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Intervention de Didier Houssin

Réunion du 4 mai 2011 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Didier Houssin :

En préambule, j'évoquerai trois points : mon aptitude à devenir président du conseil de l'AERES ; la perception que j'ai du chemin accompli par l'Agence ; les perspectives que j'envisage pour celle-ci.

En ce qui concerne mon aptitude, je souhaite faire valoir plusieurs éléments. D'abord, j'ai fait de la recherche durant plus de vingt ans, en tant que chargé de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), puis en tant que professeur d'université, en dirigeant un laboratoire universitaire de recherche chirurgicale, labellisé « équipe d'accueil ». J'ai travaillé sur la tolérance immunitaire des greffes du foie, la xénogreffe de coeur, la thérapie génique et, en recherche clinique, sur la greffe du foie, en particulier chez l'enfant – laquelle était ma spécialité en tant que chirurgien et en tant que chercheur. Si « dans le miroir de feu de la vérité, la joie sourit au chercheur », je sais que la recherche réclame surtout un travail tenace et qu'il faut de longs efforts pour qu'une idée se transforme en vérité objective, acceptable comme telle.

Professeur de chirurgie, j'ai formé des étudiants, des internes, des chefs de clinique et de nombreux chirurgiens étrangers. Je suis ensuite devenu organisateur de formations lorsque m'ont été confiées la direction de l'école doctorale nationale en sciences chirurgicales, puis la coordination de l'enseignement en sciences humaines et sociales pour les étudiants de première année de médecine – sujet qui m'intéressait particulièrement.

Je suis familier d'un organisme de recherche, l'Inserm, mais aussi de l'université. Durant quatre ans, j'ai présidé le conseil scientifique de l'université René Descartes-Paris V – dont j'ai été vice-président – et participé à la gouvernance de cette université au côté de son président, le regretté Pierre Daumard. J'allais présider cette université lorsque les « obligations sanitaires » m'ont conduit à la tête de la direction générale de la santé (DGS) en 2005.

Mon expérience de l'évaluation est variée : en commission scientifique spécialisée de l'Inserm, puis au Conseil national des universités, j'ai évalué des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des projets et des unités de recherche ; à la tête de l'Établissement français des greffes, j'ai évalué les résultats des activités de greffe par type de greffe et par équipe ; à la DGS, enfin, j'ai organisé l'évaluation de politiques publiques de santé.

Je n'ai jamais dirigé une autorité administrative indépendante, mais j'ai dirigé pendant plus de huit ans l'Établissement français des greffes, établissement public national qui, du moins par la taille, ressemblait à l'AERES et a été précurseur de l'Agence de la biomédecine.

S'agissant de l'indépendance, je n'ai pas de lien d'intérêt personnel ou familial qui puisse altérer la mienne vis-à-vis des organismes ou établissements évalués. Comme directeur général de la santé, j'ai côtoyé plusieurs autorités administratives indépendantes (AAI) et je sais que leur positionnement vis-à-vis des élus, des ministères et des communautés professionnelles est un enjeu crucial en termes de crédibilité. Enfin, j'ai lu les recommandations formulées en 2010 par les députés René Dosière et Christian Vanneste sur les AAI.

Concernant l'AERES, elle a fait un travail important depuis sa création et a conduit ses missions dans une démarche de qualité. Les commentaires faits par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sont éloquents, et je salue l'action des précédents présidents, Jean-Marc Monteil et Jean-François Dhainaut, et de leurs équipes. Les débats parlementaires à l'occasion de la loi de 2006 ayant créé l'Agence étaient clairs : l'Agence devait mettre en oeuvre une évaluation unifiée, généralisée, cohérente et homogène pour faciliter les comparaisons, mais aussi conforme aux normes européennes et adaptée aux spécificités des différentes disciplines. Cela a été fait et bien fait, car effectué d'une manière impartiale, motivée, transparente, grâce à un dialogue avec des pairs et à l'écoute des observations des « évalués ». Cette évaluation est intégrée, dans la mesure où elle aborde à la fois la recherche et la formation. Il faudra d'ailleurs approfondir cette notion d'intégration et en faire un élément encore plus fertile.

