Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous savons malheureusement, par expérience, que la démarche dite de « simplification du droit » n'est pas sans risque. Comment ne pas avoir le même sentiment d'insécurité juridique, lorsque nous examinons un texte qui comprend plus de 200 articles et modifie plus de cinquante codes ?
Les arguments développés dans notre motion de rejet préalable portaient sur l'inconstitutionnalité, notamment au regard des principes de l'égalité et de l'intelligibilité de la loi. Sur le fond, le texte issu de la CMP comporte des améliorations que nous avions souhaitées, souvent en vain devant l'Assemblée, mais que, grâce à la sagesse du Sénat, nous avons pu faire prospérer. Il s'agit particulièrement de la possibilité de mentionner le partenaire du PACS dans l'acte de décès. J'ai proposé un amendement proposant une telle disposition lors de l'examen de six textes de loi successifs, sans aucun succès. Mais la persévérance aidant et en dépit de l'hostilité du rapporteur, le Sénat a été convaincu. Cette question, qui touche à la vie quotidienne, n'est pas secondaire. Nous ne débattons pas ici de problèmes de succession, mais de circonstances dramatiques que sont le décès et l'organisation des funérailles. Cela a d'ailleurs évoqué, me semble-t-il, dans un rapport du Médiateur. Cette décision va dans le bon sens.
Nous nous félicitons également que ce texte ne comporte plus, in fine, la disposition portant sur les fichiers de police. Le combat mené par l'opposition sur cet aspect du texte est aujourd'hui couronné de succès.
Je veux enfin noter, parce que c'est une initiative de notre collègue sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur et qu'elle a fait l'objet d'un consensus, l'introduction d'articles sur la modernisation des procédures d'autopsie judiciaire. C'est une bonne chose.
Au-delà de ces dispositions satisfaisantes que nous avons proposées et soutenues dès l'origine, ce texte comporte encore des mesures que nous avons combattues, car elles sont, à nos yeux, juridiquement contestables et inacceptables sur le fond.
Il en est ainsi de l'article qui précise que, « lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision » Dès sa publication, ce texte a fait l'objet de contestations par la doctrine, notamment. Tout le monde sait que cette initiative limitant le droit des tiers a pour objet de faire obstacle à une jurisprudence du Conseil d'État et que son interprétation sera source de contentieux. Alimenter ainsi les tribunaux, c'est, me semble-t-il, une décision politique qui ne peut pas s'inscrire dans une démarche de simplification.
Comme nous l'avons précisé dans la motion de rejet, l'article, qui dispense de la production du rapport public dans certaines circonstances, pose une question d'ordre juridique. Des exemples ont été donnés, d'ailleurs loyalement, dans le rapport rédigé avant l'examen de ce texte en deuxième lecture. De quoi s'agit-il ? Pourraient être concernés, par exemple, le contentieux des retraits automatiques de points sur le permis de conduire, le contentieux des naturalisations ou le contentieux des refus de séjour, éventuellement assortis d'une obligation de quitter le territoire français. Vous pouvez penser que, dans ces circonstances, les intéressés ne peuvent bénéficier que d'une procédure allégée, mais ne nous parlez surtout pas de simplification ! Il n'est pas anodin de simplifier la procédure du contentieux des refus de séjour assortis ou non d'une obligation de quitter le territoire français en dispensant de produire le rapport public. L'enjeu est essentiel pour la vie du demandeur. Certes, pour beaucoup, le retrait automatique de points sur le permis de conduire peut être un drame, mais on ne peut comparer ce contentieux avec celui des naturalisations ou celui des refus de séjour. De ce point de vue, vous avez vous-mêmes donné des exemples dont peuvent être tirés des arguments d'inconstitutionnalité, puisque ces questions fondamentales touchent aux libertés publiques et à la liberté individuelle.
