Selon moi, il n'est donc en rien adapté aux économies divergentes de la zone euro. Je suis en effet intimement convaincu qu'il ne suffit pas d'appliquer les mêmes règles comptables pour que les économies atteignent leur optimum de compétitivité. L'Allemagne n'est pas la Grèce, laquelle n'est pas la France, qui, elle-même, n'est pas le Portugal.
Ce pacte se fixe quatre objectifs – favoriser la compétitivité et l'emploi, mieux contribuer à la viabilité des finances publiques et renforcer la stabilité financière – qui peuvent paraître de simple bon sens. Sauf que les gains de productivité – pour ne retenir que ce thème – n'obéissent pas à la même dynamique dans une économie industrielle ou dans une économie agricole, de services et de tourisme comme celle de la Grèce, d'où des divergences inéluctables, sauf à transposer la Ruhr dans la plaine du Péloponnèse.
J'ajoute que, lorsqu'on analyse les éléments du pacte relatif à la compétitivité, on a le sentiment que les salaires sont l'ennemi, et – pardon, mon cher de Courson, car il m'a semblé que votre intervention était dans ce registre – qu'il faut serrer sa haire avec sa discipline pour rétablir les comptes publics. Or je crains fort que cela ne corresponde pas aux réalités politiques et sociologiques des peuples d'Europe. Je ne partage pas ces vues déflationnistes, mes chers collègues : la croissance est la combinaison des investissements, de la consommation et des taux externes ; j'y reviendrai.
Outre les aspects dogmatiques de ce pacte, je déplore surtout la volonté d'inscrire dans la Constitution l'équilibre des finances publiques. Certes, il est politiquement souhaitable de rechercher un tel équilibre, mais l'économie ne se conduit pas avec des ratios comptables, même inscrits dans la Constitution, sauf à considérer que celle-ci est faite pour être violée. Je vous demande de méditer l'exemple de l'Autriche, qui, dans les années trente, avait inscrit une semblable loi d'airain dans sa Constitution. Ce fut une catastrophe, car elle n'a pu sauver de la faillite la Kredit Anstalt, provoquant une panique bancaire.
Alors, de grâce, ne nous lions pas les mains par avance. Le secret de l'économie réside dans l'adaptabilité permanente de tous les facteurs de production, y compris les prix ; et je m'adresse à M. Trichet.
Par ailleurs, il y a, dans ce texte, deux absents de taille – et je remercie M. Lequiller d'en avoir mentionné un.
Tout d'abord, aucune allusion n'est faite à la politique industrielle nécessaire à l'Europe. On en reste en effet au dogme du « tout concurrence », qui est complètement décalé face aux économies émergentes que sont notamment la Chine, l'Inde et la Corée. Que ce pacte de compétitivité ne comporte pas une certaine dose de préférence communautaire ni n'aborde la nécessaire politique industrielle est une bévue monumentale.
Le deuxième absent – le plus important –, c'est la valeur relative de l'euro par rapport aux autres monnaies, résultat de l'impossible politique monétaire de la Banque centrale européenne.
On sait très bien que, face à des économies divergentes, la BCE est incapable de mener une politique monétaire pouvant répondre aux besoins de chacune des économies. Pour ne rien vous cacher, je crains fort que cela ne soit impossible structurellement. Quoi qu'il en soit, il est clair aujourd'hui que la surévaluation de l'euro, qui va se poursuivre, profite essentiellement à l'Allemagne tandis que, dans le même temps, elle étrangle les autres économies, notamment celle de la France. Vous ne pouvez le nier, puisque vous dites vous-mêmes très clairement, dans le pacte de stabilité, qu'une appréciation de 10 % de l'euro contre toutes les monnaies conduirait mécaniquement à une dégradation de la compétitivité française : moins 0,6 % de PIB en 2012, moins 1 % en 2013, et moins 1,2 % en 2014. Si l'euro remonte, nous allons nous trouver étranglés dans une nasse !
L'autisme de la Banque centrale et de l'Allemagne sur ce point aboutira inéluctablement, je le dis avec solennité, à remettre en cause la monnaie unique. C'est une certitude et une évidence reconnue par tous : la Grèce, le Portugal et l'Irlande ne sortiront pas de la crise sans passer par une restructuration de leur dette et par une dévaluation monétaire. Il est urgent d'y réfléchir dès maintenant si l'on ne veut pas se contenter de subir les événements qui se rapprochent.