorisation du patrimoine matériel à travers des images, des politiques de marque, etc.
Ce patrimoine, incroyablement riche, est disséminé dans toute la France. Toutefois, l'offre se concentre dans certaines régions, mieux dotées que d'autres, et la demande est extrêmement concentrée puisque 50 à 60 % des visites se déroulent dans cinq grands monuments ou musées, parfois même dans certaines parties des bâtiments seulement.
Il n'y a pratiquement pas de déclassements et notre patrimoine est donc en croissance constante, tendance qu'il va falloir gérer car la charge est également structurellement en croissance tandis que l'état du patrimoine est décevant en regard des efforts consentis par la collectivité – propriétaires privés, collectivités locales et État – que nous avons évalués à 1,5 milliard d'euros par an. Bien entendu, cela ne signifie pas que le ministère de la culture y consacre la moitié de son budget, puisqu'une grande partie des financements provient, notamment, des collectivités territoriales.
Concernant le patrimoine immatériel en lui-même, nous avons essayé de mettre l'accent sur deux éléments : les savoir-faire et les métiers d'art, qui représentent 43 000 emplois et ont d'importants effets externes en tant que vecteurs non seulement de transmission de tradition mais aussi d'exportation.
S'agissant de la valorisation immatérielle du patrimoine, nous nous sommes penchés sur la politique de numérisation en considérant que le patrimoine numérisé était un bien public qui avait vocation à être mis à la disposition de tous.
Le patrimoine occupe une grande place dans notre économie. Il représente plus de 100 000 emplois directs et dix fois plus d'emplois indirects, si l'on en croit de nombreuses études. C'est sans doute un peu excessif, mais ses retombées ne sont certes pas négligeables.
Au-delà de ce constat, notre travail était destiné avant tout à proposer des pistes de travail et des recommandations.
En nous positionnant en tant qu'économistes, nous sommes partis d'un certain nombre de défaillances de marché et nous avons regardé en quoi le fonctionnement naturel des marchés ne saurait répondre aux besoins liés au patrimoine, qui est à l'évidence un bien public, avec une valeur d'usage, mais aussi de non usage puisqu'il s'adresse aussi bien aux générations présentes que futures. C'est très important puisque cela influe sur ce que les citoyens consentiront à payer pour leur patrimoine.
On peut aussi lui attribuer à la fois une valeur d'existence – les Français y étant attachés même s'ils ne visitent pas spécialement de monuments ou de musées – et une valeur d'option car ils peuvent souhaiter le faire un jour dans leur vie. C'est à ce double titre qu'ils sont disposés à ce qu'une partie de leurs impôts aille à sa conservation.
Tout cela nous a amenés à démontrer que se contenter du paiement des usagers se traduirait par une sorte de « sous-production d'entretien » du patrimoine. Il est donc légitime que la puissance publique agisse, soit directement à travers des systèmes de subventions, soit indirectement à travers la fiscalité. Il est important de le rappeler à l'heure où l'on a tendance à se dire que le secteur privé pourrait prendre assez aisément le relais de nombreuses dépenses publiques : en ce domaine, les choses sont peut-être un peu plus compliquées.
Nous avons essayé d'identifier les externalités positives liées au patrimoine.
Bien entendu, la première est liée au tourisme, qui bénéficie largement du patrimoine : bien que ce soit difficile à apprécier, selon la plupart des études un quart du tourisme relèverait d'une dimension patrimoniale. De notre côté, nous avons tenté d'évaluer la demi-journée de tourisme culturel qu'un étranger décide d'ajouter à son voyage – même si l'objectif initial n'a rien de culturel. Cela représente des rentrées financières considérables, qui sont consignées dans le rapport. Paradoxalement, nous avons constaté que les professionnels du tourisme contribuent de façon très marginale au financement de ce patrimoine alors que, réciproquement, plus le patrimoine est valorisé et mis en avant, plus ces professionnels profitent de son existence. Cela nous a conduits à faire une recommandation importante. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les effets externes négatifs du tourisme : congestion des services publics, difficulté à entrer dans les monuments les plus visités, éviction de l'emploi par rapport à d'autres secteurs. Au total, il y avait véritablement un travail à mener sur cette question.