Les parlementaires voulaient que l'évaluation faite par l'Agence soit suivie d'effets : par un effet de miroir, puis de levier, l'évaluation a permis à de nombreux établissements de mieux se connaître et de progresser, en gouvernance comme en management, et de prendre des décisions stratégiques. Il faut poursuivre cette amélioration continue des processus fondée sur des retours d'expérience.

Au niveau régional, les évaluations de l'Agence ont été utiles aux acteurs politiques, économiques et sociaux. Grâce au rapport de l'AERES de 2010, ceux-ci peuvent savoir ce qui est offert dans la région en termes de formation, de valorisation, donc de perspectives d'innovation, de développement économique et d'emploi.

Grâce à ces évaluations, le ministère a pu guider sa contractualisation avec les établissements – en particulier pour l'octroi de financements nouveaux – et son pilotage des organismes de recherche – je pense en particulier à l'évaluation de l'Inserm, qui a conduit cet organisme à des évolutions importantes.

Est-ce à dire que tout est fait et qu'il ne s'agit plus que de peaufiner l'ouvrage ? Non : une deuxième étape s'ouvre pour l'AERES, devant déboucher sur des améliorations.

Je vois, pour l'Agence, différents progrès possibles.

D'abord, certaines missions peuvent être accomplies ou perfectionnées. La richesse de la recherche et de l'enseignement supérieur est constituée des hommes et des femmes qui s'y consacrent : il est donc prioritaire – la loi en a donné mission à l'Agence et cela n'a pas encore été fait – de valider les procédures d'évaluation des personnels.

L'Agence est une loupe qui donne une vue précise des activités des unités de recherche, des formations et de la gouvernance de chaque établissement. C'est aussi un oeil de poisson ; le ministre avait parlé en 2006 d'un hélicoptère, qui donne une vision étendue du champ. L'évaluation faite par l'Agence doit aussi être plus parlante, parce que plus contrastée. On constate l'attribution de beaucoup de « A + » : il serait utile, par sublimation, de dégager ce qui relève du presque parfait, qui est sans doute plus rare – ne serait-ce que pour mettre au jour les meilleures pratiques. De plus, pourquoi se priver d'une analyse plus approfondie de ce qui est très bon sur la scène internationale ? Pourquoi ne pas le faire savoir ?

La méthode d'évaluation unique portée par l'Agence contribue à l'équilibre et à la logique globale du dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur : il faut accentuer cet effet de clé de voûte – terme aussi utilisé par plusieurs parlementaires en 2006. Il peut permettre à des structures aujourd'hui distinctes de mieux se tenir ensemble et de leur ouvrir des perspectives – je pense en particulier aux grandes écoles et aux universités ou à celles-ci et aux organismes de recherche.

Deuxième orientation principale : certaines attentes pourraient être mieux identifiées, pour mieux y répondre. L'Agence doit renforcer l'analyse de ses données, afin que chaque acteur trouve une réponse aux questions qu'il se pose.

L'étudiant, qui cherche à s'orienter à partir de dossiers thématiques et de chaque composante offerte pour la poursuite de ses études ou sa future insertion professionnelle ; il peut être un contributeur précieux à l'évaluation.

Le chercheur ou l'enseignant-chercheur, qui cherche à identifier des modes d'action fertiles et à disposer d'une vision stratégique dans son domaine disciplinaire et les secteurs adjacents.

Le responsable d'unité de recherche, qui doit s'ouvrir des perspectives pour mieux produire, diffuser et valoriser des connaissances, attirer des jeunes, retenir les plus anciens, prendre la mesure de l'échelon européen et arrêter des décisions plus stratégiques.

Le responsable de formation, en quête de progrès dans les pratiques pédagogiques pour l'insertion professionnelle à court ou moyen terme, mais aussi en vue du maintien et de la promotion dans le monde du travail.

