Quant à la répartition des compétences entre région et département, elle existe déjà : action sociale, collèges et routes aux départements ; TER, lycées, formation professionnelle et développement économique aux régions. Dois-je rappeler que 80 % des budgets respectifs des conseils généraux et régionaux sont consacrés à des politiques qu'ils portent seuls ? Puisqu'ils consacrent 10 % de ces mêmes budgets aux moyens généraux et à la dette, il ne leur reste environ que 10 % pour mener des actions ou procéder à des financements croisés, en particulier en direction des communes, de la culture, du sport ou du soutien au monde associatif.
S'agissant de la région – qui, en raison de son rôle central en matière d'innovation, de développement économique, d'éducation, de formation professionnelle ou de transport, est une collectivité orientée vers les défis de l'avenir –, nous pouvons aller plus loin et affirmer sa vocation à définir des stratégies de long terme. Ainsi, pourquoi ne pas lui confier la responsabilité du service public régional de la formation, de l'emploi et de l'orientation, qui actuellement, n'a pas de pilote ? À l'État, resteraient, bien entendu, l'indemnisation, la macroéconomie et la discussion avec les partenaires sociaux. Aux régions, qui pilotent à la fois la formation et le développement économique, reviendraient les moyens de lier ces deux secteurs et d'organiser la réinsertion des chômeurs, dans le cadre de leurs compétences en matière de formation, de mobilité ou de logement. Que de réformes potentielles !
Sur le développement économique, comparons les régions allemandes et les régions françaises. Le budget d'un land comme celui de Hesse, avec lequel ma région est jumelée, est de 38 milliards d'euros ; je n'en demande pas tant, mais celui de la région Aquitaine est d'1,4 milliard. Le land de Hambourg, qui compte 1,8 million d'habitants, contre 3,2 millions pour la mienne, octroie quatre fois plus d'aides à l'innovation à ses PME. Dès lors, comment nous étonner de la balance commerciale déficitaire et de la désindustrialisation systémique de la France ?
Vous savez, monsieur le ministre, pour être président de la région Alsace, qu'en Allemagne, les länder sont l'actionnaire de référence des caisses d'épargne, qui sont elles-mêmes l'actionnaire de référence des ETI et du Mittelstand. C'est grâce à cette décentralisation que l'Allemagne peut avoir une véritable politique industrielle et une balance commerciale excédentaire. En France, nous avons eu, de surcroît, le malheur d'appliquer notre jacobinisme institutionnel à l'industrie, qui est formée de grands groupes d'un côté, et de l'autre de TPE low-cost à leur service.
Il est temps de changer notre conception de l'intérêt général. L'État n'en a pas le monopole. La République appartient à tout le monde, et nous la représentons. Dès lors, nous pouvons envisager le transfert de compétences normatives aux régions et aux autres collectivités locales. L'unité de la République n'en serait pas menacée, non plus que l'égalité des droits entre les citoyens. Et que l'on ne m'oppose pas le risque d'une inégalité territoriale : nous savons que celle-ci a été réduite depuis 1982, comme elle l'a été en Espagne depuis la régionalisation. La mutualisation des expériences, l'émulation, l'échange de bonnes pratiques sont essentiels. Pour avoir été témoins de la manière dont les territoires étaient gérés par les DRASS, les DRAAF ou les préfets, nous savons que l'égalité n'est pas garantie du seul fait que l'État est représenté par des hauts fonctionnaires. Il nous faut passer à l'âge adulte de la démocratie. Or, votre texte, qui ne fait que créer la confusion, ne contribue en rien à la modernisation de notre pays.
La région devient la collectivité la plus dépendante des dotations de l'État et nous ne pourrons bientôt paradoxalement plus financer les projets que l'État ne peut plus financer lui-même : les TGV, les plans campus, le grand emprunt, et j'en passe. Qu'en sera-t-il de la commande publique, dont on sait qu'elle porte plus d'un million d'emplois par an ? Sur dix euros d'investissement public, sept proviennent des collectivités locales : c'est la base même de l'activité de notre pays qui est en jeu. Bien entendu, une réforme fiscale est nécessaire, afin d'affecter aux collectivités des ressources dédiées et pérennes en lien avec les compétences de chacune d'entre elles et d'assurer une véritable péréquation entre les territoires.
Mes chers collègues, il aurait fallu procéder autrement pour faire bouger la France. Achever la décentralisation est une ambition qui suppose de doter nos collectivités de moyens juridiques, politiques et financiers qui leur permettent d'assumer leurs missions grâce à des ressources fiscales cohérentes et non, comme le fait le Gouvernement, de dissoudre l'échelon régional, en le plaçant sous la dépendance des départements, ce qui est en somme un retour à l'établissement public régional des années 1970 et 1980, au détriment de l'efficacité des politiques publiques et de la compétitivité des territoires.
La France entretient avec la décentralisation des relations très complexes et nos propres élites l'envisagent dans des termes qui font sourire en Italie, en Espagne, au Royaume-Uni et, a fortiori, dans les États fédéraux. Mais la culture évolue à l'épreuve des faits. L'ensemble des acteurs économiques et sociaux, des experts de la formation professionnelle, des transports, du droit, de l'économie, de la recherche et de l'innovation n'ont, quant à eux, aucun doute sur l'absolue nécessité d'engager un acte III de la décentralisation, que la loi du 16 décembre, après un acte II déjà insuffisant, a rendu encore plus impérieuse.
Pour l'heure, nous ne pouvons que rappeler que ce texte engage notre pays dans une bien sombre impasse. Montesquieu…