…sauf à pratiquer la délégation à des fonctionnaires. Il faut bien sûr des fonctionnaires pour administrer nos collectivités, mais la responsabilité politique ne peut pas échapper à l'élu.
Leur confier ainsi une mission impossible relève d'une belle hypocrisie de la part du Gouvernement et de la majorité. Ce que vous souhaitez en fait – quelques membres de la majorité l'ont cyniquement avoué – c'est la disparition du département et de la région au profit d'un seul niveau d'administration territoriale. Le Président de la République aurait ainsi un peu moins d'opposants dans les collectivités territoriales, puisque l'autorité qu'y exerce la gauche serait réduite.
Je tiens à dénoncer une fois de plus la tutelle d'une collectivité sur l'autre, que ce soit la région sur le département ou l'inverse. En effet, chacune de ces collectivités imposera ses décisions budgétaires à l'autre.
Le Conseil constitutionnel ne nous a pas suivis sur ce point, comme sur d'autres. Mais la création du conseiller territorial porte atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Deux catégories de collectivités territoriales, qui ont une place distincte dans la Constitution, seront administrées par les mêmes élus. Le conseil régional ne sera que l'émanation des conseils généraux des départements qui composent cette région, les conseils généraux ne seront qu'un démembrement du conseil régional. De ce fait, le département et la région ne seront ni indépendants ni autonomes l'un vis-à-vis de l'autre.
Si une telle organisation peut se justifier dans certains cas exceptionnels comme Paris ou la Nouvelle-Calédonie, on ne peut la généraliser sans, au préalable, réviser la Constitution. Elle s'apparente en effet à une remise en cause de la distinction formelle entre le département et la région. C'est aussi ce que considéraient les meilleurs spécialistes de droit constitutionnel que le rapporteur avait auditionnés lors de la présentation du projet initial, mais que le Conseil constitutionnel a refusé d'admettre.
Depuis lors, d'ailleurs, la doctrine, commentant la décision du 9 décembre 2010, a souligné que c'était seulement « d'une manière générale que le législateur peut en toute liberté décider de l'organisation des collectivités territoriales avec pour seule limite l'impossibilité non pas de fusionner les niveaux d'administration territoriale – car, d'une certaine manière, c'est bien de cela dont il s'agit avec l'institution d'un conseil régional composé des conseillers des départements qui composent la région –, mais de supprimer un des échelons prévus par la Constitution. » Je vous renvoie à l'article consacré à la loi du 16 décembre 2010, paru dans la livraison du mois de mars 2011 de la revue Droit administratif.
En d'autres termes, l'organisation des collectivités territoriales est à la merci du législateur tant qu'il ne fait pas expressément disparaître un échelon de collectivités territoriales, ce qui est pour le moins choquant et incohérent.
Le Conseil constitutionnel a également rejeté l'argument selon lequel l'instauration du conseiller territorial allait à rencontre de l'interdiction de toute tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre : selon le Conseil, les nouvelles dispositions ne confient pas « à la région le pouvoir de substituer ses décisions à celles du département ou de s'opposer à ces dernières ni celui de contrôler l'exercice de ses compétences ».
Certes, le pouvoir de tutelle se définit juridiquement par un pouvoir d'approbation, d'annulation et de substitution d'action. Mais, dès lors que les mêmes personnes siégeront dans deux assemblées distinctes appelées à exercer des compétences différentes, mais parfois complémentaires, il y aura une forte influence des décisions de l'une sur les décisions de l'autre. Cela peut s'apparenter à un pouvoir de désapprobation ou d'approbation, voire de quasi-substitution d'action, si les conseillers territoriaux d'un même département réunis dans un conseil régional décident informellement de se conformer à une décision prise par ledit conseil régional.
À mon sens, la définition juridique de la tutelle doit s'entendre assez largement car l'approbation, l'annulation et la substitution d'action se retrouvent bien, indirectement, dans le pouvoir d'influence que peut exercer une collectivité territoriale sur une autre, ce que confirme la jurisprudence du Conseil d'État. Nous avons d'ailleurs déposé un amendement sur ce sujet.
J'en viens maintenant au projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous conviendrez qu'on observe une très grande disparité entre les régions en termes de représentativité des citoyens. En Lorraine, un conseiller territorial représentera 8 049 habitants mais dans le Limousin, il en représentera 8 140. Tandis que, en Île-de-France, un conseiller territorial représentera 37 854 habitants, dans le Nord-Pas-de-Calais – la région dont je suis élu, comme Bernard Roman – il en représentera 29 162. En Alsace, monsieur le ministre, il en représentera 24 693. Nous sommes loin de la marge des 20 % tolérée par le Conseil constitutionnel.
Pour résoudre ce problème, l'un de nos amendements propose que nous inspirions du modèle utilisé pour les communes en procédant par strates de population.