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Intervention de Yves Cochet

Réunion du 10 mai 2011 à 21h30
Interdiction de la fracturation hydraulique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Cochet :

… reposant sur la fracturation hydraulique, elles ont été inventées aux États-Unis par Halliburton – qui s'est rendu célèbre pour d'autres raisons dans la guerre d'Irak – ou Schlumberger, et les conséquences se sont avérées catastrophiques.

J'en viens à la pression économique. Vous prétendez que nous pouvons parvenir à une indépendance énergétique de la France alors même qu'il existe de grands groupes pétroliers. L'amendement est trompeur, il est le signe d'un manque de courage politique devant les pressions exercées par les industriels.

La France emboîte le pas d'autres pays alors que les gaz de schiste connaissent un boom. Il suffit de dire que nous serions bien pourvus en gaz ou en huiles de roche-mère pour faire saliver tout le monde.

Or qu'observe-t-on aux États-Unis et au Canada ? Après cinq à six ans d'exploitation, le PDG de Chesapeake Energy, qui occupe le premier rang national pour le shale gas, a déclaré que si les forages ont été très profitables, il n'est pas sûr qu'ils le soient longtemps. L'exploitation suit une évolution semblable aux courbes de Hubbert : elle commence par une pente forte, avec une exploitation qui donne rapidement des résultats, atteint un pic – comme dans le champ de Barnett au Texas – puis subit une rapide descente. Autrement dit, un puits donné, selon la qualité de la base écologique, n'est exploité que quatre à six ans. Il faut ensuite forer un ou deux kilomètres plus loin. C'est ainsi que dans les Appalaches, sur l'immense champ de Marcellus, des dizaines de milliers de kilomètres carrés de forêt ont laissé place aux puits : le paysage est détruit de manière irréversible. Comme pour les OGM ou le nucléaire, une fois la décision prise, il est impossible de revenir en arrière. Cet aspect du problème doit nous conduire à nous interroger en tant que gestionnaires d'un bien commun.

Ainsi, le PDG de Chesapeake estime qu'à terme, le gain n'est pas assuré au-delà de trente à quarante ans. Malgré le boom actuel, l'échec commercial est palpable. Les actionnaires eux-mêmes commencent à s'en mordre les doigts, se rendant compte qu'ils seront perdants. Les opérateurs, grâce au marketing et à la publicité, ont entretenu une illusion de succès : le gaz de schiste représentait un nouvel Eldorado, une bonanza. Ils ont produit des chiffres bidonnés pour évaluer les réserves, à l'instar des statistiques de l'OPEP, qui gonflent les chiffres des réserves d'hydrocarbures des pays du Golfe. Cela permet d'attirer les investisseurs. Mais l'exploitation est en réalité bien inférieure à ce que laissent supposer les chiffres.

Autrement dit, on feint d'ignorer que le déclin de la production est très rapide et oblige à forer et à forer encore, provoquant la dévastation paysagère.

Mais venons-en au rapport commandé par vous-même, madame la ministre, et par votre collègue de l'industrie Éric Besson. Il annonce d'entrée de jeu l'état d'esprit : il s'agit seulement de suspendre, et non pas d'abroger définitivement. La porte reste ouverte.

Dans son annexe III – j'y reviendrai lors de la discussion des amendements –, figure une liste non exhaustive des permis autorisés pour l'exploration des gaz et huiles de schiste. Pourtant, une liste exhaustive existe. Nous aimerions pouvoir en disposer. Curieusement, le titre a changé. La semaine dernière encore, sur internet, le document téléchargeable comprenait une liste de trente-cinq « permis autorisés » ; cette semaine, cette même liste est intitulée « permis en cours d'instruction ». Comme quoi les inspecteurs généraux de l'environnement et de l'industrie ne sont pas tout à fait sûrs des autorisations d'exploration qu'ils ont accordées l'année dernière, avec la signature de M. Borloo.

La mission interministérielle a déjà fait la part belle aux demandes des exploitants, qui doivent être contents du rapport intermédiaire. Si les députés ont une écoute aussi bienveillante, la fracture avec l'opinion publique s'accroîtra.

Des chiffres extravagants sont annoncés dans ce rapport, comme 100 millions de mètres cubes « techniquement exploitables » en huiles dans le Bassin parisien et 500 milliards de mètres cubes de gaz dans le sud du pays. Qu'en sait-on ? Ces estimations sont faites au pifomètre. Certains exploitants oscillent entre 2 et 60 milliards de barils. Nous ne savons pas exactement ce que recèlent les sous-sols.

Ces supputations productivistes risquent de donner des arguments aux exploitants pour majorer l'éventuel préjudice subi en cas de refus d'autorisation d'exploiter.

