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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 14 avril 2011 à 9h30
Renforcement de la compétitivité de l'agriculture française — Discussion d'une proposition de loi

Bruno le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire :

Ce texte a l'immense intérêt à mes yeux de mettre le doigt sur la question de la compétitivité de l'agriculture française et de rappeler qu'en traitant du travail saisonnier nous n'avons fait, à ce jour, que la moitié du chemin : reste l'autre moitié concernant les emplois permanents.

Toutefois, le Gouvernement reste défavorable à cette proposition de loi. En effet, je l'ai déjà dit devant la commission des affaires économiques présidée pas M. serge Poignant, ce texte présente deux difficultés.

La première difficulté est celle de l'eurocompatibilité. Le dispositif d'exonération dit TO-DE, applicable aux travailleurs occasionnels ou demandeurs d'emplois, est eurocompatible. En effet, avant de le mettre en place, j'ai plaidé notre cause devant la Commission européenne. Je lui ai présenté un argument principal afin d'obtenir son accord : nous voulions mettre le TO-DE en place pour lutter contre le travail illégal dans le secteur agricole. J'ai expliqué qu'un coût trop élevé du travail saisonnier agricole entraînerait un développement du travail au noir – qui constitue un risque majeur dans ce secteur. La Commission a accepté cet argument et elle a donné son accord à l'exonération de charges que vous avez votée. Aujourd'hui, les yeux dans les yeux, je peux donc affirmer à tous les agriculteurs qui bénéficient du dispositif que l'on ne viendra pas leur réclamer de restituer l'aide que l'État français leur a accordée en matière d'exonération de charges sur le travail occasionnel.

Cependant, l'argument de la lutte contre le travail illégal que j'ai pu utiliser pour les emplois saisonniers de l'agriculture n'est pas recevable pour les emplois permanents du secteur. En conséquence, notre évaluation juridique reste strictement la même que celle que je vous ai déjà présentée : la proposition de loi déposée par Jean Dionis du Séjour en faveur d'une exonération totale de charge sur le travail permanent dans l'agriculture n'est pas conforme au droit européen. Cette exonération s'apparente en effet à une aide d'État permanente destinée à améliorer la compétitivité de l'agriculture française par rapport à celle des autres agricultures européennes. Si nous la mettions en place, elle ferait l'objet d'un recours et elle serait sanctionnée. Cela nous exposerait à devoir réclamer à tous les agriculteurs la restitution des sommes concernées.

Permettez-moi de vous faire part de mon expérience en la matière. Le remboursement des aides d'État illégales accordées par des ministres successifs, de droite comme de gauche, aux producteurs de fruits et légumes a été la première difficulté que j'ai eu à affronter lorsque je suis arrivé au ministère de l'agriculture. La procédure avait duré plusieurs années et la Commission avait attendu le changement de ministre pour la mener à son terme. Elle m'imposait une alternative : soit le remboursement, soit le paiement de pénalités mensuelles de 80 millions d'euros et une amende finale qui se chiffrerait en centaines de millions d'euros. Je n'ai pas voulu exposer le budget de l'État à une telle ponction financière, il ne me restait donc qu'à aller récupérer les aides d'État chez les agriculteurs, chez les petits exploitants du Lot-et-Garonne, du Gers, d'Alsace ou d'ailleurs.

Croyez-moi, je ne veux pas avoir à revivre cette expérience ; je ne veux pas non plus que l'un de mes successeurs soit confronté à la difficulté morale qui se pose quand vous devez expliquer à un paysan que l'État français a été suffisamment irresponsable pour lui accorder des aides dont, dix ans plus tard, il lui demande le remboursement. Imaginez que l'État ait fait à chacun d'entre vous un chèque de 300, de 500 ou de 800 euros pour vous soutenir dans une passe financière difficile et qu'il vienne vous voir dans dix ans pour vous dire : « Désolé, nous avons fait une erreur, ce chèque n'était pas conforme au droit européen : il faut que vous le remboursiez. » Imaginez votre colère ! Imaginez celle des paysans à qui nous avons dû expliquer qu'ils devaient rembourser des sommes considérables parce que les ministres de l'agriculture successifs avaient été suffisamment irresponsables pour accorder des aides d'État illégales au regard du droit européen ! Je ne referai jamais cela ! Je ne prendrai jamais le moindre risque qui exposerait les paysans français à rembourser des aides que l'État leur aurait accordées illégalement au regard du droit européen.

J'ajoute qu'il n'est pas judicieux, alors que nous sommes en pleine négociation du budget de la politique agricole commune pour la période postérieure à 2013, de prendre une décision qui pourrait donner le sentiment que la représentation nationale française s'assied sur les règles européennes alors que notre pays bénéficie tous les ans de plus de 10 milliards d'euros d'aides européennes pour l'agriculture. Ce serait irresponsable. Nous laisserions les Européens croire qu'une nouvelle fois, l'État français prend de l'Europe ce qui peut lui rapporter mais qu'il la critique et qu'il s'assied sur ses réglementations quand cela l'arrange. Je ne m'engagerai pas dans cette voie.

Le financement est la seconde difficulté que soulève cette proposition de loi. Un problème se pose d'abord au regard de la législation européenne. Charles de Courson a cosigné cette proposition de loi, mais il avait été suffisamment avisé, lorsqu'une «taxe poisson » avait été proposée, pour dire – j'ai relu les propos pertinents qu'il tenait alors – qu'il ne la voterait pas parce qu'il estimait qu'elle n'était pas conforme au droit européen.

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