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Intervention de Xavier Bertrand

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Interdiction de l'utilisation des phtalates des parabènes et des alkylphénols — Discussion générale

Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, j'ai fait ce choix, car j'estime que celui qui aurait des certitudes sur ce sujet serait vraiment très fort ! Cela peut être rassurant pour certains, plutôt inquiétant pour d'autres.

La proposition de loi que nous allons examiner ensemble pose de vraies questions de santé publique liées à notre environnement quotidien. Roland Muzeau le disait tout à l'heure : ne parle-t-on pas assez des sujets de santé publique lors des PLFSS ? Je n'en suis pas persuadé, mais je suis tout à fait ouvert, dans le cadre du prochain PLFSS, à le faire davantage, puisque nous sommes instruits de drames sanitaires comme celui du Mediator dans le domaine du médicament.

Mais ce n'est pas parce que nous parlons du domaine du médicament qu'un regard différent ne doit pas être porté sur la question. Ce qui m'a le plus marqué dans le dossier du Mediator, c'est cette phrase terrible du rapport de l'IGAS, selon laquelle le principe de précaution avait profité à la firme, mais pas aux patients. J'ai cette phrase bien en tête. Mais avant tout, il s'agit de savoir si nous décidons ou non d'en tenir compte dans d'autres dossiers. Il y a le dossier du médicament, celui des dispositifs médicaux, mais il n'y a pas que cela. D'ailleurs, nous entreprendrons nombre de réformes dans tous les domaines qui, par exemple, recourent à l'expertise et, évidemment, dans celui de la santé publique.

Cela étant, nous devons faire attention : nous disons oui au principe de précaution ; mais faut-il une précaution par principe ? C'est un débat qui n'est pas sémantique, un débat qui n'est pas neutre, un débat qui vaut la peine d'être mené.

Le Gouvernement veut attacher la plus grande importance à tous les sujets qui sont au coeur de la PPL à travers, notamment, la surveillance et la gestion des risques liés aux substances chimiques.

La France a toujours été vigilante sur ces questions. Mais nous pouvons nous demander si nous sommes assez vigilants, ou au contraire si nous ne le sommes pas trop. Ces questions sont pertinentes et elles ne me dérangent pas.

La France a été vigilante, comme en témoigne la suspension de l'utilisation du bisphénol A dans les biberons en juin 2010. La proposition de loi qui vise à interdire les phtalates, les parabènes et les alkylphénols semble s'inscrire dans cette démarche de précaution.

Les phtalates, les parabènes et les alkylphénols regroupent un grand nombre de substances et, parmi ces substances, il semblerait que certaines soient susceptibles d'avoir des effets perturbateurs sur le fonctionnement endocrinien, vous avez été nombreux à le rappeler. Voilà pourquoi, devant ces doutes, la précaution est légitime et nécessaire. Mais il n'y a pas de bonne précaution sans bonne information. C'est précisément parce que le Gouvernement est soucieux d'avoir toutes les informations nécessaires sur les risques présentés par ces substances que nous avons lancé une série de travaux en France et avec la Commission européenne. Cette dernière s'est beaucoup investie sur toutes ces questions – Gérard Bapt me le disait tout à l'heure –, notamment avec le commissaire Dalli. Les travaux en cours nous permettront d'avoir des informations plus précises sur les différents risques liés à ces produits, afin de prendre les mesures de protection nécessaires. Si les décisions doivent être fermes, elles le seront. Mais nous devons attendre les résultats de ces travaux d'expertise, parce qu'il ne s'agit pas uniquement d'agir dans de bonnes intentions, il faut surtout cibler notre action de manière réaliste et efficace, dans l'intérêt des Français.

Par exemple, si l'on décide, suite à ces travaux, d'interdire certaines de ces substances, cela suppose de disposer de substances de substitution sans risque, ou à moindre risque – le bénéfice risque – pour la santé. C'est tout l'intérêt du processus d'expertise que nous avons lancé, et je vais y revenir.

