Je tiens à dire en premier lieu la fierté que j'ai à présenter aujourd'hui ce rapport après son adoption par la mission d'information.
Nous avons su travailler, avec l'ensemble des membres de la mission, dans un esprit positif et réfléchi. Nous avons atteint, me semble-t-il, nos objectifs. Nous avons étudié ce sujet complexe, délicat et bien souvent douloureux, sans a priori, afin de faire non pas oeuvre de moralisateurs mais oeuvre d'acteurs publics éclairés, oeuvre de juristes, puisque cette mission a trouvé sa place au sein de la commission des Lois, et oeuvre de responsables politiques. Toutes les familles politiques représentées au sein de la mission ont travaillé dans une belle harmonie républicaine.
Je salue notre présidente, ainsi que tous les membres de la mission dont les réflexions ont été autant de contributions décisives.
Nous avons pu clore ce long travail d'entretiens et de déplacements par trois rencontres décisives avec les ministres concernés par la question de la prostitution : Mme Roselyne Bachelot, M. Michel Mercier et M. Claude Guéant. Nous avons reçu d'entre eux un accueil extrêmement intéressé et positif, chacun nous faisant savoir son intérêt pour la globalité de notre réflexion.
Nous avons souhaité travailler en partant des principes qui fondent notre République : l'égalité entre les hommes et les femmes, le respect de la dignité, la lutte contre les violences quelles qu'elles soient, notamment les violences de genre. Beaucoup des réflexions que nous avons menées trouvent des points de convergence non surprenants avec le travail fourni dans le cadre de la mission sur les violences faites aux femmes.
Notre travail s'est déroulé à plusieurs niveaux. D'une part, nous avons tenté de réaliser un état des lieux de la prostitution, ce qui n'a pas été une mince affaire. D'autre part, nous avons mené une réflexion sur la prétendue nécessité sociale de la prostitution, et plus largement sur tous les préjugés et idées reçues qui l'entourent. Enfin, nous avons formulé trente préconisations qui portent sur les trois acteurs de la prostitution que sont les personnes prostituées, les proxénètes et les clients.
Nous en sommes parvenus à la conclusion que la personne prostituée doit être protégée et aidée lorsqu'elle souhaite quitter la prostitution ; la lutte contre le proxénétisme et la traite doit être accentuée ; enfin, le client, qui fait aujourd'hui l'objet de l'attention des médias, doit prendre conscience qu'il est à l'origine de situations contraires à la dignité humaine.
L'état des lieux de la prostitution aujourd'hui en France n'a pas été aisé à établir. Nous proposons d'ailleurs qu'une enquête nationale soit menée à ce sujet. Par ailleurs, la prostitution des mineurs comme la prostitution en milieu étudiant doivent faire l'objet d'une attention particulière. Aujourd'hui, le nombre de personnes prostituées est évalué, par l'office central de lutte contre la traite des êtres humains, à 20 000, dont 85 % de femmes.
Il y a vingt ans, seules 20 % de personnes étrangères exerçaient la prostitution en France. Aujourd'hui, la proportion est plus qu'inversée, puisque 90 % des personnes prostituées exerçant sur la voie publique sont de nationalité étrangère et le plus souvent en situation irrégulière. Elles viennent principalement de Roumanie, de Bulgarie et des pays voisins, mais aussi, pour l'Afrique, du Nigeria et du Ghana. La prostitution chinoise se développe également.
Nous avons également constaté que la prostitution, y compris chez celles qui déclarent l'avoir choisie, a des conséquences non négligeables et irréversibles. Plus de la moitié des personnes prostituées ont été violées plus de cinq fois. Elles ont par ailleurs cent fois plus de risques de mourir assassinées que le reste de la population. Ce n'est pas là une activité banale ! Au contraire, elle a de lourdes conséquences.
La prostitution n'est jamais exercée de gaîté de coeur. Elle est bien souvent liée à un événement traumatique, parfois dans l'enfance de ces personnes. On pourrait penser que tel n'est pas le cas dans la prostitution dite « de luxe ». Et pourtant, près de la moitié des escortes ont vécu antérieurement un événement qui a permis le passage à l'acte et l'entrée dans la prostitution.
En matière de politiques publiques, le bilan est contrasté. Lorsque la France a signé, en 1960, la Convention des Nations unies de 1949 sur la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle d'autrui, elle a adopté une position abolitionniste dont le postulat fondamental est que les personnes prostituées sont des victimes et qu'il convient de punir ceux qui les exploitent. Ce qui était valable en 1949 l'est encore plus aujourd'hui, puisque les réseaux de traite ont pris une place considérable dans le système prostitutionnel actuel.
