Présentée par la Commission européenne en décembre 2010, la proposition de règlement sur les relations contractuelles dans le secteur du lait est actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil.
Notre Commission a déjà débattu de la situation du secteur laitier en novembre 2009, et adopté une proposition de résolution, également présentée par Hervé Gaymard, qui demandait notamment une modification du droit européen de la concurrence afin d'instaurer des relations plus équilibrées entre producteurs et transformateurs. Tel est précisément l'objet de la proposition de la Commission.
Marquée par un effondrement des prix européens du lait qui a placé en grande difficulté les producteurs dans de nombreuses régions, la crise laitière de 2008-2009 a mis en évidence les fragilités du secteur et la nécessité de réfléchir à son avenir. Les facteurs de vulnérabilité sont, en effet, nombreux.
Le secteur laitier souffre, tout d'abord, de fortes rigidités. En premier lieu, l'offre ne peut augmenter que dans la proportion permise par la physiologie des animaux. D'autre part, le lait lui-même n'est pas stockable : seuls le beurre et la poudre de lait le sont – les pâtes pressées cuites peuvent certes être considérées comme stockables, mais les stocks « tournent » régulièrement, de sorte qu'ils ne constituent pas des stocks de surplus. Enfin, la demande est peu élastique.
Ces contraintes contribuent à une forte volatilité des prix : les produits industriels qui s'échangent au niveau international, à savoir le beurre et la poudre de lait, constituent des variables d'ajustement en cas de déséquilibre et, de ce fait, un des principaux facteurs de la constitution du prix.
Après avoir fortement augmenté, les prix mondiaux se sont effondrés en 2008, en raison notamment d'une forte réduction de la demande. La production européenne étant restée stable, les prix du lait et des produits laitiers se sont également effondrés dans l'Union.
Le secteur du lait se caractérise, en outre, par un déséquilibre des pouvoirs de marché entre les producteurs et les acheteurs dans de nombreux pays européens. En France, on compte ainsi environ 85 000 exploitations pour 540 entreprises de collecte et 70 % des éleveurs dépendent d'un acheteur en relation avec 500 autres fournisseurs, en moyenne. De plus, moins de la moitié de la collecte est le fait de coopératives alors qu'au Danemark ou aux Pays-Bas notamment, un seul groupe coopératif domine le secteur de la transformation. Du fait de cette situation déséquilibrée, le « risque prix » pèse entièrement sur l'amont de la filière.
Enfin, le secteur souffre d'une volatilité des prix encore plus forte que pour d'autres productions agricoles.
Jusqu'à la fin des années 1990, le marché européen était protégé des variations de prix mondiales par des mécanismes de régulation mis en oeuvre dans le cadre de l'organisation commune de marché (OCM) « lait ». Cette régulation portait d'abord sur les volumes, au travers des quotas laitiers, institués en 1984 pour lutter contre la surproduction, mais aussi au moyen des mesures de stockage, public ou privé, qui avaient été maintenues – les stocks de poudre et de beurre étaient considérables lorsque les quotas ont été instaurés –, et des aides à l'exportation et à la consommation, mises en oeuvre en cas de surproduction. L'action portait également sur les prix : au prix indicatif, représentant ce que le Conseil estimait être le juste prix payé aux producteurs, s'ajoutaient un prix d'intervention sur le beurre et la poudre de lait, et un prix de seuil, qui constituait un prix minimum d'exportation.
À partir de la fin des années 1990, plusieurs réformes ont peu à peu supprimé ces instruments de régulation : le prix de seuil a été abandonné en 1999, tandis que le prix indicatif et le prix d'intervention ont fait l'objet d'un encadrement, puis de nouvelles restrictions ont été adoptées lors de la réforme de la PAC de 2003, conduisant à une baisse supplémentaire des prix d'intervention. Les périodes d'intervention et les volumes concernés ont, en effet, été limités. La réforme de 2008 a mis fin au prix indicatif. Si l'intervention sur le beurre et la poudre de lait a été maintenue, elle a été strictement encadrée. La suppression des quotas laitiers à l'horizon de 2015 a été décidée dès 2003, malgré l'opposition de la France, et elle a été confirmée en 2008 dans le cadre du bilan de santé de la PAC, qui prévoit un « atterrissage en douceur », avec une augmentation des quotas de 1 % pendant cinq ans à compter du 1er avril 2009.