D'autres externalités positives sont à mentionner, en particulier le fait que le patrimoine incorpore de la connaissance, de l'histoire, ce qui peut conduire à des préconisations en termes de formation et d'éducation. Ainsi, les écoles pourraient être incitées à faire venir les enfants dans les lieux patrimoniaux.
J'évoquais les externalités négatives liées à la très grande fréquentation de certains monuments : nous avons constaté que certains visiteurs seraient prêts à payer plus cher pour visiter dans des conditions plus agréables.
Nous avons fait un certain nombre de recommandations. Celles qui ont fait le plus de bruit concernent le tourisme.
Nous avons proposé d'augmenter – dans des proportions qu'il puisse supporter – l'effort que ce secteur consent en faveur du patrimoine à travers une augmentation de la taxe de séjour très légère – moins d'un euro par nuitée – mais qui pourrait rapporter, en raison du nombre de touristes, un milliard d'euros, qui irait directement à la conservation et à la réhabilitation.
Nous avons ensuite suggéré d'augmenter de manière assez significative le tarif d'entrée dans les musées et les monuments historiques subventionnés par l'État, pour les non résidents de l'Union européenne. Je tiens à m'en expliquer, car une telle suggestion a pu faire grincer des dents : d'une part, les non résidents ne contribuent pas au financement de ces établissements par leurs impôts, d'autre part, le consentement à payer de celui qui vient de très loin est à l'évidence plus grand. De nombreuses études économiques s'appuient sur une logique de yield management, c'est-à-dire de tarification très différenciée suivant les types d'usagers et leur consentement à payer. Cela ne signifie pas qu'il faille procéder à une augmentation uniforme ; on pourrait conserver un tarif « étudiant » ou « jeune » très faible quelle que soit l'origine des visiteurs.
L'idée est d'améliorer la gestion tarifaire. Nous avons également pensé, après avoir constaté que l'encombrement pouvait varier grandement suivant les périodes de l'année et les heures, qu'il serait intéressant de s'inspirer de ce qui a été fait au Louvre, en essayant d'adapter les tarifs aux heures de la journée, et éventuellement aux jours de la semaine, tout en veillant à ne pas trop compliquer la tarification, qui doit rester transparente.
Nous préconisons aussi, en toute logique, d'accélérer les politiques de numérisation, notamment en passant des alliances avec les grands moteurs de recherche, bien évidemment dans des conditions acceptables.
Par ailleurs, mettre gratuitement le patrimoine numérisé à la disposition du grand public – évidemment pas pour des usages commerciaux présenterait le triple intérêt d'élargir la diffusion de la connaissance, avec tous les effets de levier que cela suppose ; dans un contexte de « guerre » des cultures, de donner sa place à la France et de faire connaître l'extraordinaire patrimoine immatériel dont nous disposons ; de permettre de travailler avec les écoles. Nous préconisons d'ailleurs que l'on évalue le travail qu'elles effectuent en faveur de la connaissance du patrimoine par les jeunes et que l'on récompense les plus dynamiques en la matière.
Il est tout à fait souhaitable de mettre ce patrimoine numérisé à la disposition de tous. Nous proposons même d'aller un peu plus loin, en rendant transparentes un certain nombre de procédures – à qui et quand on a acheté les oeuvres, etc. Ainsi, les consommateurs seraient mieux informés et ceux qui le souhaitent pourraient savoir comment ce patrimoine est entré dans notre stock de capital patrimonial.
Enfin, nous nous sommes penchés sur les savoir-faire et les métiers d'art. Il nous est apparu que la richesse considérable dont dispose la France n'était peut-être pas suffisamment mise en valeur, notamment à l'étranger : nous manquons de sites bien conçus et aisément consultables. La politique menée dans ce domaine nous a semblé excessivement malthusienne. Nous préconisons un plus gros effort d'exportation de ces savoir-faire, grâce à des subventions plus fréquentes.