D'abord, nous avons mis en place des programmes de recherche, au niveau de l'ANR – l'Agence nationale de la recherche – et du ministère en charge du développement durable, avec le programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens.

Nous avons également saisi les agences de sécurité sanitaire et l'INSERM pour évaluer certaines de ces substances qui peuvent se trouver dans des produits destinés aux jeunes enfants et aux femmes enceintes.

Enfin, le Gouvernement a déjà transmis un rapport au Parlement en mars 2011. Ce rapport avait été demandé par le Parlement lors du vote de la loi interdisant le bisphénol A dans les biberons. Il devait être remis sur la base de l'expertise de l'INSERM sur les perturbateurs endocriniens.

Cette expertise – je le déplore – a pris plus de temps que prévu. Le Gouvernement a donc préféré fournir au Parlement, début mars, un rapport provisoire. J'y tenais vraiment, car j'avais été interrogé sur cette question liée au bisphénol. J'attendais les conclusions de ce rapport. On nous dit que les études sont plus complexes qu'il n'y paraît, et donc plus longues. Je tenais tout de même à ce que l'on puisse disposer de premiers éléments avec ce rapport provisoire.

Celui-ci s'appuie sur la partie de l'expertise qui était déjà disponible. La priorité du Gouvernement, sur ces sujets sensibles, c'est d'abord de vous informer dans la plus grande transparence des études menées dans ce domaine. Si je parle de transparence, c'est que si l'on veut de la confiance, il faut déjà de la transparence. Au moment où je vous parle, cette expertise vient de s'achever et une synthèse a été mise en ligne hier soir sur le site de l'INSERM. Je vous indique les dates avec précision : c'était hier soir. Si vous vous interrogez pour savoir si cela a un lien, pour ma part, je n'en sais rien. En tout cas, c'est fait et c'est sur le site !

Les éléments complémentaires, issus des données scientifiques internationales, ne modifient pas l'esprit du rapport que nous vous avons adressé. Ils montrent surtout que, pour le moment, nous devons poursuivre les études et les évaluations dans ce domaine, parce que nous ne pouvons pas, à ce stade, dire précisément dans quelles conditions certaines substances pourraient avoir un impact sur la santé humaine.

Sur la base de ces résultats, les agences de sécurité sanitaire vont procéder à une analyse encore plus précise des risques et faire les premières recommandations opérationnelles en matière de gestion de ces risques.

Les principaux résultats de ces expertises devraient être disponibles entre fin 2011 pour le bisphénol A et fin 2012 pour les autres substances perturbatrices endocriniennes présentes dans les produits grand public. Et si l'on pouvait aller plus vite, je serais le premier à m'en réjouir.

Bien entendu, il faut aussi que les actions que nous menons soient en cohérence avec les politiques européennes dans ce domaine, et j'y reviendrai dans ma réponse aux orateurs. Si, en France, par exemple, on décide d'interdire l'utilisation de certaines substances, il faut bien avoir à l'esprit que cela peut avoir un impact sur l'économie – ce qui ne nous empêchera pas d'agir – et que cela peut aussi créer des distorsions de concurrence. Mais ce type de problème se règle et cela ne nous empêchera pas de prendre nos responsabilités.

Voilà pourquoi nous pensons que cette proposition est louable dans son intention. Mais je ne suis pas certain que nous puissions y donner suite aujourd'hui. En revanche, il nous faut des analyses suffisamment nuancées. J'ai dit aussi qu'il ne suffisait pas de suspendre certaines substances, parce qu'il faut aussi trouver des substances pour les remplacer en toute sécurité, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.

Mais je n'ai pas dit pour autant qu'il fallait attendre sans rien faire. Au contraire, les services de l'État et les agences sanitaires, en lien avec les professionnels, travaillent d'ores et déjà à identifier des substances de substitution, sans attendre le résultat des différentes évaluations. Je suis conscient du mouvement qui se produit dans certains pays. Cela a été rappelé tout à l'heure, si, dans certains pays, on évolue, l'évolution peut se faire sur des critères sanitaires, mais aussi sous la pression médiatique ou consumériste. Nous devons en tenir compte. Voilà pourquoi je souhaite que l'on engage d'ores et déjà des travaux en la matière.