La proposition de règlement de la Commission européenne vise à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs, en reprenant plusieurs recommandations du groupe d'experts de haut niveau constitué en octobre 2009 pour réfléchir à l'avenir du secteur et le préparer à la suppression des quotas. La France a beaucoup oeuvré à cette évolution et je salue l'action du ministre de l'agriculture, qui s'est fortement engagé pour que l'Union européenne tire les leçons de la crise laitière en matière de droit de la concurrence et de régulation des marchés.
Cette proposition concerne donc, tout d'abord, les relations contractuelles : elle tend à autoriser la conclusion de contrats de livraison de lait entre les producteurs et les transformateurs, en laissant les Etats membres libres de décider si ces contrats seront obligatoires ou non. Dans l'affirmative, ils devront comprendre des clauses relatives au prix à payer – fixe ou variable en fonction de facteurs qui devront alors être impérativement établis par le contrat –, au volume, au calendrier de livraison, à la durée de validité du contrat, qui peut être conclu pour une durée indéterminée et être assorti de clauses de résiliation. Je précise que les coopératives ne seront pas obligées de recourir à des contrats.
On peut souligner, à ce stade, la convergence entre la proposition de règlement et les dispositions adoptées en France, dans le cadre de la LMA, avec le même objectif de renforcer la transparence, la stabilité et la visibilité au profit des producteurs.
En application de l'article 12 de la LMA, le décret du 30 décembre 2010 rend ainsi obligatoire la contractualisation entre les producteurs de lait et les acheteurs à compter du 1er avril 2011. D'une durée minimale de cinq ans, les contrats doivent comporter des clauses relatives au volume, aux caractéristiques du produit, aux modalités de collecte et de livraison, aux critères et aux modalités de détermination du prix, ainsi qu'aux modalités de paiement, de révision et de résiliation. La proposition de la Commission européenne valide donc l'approche française.
Les producteurs considèrent que la date du 1er avril est quelque peu précipitée, et ils ne sont pas tout à fait d'accord avec le résultat des négociations interprofessionnelles. J'y reviendrai, mais je tiens à indiquer dès maintenant que si le ministre a souhaité une date aussi rapprochée, c'était pour favoriser les négociations européennes relatives aux règles de concurrence.
Un deuxième point très important de la proposition de règlement est le renforcement du pouvoir de négociation des producteurs : ils pourront se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence qui interdit les accords d'entreprises incluant la fixation de prix. La négociation collective des contrats par le biais d'organisations de producteurs reconnues sera ainsi autorisée, qu'il y ait ou non transfert de propriété.
Je précise que la taille de ces organisations sera encadrée par une double limite : elles ne devront pas dépasser 3,5 % de la production totale de l'Union et 33 % de la production nationale totale. Le fait que la notion de marché pertinent soit définie en fonction de plafonds fixes, et non plus au cas par cas, renforce grandement la sécurité juridique.
Le Gouvernement a annoncé qu'il publierait un décret sur ces organisations de producteurs dès l'adoption de la proposition de règlement.
Celle-ci porte ensuite sur le rôle des organisations interprofessionnelles, déjà reconnues, dans le cadre de la PAC, dans les secteurs du vin et des fruits et légumes. Il est proposé d'étendre au secteur du lait les règles applicables au second. Certains accords et certaines pratiques concertées pourront alors être considérés comme compatibles avec les règles de concurrence par la Commission européenne – à l'exclusion des accords de fixation de prix ou de partage du marché.
Ici encore, je tiens à souligner la convergence entre la proposition de règlement et les réformes adoptées dans le cadre de la LMA : dans les deux cas, les organisations interprofessionnelles se voient reconnaître un rôle élargi. Grâce à la proposition de règlement, elles pourront mener des activités « d'amélioration de la connaissance et de transparence de la production et du marché, au moyen, notamment, de la publication de données statistiques relatives au prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que la réalisation d'études sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional ou national ». La LMA autorisait, quant à elle, les organisations interprofessionnelles à « élaborer et diffuser des indices de tendance des marchés ».
