Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer sur un sujet qui mérite effectivement un débat.
Qu'entendez-vous exactement par « responsabilité sociale des acteurs économiques » ? Pour ma part, je préférerais que nous abordions ce débat sous l'angle de la responsabilité sociétale des acteurs économiques. En effet, c'est bien une responsabilité globale qu'il faut dessiner, une responsabilité prenant en compte les aspects sociaux, environnementaux, sanitaires et démocratiques des activités économiques. Or la compétitivité sert aujourd'hui de prétexte au MEDEF et au Gouvernement pour faire des économies et diminuer les droits sociaux, même dans les activités qui ne sont pas délocalisables, comme les soins ou la restauration !
Je ne vais pas vous faire un cours d'écologie politique, même si la plupart de mes collègues, je n'en doute pas, connaissent les oeuvres d'André Gorz. Je rappellerai simplement que les écologistes envisagent les activités économiques dans leur ensemble, avec leurs répercussions tout au long de la chaîne de production, leurs conséquences sur la société où elles s'exercent et leurs effets sur la santé de la planète et de ses habitants.
La question de la gouvernance ne doit pas non plus être éludée. Plus de démocratie dans l'entreprise, c'est aussi moins de risques d'une financiarisation à outrance, de ce que d'autres ont pu appeler la « dictature de l'actionnariat ». Redonner du sens au travail, c'est aussi reconnaître qu'une entreprise appartient d'abord à celles et ceux qui y travaillent et la font vivre, et non à ceux qui la pressurent pour en tirer des profits immédiats et sans avenir.
Depuis le xixe siècle, avec l'économie sociale et solidaire, les salariés ont inventé des formes autonomes pour prendre eux-mêmes en charge les services à la personne et à la communauté : l'association, la coopérative, la mutuelle. Face au capitalisme et à l'État en crise, c'est aussi dans ces formes d'association qu'il faut chercher la création, le maintien et la transmission d'activités économiques au service de tous et non délocalisables. Leur activité n'a pas pour but de faire du profit, mais bien de tisser du lien et de créer des activités utiles socialement, contrairement aux banques qui n'investissent plus pour développer des initiatives économiques, mais pour réaliser des profits le plus rapidement possible !
Qu'en est-il de la responsabilité des acteurs bancaires et de celle des États ? Quelques mois après la crise spéculative qui a dévasté l'économie, quelles mesures ont été prises pour empêcher la spéculation ? Il ne suffit pas de faire de beaux discours à la tribune du G20 : il faut responsabiliser, par la contrainte, ceux qui ont montré leur irresponsabilité. Il ne s'agit pas de morale, mais d'éthique, une éthique qui implique de plafonner les très hauts salaires, de taxer les flux financiers, de combattre la spéculation et la corruption.
Face à la montée du chômage et des inégalités, la responsabilité de tous est engagée. Il faut également s'interroger sur une société où le mal-être au travail est grandissant, où les suicides s'enchaînent dans certaines entreprises, où les maladies professionnelles sont trop souvent sous-estimées et mal prises en compte. Les exemples sont malheureusement trop nombreux : hier, les victimes de l'amiante, aujourd'hui, les salariés turcs qui meurent de silicose après avoir blanchi des jeans pour l'industrie du prêt-à-porter.
Et qu'en est-il de la responsabilité des acteurs économiques dans l'avancée de l'égalité entre les femmes et les hommes ? Qu'il s'agisse du plafond de verre, des temps partiels subis, des départs à la retraite retardés, des CDD qui s'enchaînent, on le voit bien dans tous les secteurs, la bonne volonté et les déclarations d'intention ne suffisent pas.
L'article 225 de la loi Grenelle 2 prévoit que le rapport annuel des entreprises comporte des informations sur les « conséquences sociales et environnementales » de leurs activités, ainsi que les engagements sociétaux « en faveur du développement durable ». On pourrait s'en féliciter si l'esprit de la loi était respecté et mis en oeuvre. Or le décret d'application ne sera fidèle à la loi que si le Gouvernement s'abstient, pour une fois, d'écouter les sirènes de celles et ceux qui promettent des engagements volontaires, mais refusent les règlements contraignants.
On l'a vu au sujet de la publicité agroalimentaire à destination des enfants, on le verra tout à l'heure au sujet des perturbateurs endocriniens : la bonne volonté ne suffit pas. Il faut des obligations, il faut mesurer, il faut rendre des comptes ; il faut pouvoir comparer, dans le temps, pour la même entreprise, ou entre entreprises d'un même secteur ; il faut encourager les bonnes pratiques et conditionner les aides pour les développer ; enfin, il faut aussi pouvoir sanctionner.
Le réchauffement climatique, la destruction de l'environnement, les conséquences des pollutions sur la santé sont des sujets trop graves pour que l'on s'en défasse en se contentant de verdir l'extérieur sans profondément réformer l'intérieur.
Quant au respect des droits sociaux, des droits syndicaux, des droits humains, que dire de ces entreprises qui se montrent vertueuses en France, mais qui sous-traitent et délocalisent non seulement leurs productions, mais aussi les violations du droit du travail ? Les sociétés mères doivent être responsables des activités de l'ensemble des composantes de leur groupe, filiales, succursales, sous-traitants.
Les victimes d'accidents industriels causés par des activités dont la société mère se trouve en Europe doivent pouvoir se tourner vers les juridictions européennes et françaises pour faire valoir leurs droits à indemnisation, même lorsque ces accidents se sont produits hors d'Europe. Si demain, par exemple, un accident nucléaire se produit dans la future centrale EPR de Jaitapur, en Inde, qui se trouve dans une zone sismique, les constructeurs européens doivent pouvoir être tenus pour responsables et assurer une indemnisation correcte aux victimes. C'est ce que prévoit la loi indienne, cette loi que le Président de la République française s'est permis de critiquer lorsqu'il s'est rendu en visite en Inde en décembre dernier. Car la France aime à exporter des centrales nucléaires, mais elle n'est pas prête à en assumer les risques. Voilà encore un exemple de l'hypocrisie de ce gouvernement qui parle d'environnement et de moralisation de l'économie, mais qui sabre le Grenelle et ne fait rien pour réguler la spéculation financière !