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Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 14 avril 2011 à 15h00
Interdiction de l'utilisation des phtalates des parabènes et des alkylphénols — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt :

La qualité a souvent été l'arbre qui cache la forêt de l'ignorance.

En effet, la question des perturbateurs endocriniens représente un important enjeu de santé publique, pour aujourd'hui et, surtout, pour demain et après-demain.

Je rejoins Michel Raison pour reconnaître que cette proposition de loi est extrêmement radicale – ce qui est paradoxal puisqu'elle émane du groupe Nouveau Centre. Elle est un peu « brute de décoffrage », même si, en commission, les députés du Nouveau Centre eux-mêmes ont contribué à polir cette pierre brute, et il fallait qu'il en soit ainsi.

Michel Raison a déjà fait observer qu'il existait deux catégories de phtalates, ceux à chaîne courte, reconnus comme reprotoxiques, et ceux à chaîne longue, non réglementés, car aucun effet sanitaire n'a été constaté.

Ces phtalates sont déjà enregistrés dans la réglementation REACH et ceux à chaîne courte sont interdits dans les jouets et les cosmétiques, sachant que l'on pourrait envisager d'étendre cette interdiction à d'autres objets utilisés par les enfants.

De la même façon, les parabènes sont régis par le règlement « Cosmétiques », mais la récente loi danoise du 20 décembre 2010 concernant l'interdiction des butyl- et des propylparabènes nous invite à aller plus loin et sera vraisemblablement reprise par la Commission européenne.

Cette proposition de loi a le mérite d'ouvrir le débat sur les perturbateurs endocriniens et le bisphénol A. En 1991, vingt et un scientifiques de disciplines variées – de la zoologie à la psychiatrie – se réunissaient à l'initiative de Theo Colborn, responsable scientifique du WWF aux États-Unis, pour rédiger ce qui fut appelé la Déclaration de Wingspread. Celle-ci affirmait qu'un certain nombre de substances chimiques émises dans l'environnement avaient le pouvoir de perturber le système endocrinien des espèces animales, y compris celui de l'espèce humaine, et pouvaient être à l'origine d'impacts sanitaires. Cette déclaration apparaît aujourd'hui singulièrement intuitive. C'est à cette occasion que l'expression « perturbation endocrinienne » a été utilisée pour la première fois. Depuis, des milliers d'articles ont été publiés dans la littérature scientifique. Cela montre la fécondité et la réalité de cette hypothèse, et conduit aujourd'hui à considérer que la perturbation endocrinienne représente un important sujet de préoccupation pour la santé publique, mais aussi, plus largement, pour celle des écosystèmes et pour la biodiversité.

La littérature scientifique soulève également la question de la gestion des risques liés aux perturbateurs endocriniens, car il apparaît que leur mode d'action est clairement distinct de celui sur lequel repose la réglementation des substances chimiques.

Pour l'Union européenne, un perturbateur endocrinien est « une substance exogène ou un mélange qui altère la ou les fonction(s) du système endocrinien et cause en conséquence des effets adverses sur la santé ». Ses sources sont multiples ; certaines ont été évoquées, mais l'on pourrait ajouter les produits phytosanitaires, les pesticides ou encore le chlordécone, bien connu de nos collègues antillais.

L'impact des perturbateurs endocriniens est immense, puisque leur omniprésence dans l'environnement se traduit par une imprégnation quasi-totale de la population – 93 % de la population américaine et 91 % de la population canadienne pour le bisphénol A –, et ce, pas seulement dans les pays développés. La directrice de l'Institut national des sciences de la santé environnementale américaine n'hésite pas, en conséquence, à qualifier de « colossal » le problème de santé publique posé par les perturbateurs endocriniens.

Mais que recouvre exactement l'évaluation des risques ? Selon les concepts classiques de la toxicologie, pour toutes les substances, qu'elles soient de type cancérogène ou non cancérogène, c'est le même paradigme qui s'applique, celui formulé par Paracelse au xvie siècle : « C'est la dose qui fait le poison », d'où la détermination d'un seuil en deçà duquel il n'y a pas d'effet.

Aujourd'hui pourtant ce paradigme est remis en cause pour les perturbateurs endocriniens, qui doivent être caractérisés de façon différente. D'un effet de type déterministe, on passe à un effet probabiliste – effet cancérogène sans effet de seuil.

Nous nous appuierons ici sur l'Appel de Prague, document signé en 2005 par plus de 200 scientifiques, à l'occasion d'une conférence organisée sur divers travaux de recherche menés sous l'égide de l'Union européenne. Ces prises de position traduisent le fait qu'il existe un certain consensus pour considérer que les données scientifiques sont désormais suffisantes pour situer les caractéristiques des perturbateurs endocriniens en dehors du paradigme servant de base à la réglementation actuelle.

La société américaine d'endocrinologie a identifié plusieurs points caractéristiques du mode d'action des perturbateurs endocriniens. Il s'agit premièrement de l'âge d'exposition, la période d'exposition in utero étant déterminante ; du temps écoulé entre l'exposition et ses effets, celui-ci pouvant être retardé de plusieurs générations ; des interactions entre les substances chimiques : il s'agit de « l'effet cocktail », une substance neutre prise isolément pouvant avoir des effets sanitaires lorsqu'elle est couplée à d'autres substances oestrogéniques ; enfin des effets latents à long terme, en d'autres termes des effets transgénérationnels.