La proposition de règlement apporte, enfin, une première réponse aux recommandations du groupe de haut niveau en matière de renforcement de la transparence. La Commission demande, en effet, une communication mensuelle des quantités de lait collectées.
À bien des égards, cette proposition représente donc un progrès dans le sens d'une plus grande stabilité et d'une meilleure visibilité au bénéfice des producteurs.
La proposition de résolution, quant à elle, comporte sept points.
Le premier est pour saluer l'évolution de la Commission européenne, qui reconnaît désormais la nécessité d'adapter le droit de la concurrence aux spécificités du secteur laitier que j'ai déjà évoquées : la rigidité de l'offre et de la demande, le déséquilibre du marché entre les producteurs et les acheteurs, la forte volatilité des prix. Cette évolution est particulièrement importante pour la France, du fait de l'organisation de sa production. Les pays nordiques, tels que le Danemark et les Pays-Bas, sont moins concernés compte tenu de la présence historique de coopératives presque monopolistiques sur leur territoire.
Le deuxième point consiste à souligner que les propositions relatives aux relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, au pouvoir de négociation des producteurs, au rôle des organisations interprofessionnelles et à la transparence du marché du lait contribuent au rééquilibrage des relations entre les différents acteurs de la filière. Plusieurs de ces propositions vont dans le même sens que les mesures adoptées dans le cadre de la LMA, qu'il s'agisse de la contractualisation ou du rôle des organisations interprofessionnelles.
En troisième lieu, la proposition de résolution demande que les États membres puissent imposer une durée minimale de contrat et de préavis de rupture, dans le respect du principe de subsidiarité et dans l'objectif de sécuriser les acteurs de la filière. Il faut en effet une durée compatible avec celle du cycle de la production laitière et avec les contraintes d'investissement des producteurs et des entreprises de transformation – en France par exemple, cette durée est fixée au minimum à cinq ans.
Le quatrième point concerne la régulation des volumes pour les produits sous signe de qualité – appellation d'origine contrôlée (AOC) ou indication géographique protégée (IGP). Ces produits sont souvent issus de zones défavorisées ou bien de zones de montagne confrontées à des difficultés de collecte. Dans tous les cas, la sauvegarde de ces régions passe par la valorisation. Or, elles vont se trouver fragilisées avec la fin des quotas : la libéralisation du secteur profitera aux régions les plus compétitives. La mesure proposée aurait un intérêt tout particulier pour la France, premier pays producteur de lait de montagne.
En cinquième lieu, la proposition de résolution prévoit que la Commission fasse le point, en 2014 et en 2018, dans le cadre des rapports d'évaluation sur le développement du marché laitier, sur la pertinence des seuils fixés pour les organisations de producteurs.
Le sixième point aborde la question de la régulation. La proposition de règlement ne reprend que certaines des recommandations du groupe de haut niveau, les mesures de marché, l'innovation et la recherche devant être traitées dans le cadre de la réforme de la PAC post-2013. Parmi les mesures de marché, on observe que les actions de stockage ont permis d'améliorer la situation lors de la crise de 2009, quoique entreprises assez tardivement. On pourrait donc s'orienter vers des outils de stockage plus réactifs et plus flexibles – le stockage est actuellement limité tant en volume qu'en durée, cependant, comme nous avons pu le constater lors d'une rencontre avec des parlementaires allemands, ceux-ci considèrent que les outils de régulation doivent être utilisés uniquement en cas de crise, alors qu'en France nous sommes favorables à une approche préventive.
Le septième et dernier point évoque la possibilité de dérogations horizontales au droit de la concurrence dans d'autres filières agricoles.
Ce texte reconnaît donc les évolutions positives contenues dans la proposition de la Commission européenne tout en mettant l'accent sur les points qu'il conviendra d'approfondir dans le cadre de la réforme de la PAC. Je vous propose une adoption conforme.