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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 10 mai 2011 à 21h30
Interdiction de la fracturation hydraulique — Rappel au règlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Il faut aussi mettre en perspective cet objectif au niveau mondial, avec des pays qui ont des consommations moyennes beaucoup plus importantes, notamment les États-Unis, le Japon ou certains pays européens. Mesurons aussi l'impact de la forte croissance des émissions des pays en développement, notamment la Chine, l'Inde et le Brésil.

Dans ce contexte, le recours à l'exploitation des ressources d'hydrocarbures non conventionnels nous paraît-il soutenable ? Je ne le pense pas, et faire croire que l'on peut encore aujourd'hui confier ce type de débat à quelques spécialistes, sans y associer largement les citoyens, les salariés et les élus de notre pays, est une erreur très grave.

Je déplore pour ma part cette sorte de stratégie de confinement démocratique sur les grands enjeux énergétiques et climatiques. Elle conduit d'ailleurs, comme sur les autres sujets touchant à l'évolution des connaissances et des techniques, à confisquer aux citoyens le droit de décider en toute conscience de leur avenir.

Les parlementaires communistes, républicains et du parti de gauche jugent indispensable la tenue d'un grand débat public sur cette question. La définition et la mise en oeuvre de politiques publiques ambitieuses pour enclencher rapidement une véritable transition vers la sobriété et l'efficacité énergétiques doivent impérativement passer par une confrontation à ces questions que nous devons nous poser collectivement.

Le second point que l'on ne voit pas apparaître dans ces débats, c'est la maîtrise sociale et publique de l'énergie.

Devons-nous considérer comme allant de soi que des ressources naturelles, dont l'existence et l'étendue restent imprécises et qui sont considérées comme appartenant au patrimoine commun de la nation par le préambule de la Charte de l'environnement et par l'article L. 110-1 du code de l'environnement, soient gérées comme d'autres biens par le marché et l'initiative privée ?

Devons-nous considérer que le devenir de notre sous-sol, notamment de nos ressources en eau contenues dans les nappes phréatiques, devra être confié à « des sous-traitants et opérateurs nationaux susceptibles de se positionner sur le marché mondial », comme l'affirment de façon péremptoire les quatre courageux ingénieurs généraux des mines, corédacteurs du rapport sur « les hydrocarbures de roche-mère en France » ?

N'avons-nous pas là, au contraire, une nouvelle occasion de réfléchir ensemble à notre avenir, en donnant corps à d'autres principes de gestion de ces ressources, qui s'appuieraient de façon raisonnée sur l'anticipation des besoins potentiels des générations futures, plutôt que sur l'appropriation privée et la logique spéculative des marchés ?

Plutôt que d'alimenter la boulimie de rentabilité et de profits des actionnaires avides de quelques entreprises privées du secteur pétrolier ou de l'extraction, dont la morale environnementale est bien connue, le cas d'espèce des gaz et huiles de schiste ne doit-il pas servir à la constitution d'un grand pôle public de l'énergie ?

Car un pôle public de l'énergie associant les producteurs, les distributeurs et les usagers est le mieux à même de garantir l'intérêt général de nos concitoyens en matière énergétique en les associant pleinement à leur avenir. Et seul un grand service public national est capable d'organiser une véritable transition énergétique sur la base de ces trois piliers fondamentaux : la maîtrise de la demande d'énergie ou « sobriété énergétique », l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.

Nous le voyons bien, pour satisfaire à nos engagements climatiques, sociaux et environnementaux, le recours aux énergies fossiles comme les gaz et huiles de schiste n'apporte pas de solution. C'est au contraire un problème supplémentaire qui influence la poursuite d'une économie carbonée.

Certains argueront que notre pays est structurellement dépendant des énergies fossiles, et en particulier du pétrole et du gaz – à hauteur de 45 milliards d'euros l'an dernier, comme l'a précisé Mme la ministre. Pour autant, cela justifie-t-il de prôner une politique de courte vue en recourant à ces mêmes ressources par simple effet de substitution aux importations, plutôt que de définir un autre avenir énergétique ?

Personne ne peut ignorer que le choix de s'engager avec frénésie dans l'exploitation déraisonnable de ces ressources non conventionnelles fait par les États-Unis, et par d'autres pays, y compris bientôt par les pays européens, apparaît totalement contradictoire avec les enjeux qui se posent à l'humanité. Sur des bases alliant fièvre spéculative et recherche d'indépendance énergétique, nous voyons se matérialiser le scénario climatique du pire.

Je rappelle qu'après le fiasco du sommet de Copenhague, le sommet de Cancun devait être un moment clé pour se donner des moyens et des outils afin d'atteindre l'objectif de limitation du réchauffement climatique à 2 °C, recommandé par le GIEC, au-delà duquel, je le répète, certaines conséquences ne sont plus maîtrisables.

Curieusement, les grandes puissances ont soigneusement évité de définir des engagements contraignants de limitation des émissions de gaz à effet de serre à Cancun, Après Copenhague et Cancun, la conférence de Durban, fin 2011, poursuivra sans nul doute sur le même chemin du renoncement. Un jour, pourtant, il faudra bien régler le passif ! Comment ne pas faire le rapprochement entre ce renoncement permanent et le recours à l'exploitation massive des sables bitumineux au Canada hier, puis aux gaz et huiles de schiste aujourd'hui ?

Madame la ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons sans cesse jouer la stratégie d'évitement de nos responsabilités environnementales. Nous ne pouvons tolérer que les grandes puissances se défilent devant les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce débat sur les hydrocarbures non conventionnels doit aussi être l'occasion de reconstruire une politique énergétique européenne tournée vers l'avenir, c'est-à-dire vers l'avenir de l'humanité tout entière.

C'est pourquoi je vous invite à voter cette motion de renvoi en commission pour clarifier la volonté politique de notre pays en matière de recours aux ressources d'hydrocarbures non conventionnels. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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