Monsieur le président, monsieur le ministre du travail, de l'emploi et de la santé, mes chers collègues, le sujet que nous abordons pourrait devenir un élément majeur du débat sur la santé publique dans les années ou les décennies à venir. Il concerne la toxicité des substances chimique contenues dans des produits de la vie quotidienne, dont certains effets, et singulièrement celui du perturbateur du système endocrinien, sont encore peu ou pas connus, et sont en tout cas à l'heure actuelle insuffisamment étudiés et documentés pour ne pas être considérés comme préoccupants.
Si la commission des affaires sociales a fait le choix de rejeter cette proposition de loi visant à interdire l'utilisation des phtalates, des parabènes et des alkylphénols, notamment en raison du champ très large de cette interdiction, tous les groupes politiques présents ont reconnu la nécessité de débattre de ces questions et de cerner clairement les enjeux de santé publique qui leur sont liés.
L'état des connaissances et de la réglementation est en train d'évoluer depuis plusieurs années déjà : des interdictions, totales ou partielles, de certaines substances dans des produits spécifiques ou destinés à des publics particuliers ont été prises. Il s'agit par exemple des phtalates dans les jouets ou, plus récemment, du bisphénol A dans les biberons. L'adoption du règlement REACH au niveau européen a également permis de changer d'approche sur ces sujets en édictant des listes de substances interdites, dont trois phtalates : le DEHP, le DBP et le BBP – je vous ferai grâce des noms complets – seront interdits à partir de 2015. Les fabricants ont jusqu'au 1er janvier 2013 pour opter pour des substituts ou demander des autorisations temporaires pour des usages spécifiques.
Cela n'empêche pas de s'interroger. Ainsi, l'agence environnementale danoise, très en pointe sur la question des perturbateurs endocriniens et la prévention des risques chimiques, a récemment saisi la Commission européenne sur la question des fournitures scolaires contenant des phtalates en grand nombre. Vous n'ignorez pas qu'il arrive aux écoliers de mâchouiller leurs gommes – nous l'avons tous fait. (Sourires.) Or elles contiennent de nombreux phtalates. Sans doute les industriels expliqueront-ils que le risque doit être appréhendé dans des « conditions normales d'utilisation ». Encore faut-il être conscient ou informé de ce qui est normal ou pas, de ce qui est dangereux ou pas.
Les scientifiques, quant à eux, diront que, traditionnellement, c'est la dose qui fait le poison. Les comités scientifiques européens n'ont d'ailleurs, en l'occurrence, pas conclu à l'existence d'un risque eu égard aux doses concernées, mais ce risque est-il aujourd'hui correctement appréhendé ? Hélas, trop d'exemples récents prouvent le contraire.
Comme me l'a confirmé le directeur général de l'Agence de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, la question des perturbateurs endocriniens bouleverse les catégories et les référentiels utilisés jusqu'à présent par les scientifiques. Leur méthode d'action sur le système hormonal pourrait en effet remettre en cause la technique traditionnelle consistant à définir une dose journalière admissible. Car, outre le fait que celle-ci laisse de côté l'existence d'éventuels effets cocktail entre substances chimiques, elle ne permet pas non plus de prendre en compte les effets à faible dose qui, à certaines époques de la vie, peuvent s'avérer plus nocifs que des doses plus élevées.
Il semblerait ainsi que le premier trimestre de la grossesse soit une période particulièrement sensible aux perturbateurs endocriniens. M. Gérard Bapt l'a évoqué en commission avec le cas du distilbène ; il est également démontré que l'exposition, lors de certaines périodes du développement, peut avoir des conséquences non seulement sur les personnes concernées et sur leur descendance, mais également sur la génération suivante.
Enfin, s'agissant des voies de contamination possibles, si les études sur les risques liés à l'ingestion sont aujourd'hui bien documentées, d'autres voies restent encore inexplorées, comme l'inhalation, que ce soit dans l'air ambiant ou par le biais de poussières.
Que pouvons-nous faire aujourd'hui ? De nombreuses études sont en cours. L'ensemble de nos agences de sécurité sanitaire est mobilisé, ainsi que l'INSERM, mais, de l'aveu même des experts que j'ai rencontrés, les recherches et les débats scientifiques vont prendre de décennies.
Le recensement, sous l'égide de l'INSERM, de la littérature existante, dont nous pouvons avoir un aperçu dans le rapport d'étape déposé par le Gouvernement sur le bureau de l'Assemblée en mars dernier, ne permet pas de disposer de conclusions cohérentes ou convergentes en la matière.
Il y a donc deux solutions possibles : attendre ou prendre les devants. Avec la présente proposition de loi, le groupe Nouveau Centre fait clairement le choix d'une action préventive, dans la droite ligne de l'initiative prise l'an passé par le Parlement afin d'interdire la présence de bisphénol A dans les plastiques alimentaires, qui a abouti à la loi du 30 juin 2010 suspendant la fabrication et la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A, jusqu'à ce qu'une nouvelle expertise de l'ANSES autorise de nouveau ces opérations.
Cette initiative parlementaire est exemplaire, car elle a contribué à faire évoluer le débat au niveau européen. Une nouvelle directive, en date du 28 janvier 2011, est en effet venue modifier la directive de 2002 relative aux matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec les aliments.
Tout comme le texte français, cette nouvelle directive interdit provisoirement l'utilisation du bisphénol A dans les biberons en plastique jusqu'à ce que l'on dispose de données scientifiques complémentaires. C'est exactement le même genre de démarche que vise à inaugurer la présente proposition de loi, qui distingue pour sa part trois familles de produits.
Les phtalates, tout d'abord, servent essentiellement de plastifiants dans le PVC, les vernis, les colles, les laques, l'encre et le caoutchouc, mais ils sont aussi présents dans une multitude d'autres produits dont nous nous servons quotidiennement.
Les parabènes, ensuite, sont des conservateurs que l'on retrouve dans les produits cosmétiques, mais également dans les aliments, les médicaments et les produits du tabac.
Les alkylphénols, enfin, sont les principaux agents actifs des détergents et désinfectants industriels, ménagers ou médicaux.
Classées cancérigènes mutagènes ou toxiques pour la reproduction de catégorie un à trois, certaines de ces substances suscitent aujourd'hui de nombreuses interrogations quant à leurs effets sur notre organisme, notamment leur action en tant que perturbateurs du système endocrinien.
L'objectif de cette proposition de loi du Nouveau Centre est donc d'interdire l'utilisation de ces substances chimiques par précaution.