À cet égard, je ne crois pas à l'argument de la fragilité juridique de la première version du texte de loi. Nous parlerons à l'occasion de la discussion des amendements des dommages et des réparations que réclameraient les industriels si jamais leur permis était abrogé.

Par parenthèse, la jurisprudence montre qu'en cas d'indemnisation après abrogation, il ne faut pas considérer le préjudice lié au manque à gagner, car le permis concerne l'exploration et non l'exploitation. Seuls seraient en cause des déplacements de camion pour faire un trou ou des photocopies pour établir un dossier. La seule indemnisation possible relèverait d'une négociation entre vous et les exploitants et ne coûterait donc pas cher à l'État.

Il faut insister également sur les méfaits environnementaux sur la nature, le paysage et la santé des populations. La technologie appliquée, même pour les hydrocarbures, qu'ils soient liquides ou gazeux, est très polluante, en particulier pour les gaz et les huiles de schiste. J'en appelle à la responsabilité de chacun : quel monde voulons-nous ? Devons-nous prendre de nouveau un risque en ne nous engageant pas dans la voie de la réduction de notre consommation énergétique et de l'émission de gaz à effet de serre ? Il faut savoir en effet que les gaz et les huiles de schiste produisent beaucoup de gaz à effet de serre.

On sait bien que ce que l'on appelle le forçage climatique est bien plus important dans le cas du méthane que dans celui du CO2 : les membres du GIEC vous le diront. Ce n'est donc pas en dégageant du méthane que l'on améliorera la situation climatique, bien au contraire. Il en va de même d'un point de vue sanitaire : des rapports l'ont montré, le méthane – qui n'est rien d'autre que du gaz naturel – n'est pas bon à respirer.

Enfin, nous avons souscrit des engagements internationaux, aux termes desquels nous devons réduire de 20 % nos émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020 et de 80 % au moins d'ici à 2050. Ce n'est pas en envisageant d'exploiter des dizaines de milliards de barils équivalent pétrole que nous y parviendrons ! Il s'agit d'une véritable fuite en avant.

Une première évaluation réalisée par une équipe scientifique de l'université Cornell, aux États-Unis, a montré que l'extraction des gaz de schiste pourrait être aussi néfaste pour le climat que l'extraction et la combustion du charbon. Il me semble que M. le rapporteur Chanteguet a fait allusion à cette étude.

Le bilan global, du puits à la roue, serait nettement moins positif que celui de n'importe quel autre hydrocarbure, en raison des fuites de méthane, des méthodes de production, du transport, des émissions additionnelles et des combustions de gaz. L'étude aboutit au chiffre de 33 grammes d'équivalent CO2par million de joules d'énergie – étant entendu qu'un million de joules n'est pas grand-chose –, contre 31,9 grammes pour le charbon, un charbon que l'on nous présente toujours comme l'énergie fossile sale par excellence, qu'il faudrait absolument proscrire.

Quant au rendement énergétique sur investissement des huiles et gaz de schiste, dont on ne parle presque jamais, il serait extrêmement faible. Selon une étude publiée en février 2011 par l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques du Québec, ce rendement est de deux pour un, voire de un pour un, soit presque aussi mauvais que celui des biocarburants !

Pour produire de l'énergie, il faut d'abord en injecter : c'est ce que l'on appelle le bilan net. Le rendement du pétrole conventionnel est de l'ordre de quinze à vingt pour un, voire trente pour un : avec un baril de pétrole, on peut en extraire quinze à trente. Ici, en revanche, il faudrait un baril équivalent pétrole pour extraire un baril équivalent en gaz ou en huile de schiste. Le bilan énergétique est donc quasi nul : du point de vue thermodynamique, cela ne vaut même pas le coup ! Quant au point de vue financier, je l'ai dit, le PDG de Chesapeake lui-même s'interroge.

Je ne reviens pas sur l'analyse toxico-chimique bien connue contenue dans le rapport Picot, de l'association toxicologie-chimie. Nous en reparlerons en examinant les amendements.

J'en terminerai donc par les résultats d'une expertise menée par des scientifiques de l'université Duke, en Caroline du Nord, dans l'État voisin de New York et en Pennsylvanie. Selon cette étude, les niveaux de méthane sont plus de dix-huit fois supérieurs à la moyenne – 19,2 milligrammes par litre contre 1,1 milligramme par litre en moyenne – dans les nappes phréatiques proches des sites concernés. On le voit de manière spectaculaire dans le film Gasland. Toujours selon l'étude, les échantillons prélevés présentent jusqu'à 60 milligrammes de gaz par litre, et il existe même un risque d'explosion.

Je vous ai cité plusieurs rapports ; je me suis efforcé d'être bref et synthétique. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP.) J'ai tout de même une demi-heure pour m'exprimer !

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