Lorsque nous avons abordé la question du bisphénol A, nous avons cité plusieurs études selon lesquelles, par le biais d'un phénomène nouvellement découvert, le mécanisme épigénétique, des effets transgénérationnels pouvaient être observés notamment sur la reproduction ou la fertilité, avec l'apparition de dysgénésies. Cela a été montré chez des rates, exposées pendant la gestation à des doses inférieures à la dose limite actuelle, c'est-à-dire à des doses correspondant à celles qu'a pu observer le professeur Fenichel, à Nice, sur le cordon ombilical de ses parturientes.

L'équipe du professeur Sultan, au CHU de Montpellier, vient de faire une découverte extrêmement importante sur les enfants des filles du distilbène, lesquelles avaient été exposées au distilbène in utero. Or je rappelle que la molécule du distilbène est très proche de celle du bisphénol, et les effets observés chez les filles des parturientes traitées au distilbène sont aujourd'hui constatés, à la seconde génération, chez les petits-enfants.

Grâce à une association de patients, l'association Hhorages, on a pu colliger les cas de 529 mères traitées au distilbène. Ces mères ont donné naissance à 1 180 enfants, dont 740 imprégnés in utero. Sur ces 740 enfants, 684 souffrent de dysgénésie sexuelle ou subissent des conséquences neuropsychiatriques, voire les deux à la fois, et quarante et un seulement sont indemnes.

Sur les 440 enfants non imprégnés, 422 sont indemnes et dix-huit souffrent, soit de dysgénésie, soit de troubles neuropsychiatriques.

Ces observations confirment les études effectuées sur la rate gestante et l'existence d'un effet transgénérationnel, via un mécanisme épigénétique. L'imprégnation au bisphénol à des doses inférieures à la limite actuelle produit des effets sanitaires.

Face à cette situation, l'Appel de Prague a résumé les principaux manques de l'actuelle réglementation, préconisant de passer à une gestion par le danger et non plus par le risque. Nous pourrions ici, monsieur le ministre, souligner quelques analogies avec d'autres problèmes de pharmacovigilance.

Le risque est grand d'un effet sévère et irréversible, a fortiori s'il peut être transgénérationnel. On est là clairement dans le champ d'application du principe de précaution, et la difficulté à déterminer une valeur seuil doit conduire à substituer à une gestion par le risque une gestion par le danger.

C'est en tout cas l'opinion exprimée par le sénateur américain John Kerry, ancien candidat démocrate à la présidence des États-Unis, dans la proposition de loi qu'il a déposée devant le congrès américain : « Pour protéger l'embryon, le foetus et le nourrisson pendant leurs phases de développement les plus vulnérables, le corps des parents doit être exempt de perturbateurs endocriniens avant la conception, pendant la gestation et durant la lactation. »

Compte tenu de la spécificité du mode d'action des perturbateurs endocriniens, de l'importance des impacts sanitaires mis en évidence par l'expérimentation animale et par l'observation chez l'homme, de la preuve que ces données sont extrapolables à l'homme, compte tenu également du degré d'imprégnation de la population humaine, il apparaît nécessaire de revoir aujourd'hui les fondements de la réglementation concernant ces substances. Plutôt que de rechercher une valeur seuil, comme cela est prévu dans le cadre de l'ancien paradigme où « c'est la dose qui fait le poison », car l'existence d'une telle valeur seuil ne peut être déterminée avec certitude pour les perturbateurs endocriniens, il est préférable de limiter au maximum toute exposition humaine aux substances caractérisées comme telles. Cela revient à passer d'une gestion par le risque à une gestion par le danger.

La caractérisation d'une substance comme perturbateur endocrinien doit conduire à éliminer au maximum toute exposition humaine. D'où l'intérêt de la proposition de loi du groupe Nouveau Centre, qui nous incite à faire montre de volontarisme dans l'application de ce nouveau paradigme.

Le débat que nous avons aujourd'hui sert de substitut à celui que nous avait promis votre prédécesseur, monsieur le ministre, autour d'un rapport qui devait être remis au Parlement en janvier 2011. Le rapport vient d'être remis. Il ne s'agit que d'un rapport d'étape – fort bien fait puisqu'il présente les efforts accomplis, les projets et la mise en oeuvre des différents programmes de recherche, notamment la constitution de cohortes devant servir à l'observation de l'état de santé de la population ainsi que la surveillance écobiologique –, mais il a malgré tout suscité ma déception.

En effet, alors que le directeur général de la santé m'avait assuré, en novembre dernier, qu'il était sur le point de lancer une campagne d'information, notamment en direction de la femme enceinte et du jeune enfant, sur le bisphénol, j'ai été désagréablement surpris de constater que les annexes II « Outils INPES – Grossesse et accueil de l'enfant » et III « Plaquette d'information sur le bisphénol A » annoncées dans le sommaire ne figurent pas au rapport.

Aux États-Unis et dans de nombreux États, une information simple, accessible et comportant des mises en garde contre le bisphénol A est diffusée dans les maternités et les PMI, à destination des femmes enceintes Je souhaite donc, monsieur le ministre, que votre intervention décisive fasse qu'une campagne d'information de ce type soit lancée au plus vite dans notre pays.

La récente étude menée au CHU de Montpellier sur l'effet transgénérationnel d'un perturbateur endocrinien observé chez l'homme, doit nous inciter à étendre l'interdiction du bisphénol A des biberons à l'ensemble des contenants alimentaires destinés aux enfants et à continuer les programmes de recherche sur les perturbateurs endocriniens. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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