Pour les substances pour lesquelles on dispose de données plus précises en matière de risque, la réglementation communautaire prévoit déjà un certain nombre d'actions. Nous ne sommes donc pas condamnés à l'inaction.

La réalité, c'est que la France n'a pas attendu cette PPL pour évaluer ces risques, ni l'Europe pour mettre en place des réglementations déjà applicables dans notre pays pour les produits dont le risque était avéré.

Ainsi, sur la quarantaine de phtalates qui existent, trois qui sont avérés toxiques pour la reproduction sont déjà interdits dans les jouets et articles destinés aux enfants de moins de trois ans et dans les produits cosmétiques – le DEHP, le BBP et le DBP. Ces trois substances font l'objet d'une interdiction à terme et, dans le cadre du règlement REACH, les fabricants doivent obtenir, jusqu'en 2013, une autorisation spécifique pour continuer à les utiliser dans quelques usages résiduels, ciblés et bien encadrés.

Monsieur Hillmeyer, tout ce que vous avez dit concernant notamment les cosmétiques pour enfants fait déjà l'objet de travaux de la Commission européenne en vue d'une interdiction, et l'AFSSAPS – nous avons pu le vérifier, c'est pourquoi il est intéressant de vous répondre maintenant – y travaille conjointement.

Cela montre bien que nous ne nous contentons pas d'observer, même si cela est nécessaire, mais que nous agissons, réglementons et informons de manière responsable. Car, sur ce sujet délicat, nous ne pouvons pas nous permettre d'agir seuls. À cet égard, je doute, monsieur Hillmeyer, qu'un député de votre région nous reproche cette démarche européenne !

Monsieur Raison, j'ai été très attentif aux propos que vous avez tenus tout à l'heure.

Oui, il y a une vigilance particulière exercée sur les substances potentiellement dangereuses pour la santé, et notamment sur les perturbateurs endocriniens. L'Europe, nos agences, l'INSERM sont pleinement investis sur ces questions. Et des résultats sont attendus pour éclairer nos stratégies.

Oui, des actions réglementaires sont déjà menées ou en cours au niveau communautaire, qu'il s'agisse des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols.

Oui, des solutions alternatives sont d'ores et déjà à l'étude. Je pense que, comme l'a tout à l'heure souligné Michel Raison, nous devons aborder tout cela de manière rationnelle et raisonnée, en nous basant sur les évaluations en cours.

Monsieur Bapt, vous nous dites que nous sommes en train de passer d'une approche déterministe basée sur la preuve et la relation dose-effet à une approche probabiliste, basée sur la présomption et sur des effets « cocktails ». C'est justement parce que cette question est cruciale en termes de stratégie qu'il nous faut mieux la documenter en continuant à prendre des décisions limitant les expositions chaque fois que cela s'imposera. J'insiste parce que le risque du « tout précaution » est celui de la dispersion de la réponse que nous pouvons apporter. Je pense que ce principe de précaution auquel je tiens – et peut-être plus depuis mon retour au ministère de la santé – doit être appliqué avec discernement sur la base de données scientifiques suffisamment étayées. Cela ne doit pas nous retarder mais au contraire nous permettre de prendre le temps nécessaire pour disposer du maximum d'informations et préparer nos réponses.

J'ajouterai qu'il y a, sur le site internet du ministère de la santé, une fiche d'information sur le bisphénol A, une plaquette de recommandations pour les femmes enceintes et pour les autres parents. La maquette est prête et elle sera l'objet d'une impression cette année à destination des maternités et des centres de PMI. Si l'on peut faire mieux, je suis très ouvert.

Monsieur Muzeau, je ne crois vraiment pas que le sujet des perturbateurs endocriniens soit affaire de positionnement politique, parce que nous sommes tous concernés. C'est d'ailleurs – et j'ai retenu vos propos – un sujet de société qui interroge notre rapport à l'environnement, pose la question du monde dans lequel nous souhaitons vivre et des priorités qu'il nous revient clairement d'affirmer. Nous devons en débattre avec rigueur et méthode pour prendre des décisions éclairées, qu'il s'agisse de précaution ou de prévention.

