Comment prendre au sérieux ce projet de réforme constitutionnelle alors qu'il émane d'une majorité qui a constamment transgressé les critères qu'elle tente de constitutionnaliser. Vous n'avez jamais respecté les critères de Maastricht : depuis 2002 la dette publique n'a jamais été inférieure à 60 % du PIB. Comment s'en étonner quand le Président de la République viole quotidiennement la Constitution en portant atteinte à la séparation des pouvoirs ? Qui peut le nier ? En tout cas personne sur les bancs du Gouvernement où vous êtes obligés d'obéir à un Président de la République alors que la Constitution ne lui reconnaît pas le pouvoir de donner des instructions aux ministres. Quant au principe de laïcité, il suffit de voir le Président se prosterner pour entrer dans ses habits de chanoine du Latran pour réaliser à quel point il le viole ! Le Président de la République n'a donc pas qualité pour engager une réforme constitutionnelle. Il faudrait d'abord qu'il prêche par l'exemple en respectant notre loi fondamentale.
Que cherchez-vous vraiment avec cette réforme ? Pourquoi avancez-vous masqués ? Jaurès a dit : « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire, ce n'est pas de subir la loi du mensonge triomphant qui passe ». Ne nous trompons pas, si nous sommes pour ce qui nous concerne les fils de Jaurès, vous êtes plutôt les héritiers de Charles Maurras qui soumettait les intérêts de la nation aux privilégiés. Nous devons, nous, lever le voile sur vos préférences idéologiques pour éclairer nos concitoyens.
Vous avez tous perçu, mes chers collègues, j'en suis sûr, les dangers d'une telle réforme. Si nous la votions, nous ne serions plus, madame la présidente, que le corps législatif de Bonaparte. Il faudrait dès lors, monsieur le ministre, après chaque élection législative, remettre aux députés, avec la valise qui contient les attributs du parfait député, une livrée de membre du corps législatif, lequel ne viendrait plus que pour exécuter la volonté de l'exécutif.
La volonté du Gouvernement d'inscrire dans la Constitution la règle de l'équilibre budgétaire par le biais des lois-cadres revient, d'une part à faire comprendre aux parlementaires qu'ils ne sont ni raisonnables ni compétents pour voter le budget de l'État, d'autre part à donner au Conseil constitutionnel, composé, paraît-il, de sages, non démocratiquement désignés, un rôle qui ne lui appartient pas.
Dois-je vous rappeler que la souveraineté qui nous a été confiée ne se délègue pas, sauf à revenir devant le peuple souverain lui-même. C'est le Parlement qui, lorsqu'on ne retourne pas devant le peuple, doit exercer ces pouvoirs sans être encadré par qui que ce soit.
Depuis votre arrivée au pouvoir, en 2007, vous n'avez eu de cesse de corseter le Parlement en limitant la parole des parlementaires lors des débats et en encadrant leur capacité d'amendement. Vous trahissez aujourd'hui la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en empêchant les représentants des citoyens « de constater la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée » – article 14. Vous agissez ainsi parce que vous avez peur. Ceux que vous représentez craignent que les élus du peuple n'accomplissent leur travail pour défendre les plus modestes face aux privilégiés. Vous savez que partout dans notre pays le peuple gronde contre vos réformes inégalitaires qui laissent sur le carreau des millions de Français. Laissez les parlementaires jouer pleinement leur rôle et vous verrez que notre pays s'en portera mieux. Encore faudrait-il que nos collègues de droite prennent leurs responsabilités et cessent d'obéir au doigt et à l'oeil au monarque de la rue du Faubourg Saint-Honoré.
Le deuxième volet de cette réforme repose sur l'instauration du monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires. Tout le monde, y compris nos collègues de droite, a perçu l'aberration d'une telle mesure – M. Warsmann a d'ailleurs déposé un amendement à ce sujet. Instaurer un tel monopole porterait atteinte au droit d'initiative des parlementaires. Nous ne serions plus à même d'introduire des dispositions financières en dehors du vote des lois de finances. Autrement dit, notre travail ne serait pas seulement limité, il serait entravé, une fois de plus. Le culte de l'austérité et de l'équilibre budgétaire que le Gouvernement tente d'instaurer est la preuve de sa soumission aux spéculateurs, aux banques et autres grandes multinationales. Cette politique que vous mettez en oeuvre à l'échelle de l'Europe met dans la difficulté les Grecs, les Portugais, demain les Espagnols. Le fait que les petites mains des tenants du capital s'appellent MM. Papandréou, Sócrates ou Zapatero ne change rien. On pourrait d'ailleurs beaucoup parler des amis de M. Papandréou, M. Moubarak ou M. Ben Ali, qui appartenaient à la même organisation. Il est lamentable que ces responsables bâillonnent aujourd'hui leurs peuples et les contraignent pendant que certains profitent.
Le Gouvernement prétend que l'accroissement de la dette serait la conséquence de la crise économique, crise imprévisible selon lui. Tout cela est faux. Il oublie de préciser que la crise est la conséquence inéluctable du système capitaliste, système inégalitaire basé sur la domination du plus fort sur le plus faible. Nicolas Sarkozy a feint de vouloir réparer le capitalisme en septembre 2008. Des cris d'orfraie qu'il poussait alors, il ne reste rien. Le système ne fonctionne toujours pas : intrinsèquement irréparable, il est juste apte à produire injustice, inégalités et amoralité.
Votre aveuglement idéologique ne vous permet pas d'avoir l'outillage intellectuel suffisant pour comprendre la source même de la crise. Votre seul objectif est de rassurer les marchés. Le leur est de vous faire marcher au doigt et à l'oeil. Ils peuvent être satisfaits, vous obtempérez au moindre battement de cil !
Qu'on se rende compte : Vous avez sauvé les banques de la faillite avec l'argent des contribuables, sans demander à ces institutions financières aucune contrepartie.