Le responsable d'un organisme de recherche ou d'un établissement d'enseignement supérieur, qui cherche à identifier des options stratégiques en matière de gouvernance et de synergie, à l'échelon territorial, national ou européen, mais aussi en termes de continuité des études, d'insertion professionnelle, de politique de recherche et de valorisation, d'implantation internationale. Fondée sur l'auto-évaluation et la notation, l'évaluation indépendante par un tiers accepté – l'Agence – doit accentuer son rôle de décision, sa capacité à dialoguer en matière de financement et de management, mais aussi à défendre des spécificités – je pense aux organismes dont le rôle d'expertise en appui des politiques publiques est crucial, lesquels doivent aussi être évalués à cette aune.

L'élu local, auquel l'Agence doit apporter un éclairage, notamment du point de vue de l'insertion professionnelle et de l'articulation avec le tissu économique et social territorial, en particulier dans le cadre de la politique régionale.

L'élu national, aussi, en l'éclairant sur l'analyse des politiques publiques de recherche et d'enseignement supérieur.

Enfin, le ministère, qui est chargé d'opérer une mutation profonde du dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur. Il faut, avec discernement, mettre en valeur celui-ci dans sa diversité, ses équilibres territoriaux, ses nouvelles formes – je pense en particulier aux initiatives récentes relatives aux pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) et aux investissements d'avenir –, afin d'accroître son attractivité sur la scène internationale.

Il convient donc, en dernier lieu, d' « accompagner » une certaine vision, laquelle devra au besoin être précisée.

L'évaluation, jugement sur la valeur, est une chose ; le prononcé de ce jugement en est une autre. L'Agence a été au rendez-vous de la transparence : encore faut-il rendre public, et d'une manière simple. L'évaluation actuelle, désynchronisée, et difficile à suivre. Comment respecter le rythme quinquennal de la contractualisation tout en créant de la synchronisation, pour ne pas se limiter à la comparaison historique d'un objet avec lui-même et pour pouvoir donner chaque année une vue d'ensemble objective ? Y a-t-il place pour un processus complémentaire d'auto-évaluation annuelle simplifiée ? Ces questions devront être explorées.

Chacun souhaite des analyses transversales par champ disciplinaire. Si l'évaluation est aujourd'hui acceptée, la publicité donnée à une évaluation comparative ne le sera que si elle est soumise à des conditions précises. À l'époque des classements et face au risque du hit-parade, l'Agence doit faire en sorte que l'évaluation ait un meilleur discernement, en tenant compte de la diversité des natures et des contextes, et que les comparaisons soient facilitées – sans que l'acceptation de l'évaluation fasse ne fût-ce qu'un pas en arrière.

À l'heure où un effort important est fait par nos concitoyens en faveur de leur recherche et de leur enseignement supérieur, l'Agence doit contribuer, autant qu'il est possible, à l'évaluation du résultat de cet effort en termes de production scientifique, de valorisation, d'innovation, d'emploi, et de croissance. Elle doit saisir cette occasion pour favoriser une véritable promotion des métiers de la recherche, du plaisir de trouver, de découvrir, d'enseigner aux élèves et aux étudiants, de la participation au progrès scientifique et technique.

Il s'agit enfin pour l'Agence d'être un porte-voix, de mettre en valeur la recherche et l'enseignement supérieur de notre pays vis-à-vis de nos concitoyens, mais aussi sur la scène européenne et internationale, pour que la France apparaisse davantage comme un foyer vivant de vie intellectuelle : l'attractivité en la matière est devenu un enjeu stratégique. Il y a lieu à cet égard de se demander pourquoi les Chinois se sont engagés dans leur classement des universités mondiales.

Hélicoptère, loupe, miroir, levier, clé de voûte, porte-voix : voilà donc tout ce que doit être l'Agence au sein du dispositif français de recherche et d'enseignement supérieur.

Si je suis nommé, je serai fier et heureux de présider le conseil de l'AERES et de venir vous parler de ces sujets autant de fois que vous le souhaiterez, ici, à l'Assemblée nationale, rue de l'Université…

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