Madame Langlade, s'agissant des aspects des matériels à usage médical et des contenants alimentaires, des actions ont déjà été menées, j'aurai l'occasion de le rappeler lorsque nous discuterons des amendements. Je tiens dès maintenant à préciser que l'étiquetage et l'information de nature communautaire font l'objet de notre attention. Nous avons interpellé la Commission européenne, en décembre dernier, pour lancer les travaux sur l'étiquetage des plastiques d'emballage alimentaire en relation avec les consommateurs et les industriels des différentes sphères concernées.

Madame Poursinoff, l'extension de l'interdiction du bisphénol A récapitule parfaitement ce qui a été précisé. Nous avons agi sur les biberons au nom du principe de précaution parce que, d'après nos agences et les instituts de recherche, les données scientifiques disponibles le permettaient. Mais ces mêmes agences ont clairement indiqué que les données étaient insuffisantes pour aller plus loin. Je ne pense toutefois pas qu'elles aient une quelconque réticence à apporter des précisions. Pour aller au bout de votre démonstration, nous devons disposer des différentes bases scientifiques. Les recherches et les analyses doivent maintenant se poursuivre. Je suis en revanche encore plus attentif actuellement au respect des délais pour que nos concitoyens ne pensent pas que nous nous sentons très concernés aujourd'hui, alors que nous discutons de ce texte, mais que, demain, une fois l'examen de cette proposition achevé, nous oublierons tout. Pour ne rien vous cacher, et alors que je m'exprime à cette tribune, j'ai le sentiment que la responsabilité d'un ministre sur ces questions est davantage engagée qu'auparavant. Toutes les précisions que je viens d'apporter ne sont pas des propos en l'air. Notre responsabilité est particulière pour toutes les questions relatives à la santé publique.

Je remercie très sincèrement Yvan Lachaud pour ses propos. Ce sujet, sur lequel il a beaucoup travaillé, lui tient à coeur. Nous devons absolument concilier les deux aspects, même si l'un – la santé de nos concitoyens – se situe au-dessus de tout. La santé de nos concitoyens ne doit pas non plus nous empêcher de réfléchir à ce que l'on peut leur proposer d'autre. Que l'on ne me dise pas que l'industrie ne saura jamais s'adapter, parce qu'elle a prouvé le contraire. Je ne veux pas non plus que l'on oublie la notion de bénéfice risque pour le patient. Je ne mettrai jamais sur le même plan la santé et les aspects économiques. Et je ne dis pas cela parce que le ministère de la santé n'est pas un ministère comme les autres. C'est ma conception personnelle. Comme l'a souligné Pierre Méhaignerie, il est nécessaire d'ouvrir le débat, mais il ne suffit pas de discuter, nous devons pouvoir sérier les inquiétudes et les difficultés, et je suis persuadé que les évaluations en cours nous y aideront. Les expertises vont se poursuivre. Je suis tout à fait disposé, si vous le souhaitez, avant même la publication de toutes les études, à faire le point de la façon qui vous conviendra. Le ministère doit pouvoir vous informer de la nature des progrès accomplis.

Je serais tenté de dire que, si ce débat s'était déroulé dans quelques mois, ma réponse aurait peut-être été différente. Mais je tiens à vous parler en toute transparence, parce que, je le répète, c'est à mon sens la première des conditions pour que s'instaure la confiance. La meilleure protection de nos concitoyens repose également sur leur confiance en notre capacité à prendre sans hésiter nos responsabilités et les décisions qui s'imposeront en fonction des études et des éléments d'information dont nous disposerons.

Voilà pourquoi je suis amené à regret à vous dire que le Gouvernement ne peut pas, aujourd'hui, donner suite à cette proposition de loi. Par ailleurs, et ce n'est pas une surprise, en application de l'article 96 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des votes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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