Je n'ai pas non plus été convaincu par votre réponse, monsieur le rapporteur, concernant l'initiative que le président de la commission des lois, instruit par son expérience personnelle ou par celle de divers élus, a prise au sujet du travail dissimulé et de la rupture du contrat. On peut en faire deux lectures, l'une privilégiant l'intérêt du donneur d'ordre, de l'élu local, qui a besoin que le marché se poursuive, et l'autre l'intérêt général. À quel niveau devons-nous situer notre exigence dans la lutte contre le travail clandestin ? Cela suppose-t-il des arrangements de nature contractuelle ? Je ne le pense pas. Même si le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas notre argumentation, convenez que cette difficulté est aussi de nature politique.
Nous nous interrogeons également, au plan juridique comme au plan politique, sur l'initiative tendant à modifier les circonstances de la sortie de l'ENA pour les auditeurs de justice. Le premier texte remettant en cause l'affectation des élèves à la sortie de l'ENA était une atteinte à nos principes républicains. Je suis très hostile à la remise en cause d'une règle républicaine qui, jusqu'à présent, a fait consensus. On pouvait la trouver imparfaite, mais elle était la moins mauvaise et la plus juste. Les élèves choisissaient alors leur poste en fonction de leur classement. Vous avez remis cette disposition en cause. Un jour ou l'autre, si ce texte n'est pas modifié, vous rencontrerez des difficultés à l'appliquer. Dans la situation juridique actuelle, une suspicion pèsera sur le choix des administrations, ce qui est bien naturel dès lors que les critères ne sont pas clairs. Mais je ne répéterai pas ce qu'a dit Jean-Michel Clément dans sa défense de la motion de rejet préalable.
Si on l'examine d'un point de vue juridique, on voit bien que cette démarche de simplification n'est pas exempte de considérations très politiques. Pour mesurer votre degré d'ouverture, nous vous avons soumis une proposition qui, dans l'état d'esprit de la simplification du droit, tombe sous le sens : il s'agit de l'abrogation de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui réprime le délit d'offense au chef de l'État. Il est en effet singulier de constater, dans notre droit, la persistance d'une disposition punissant ce délit d'une amende de 45 000 euros. Cette mesure, tombée en désuétude, ne fut pas utilisée sous les présidences de Valéry Giscard d'Estaing, de François Mitterrand et de Jacques Chirac, qui avaient même pris des engagements à cet égard. Je regrette que, à l'époque, M. Warsmann n'ait pas été président de la commission des lois, car il n'aurait pas manqué d'abroger cette disposition dans une proposition de loi visant à simplifier le droit. Le plus surprenant, c'est qu'on a ressuscité ce texte après qu'une personne, qui considérait que la parole du Président de la République pouvait constituer une référence collective, avait repris certains propos tenus par Nicolas Sarkozy lui-même au salon de l'agriculture, dans des circonstances que chacun connaît et que je ne veux pas répéter à cette tribune. Pour ce motif, cette personne a été poursuivie devant le tribunal correctionnel, dont la décision a été confirmée par la cour d'appel : dans une décision rédigée en des termes assez humoristiques, le premier juge du tribunal de Laval avait cependant renvoyé au législateur le soin de constater que ce texte devait sortir de notre droit positif.
La situation est d'autant plus incongrue que, à l'origine, deux textes identiques réprimaient, l'un, l'offense au Président de la République française et, l'autre, l'offense à un chef d'État étranger. Or il se trouve que, à propos du second texte, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour violation de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protégeant la liberté d'expression. Mais, le recours ne portant que sur l'offense aux chefs d'État étrangers, c'est cette seule disposition que vous avez accepté d'exclure de notre droit. Si l'on veut éviter une nouvelle condamnation de la France, la simplification du droit semble le cadre idéal pour agir. En dépit de demandes réitérées, nous n'avons remporté aucun succès. In fine, votre souci de simplification s'arrête à des considérations parfois très politiques.
Nous sommes par conséquent très opposés à cette méthode et à certaines dispositions, ce qui justifie que nous nous prononcions contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)