La politique de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains a donné des résultats satisfaisants. Nous avons également eu des échanges instructifs sur l'infraction de racolage, dont le but premier était le maintien de l'ordre public et le démantèlement des réseaux. La police a indiqué son utilité ; les associations ont, quant à elles, constaté qu'elle avait contribué à fragiliser les personnes prostituées, désormais isolées en périphérie des zones urbaines.
Nous n'avons cependant pas souhaité centrer nos réflexions sur l'opportunité de maintenir ou non le délit de racolage et ce, d'autant plus qu'une directive européenne va nous conduire à lever les sanctions pesant sur les personnes prostituées victimes de la traite. Nous n'ignorons pas qu'un repositionnement sera nécessaire à terme et nous proposons d'ailleurs que soit évalué l'ensemble de la « boîte à outil » législative sur la prostitution un an après l'entrée en vigueur des dispositions de pénalisation du client.
La déserrance est totale en matière d'accompagnement social des personnes prostituées. Les pouvoirs publics se donnent bonne conscience en finançant les associations d'aide aux personnes prostituées, qui font d'ailleurs toutes un travail admirable. Mais cela ne suffit pas. En réalité, les personnes prostituées souffrent de leur situation avant, pendant et après la prostitution. Quand elles veulent sortir de la prostitution, c'est à nouveau le parcours du combattant ! Les personnes que nous avons rencontrées nourrissent ainsi de fortes inquiétudes sur leur reconstruction psychique et quant à leur identité même.
Nous nous sommes ensuite interrogés sur ce qu'est fondamentalement la prostitution. Pourquoi la prostitution est-elle considérée comme un invariant social, une activité utile à la société, vouée à ne jamais disparaître ? Nous avons entendu, en Espagne, que la prostitution protégeait l'institution du mariage, les maris volages n'entretenant pas de réelles relations adultères grâce à la prostitution. Plus encore, la prostitution limiterait le nombre de viols ! Bien au contraire, des études menées en Suède et au Nevada montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre la légalisation de la prostitution et la diminution du taux de viol, bien au contraire.
La prostitution permettrait également de répondre à la misère sexuelle dans laquelle sont plongés certains hommes. Mais, plus de deux tiers des clients de la prostitution sont ou ont été en couple, et près de la moitié sont des pères de famille. Ce n'est pas là l'idée que l'on se fait de la misère sexuelle ! Par ailleurs, on entend souvent que la prostitution soulagerait les maux psychologiques de certains. Là encore, comme nous l'a dit une jeune femme anciennement prostituée, « notre corps est engagé ». Ce n'est pas un réconfort moral que les personnes prostituées amènent au client. Enfin, la prostitution libre n'existe pas. Une contrainte préside toujours au choix de la personne.
Nous ne sommes pas des moralistes, ni des puritains, mais bien des citoyens. C'est à l'aune des valeurs de la République, telles qu'elles sont traduites dans notre droit, que nous avons analysé la prostitution. En premier lieu, la non patrimonialité du corps humain, qui figure à l'article 16-1 de notre code civil, fait obstacle à la marchandisation du corps humain.
Ensuite, la violence subie au quotidien par les personnes prostituées est incompatible avec le principe d'intégrité du corps humain. Les divers témoignages recueillis par la mission d'information font état des sévices terribles vécus par les personnes prostituées victimes de la traite : violées, privées de sommeil, battues, elles se sentent presque libérées lorsqu'elles arrivent sur les trottoirs français.
« La prostitution abîme », nous a confié l'une d'entre elles. Nous garderons longtemps en mémoire les larmes des personnes que nous avons pu rencontrer. Les psychiatres font ainsi un rapprochement entre les violences subies par les personnes prostituées et les traumatismes résultant des violences les plus graves.
Enfin, l'égalité entre les hommes et les femmes constitue le dernier repère. La même réflexion sur l'égalité de genre a conduit les Suédois à libéraliser les moeurs dans les années 1970 et à pénaliser les clients en 1999. De fait, les clients sont presque exclusivement des hommes. Est-il normal que des corps de femmes soient en permanence à leur disposition ? On nous a indiqué que des rues dédiées à la prostitution étaient interdites en Allemagne aux femmes non prostituées. Lorsque la mission s'est rendue à La Jonquera, en Espagne, l'entrée des maisons closes a été refusée aux membres féminins de la délégation. Les personnes prostituées qui y travaillaient étaient d'ailleurs conduites sur les lieux par des hommes. C'est dire si cette question est sexuellement clivée.
L'analyse politique, juridique et républicaine de la prostitution nous a conduit à formuler 30 propositions, visant les clients, les proxénètes et les personnes prostituées.
Nous avons été sensibles à l'exemple suédois et à ses résultats spectaculaires et incontestés. En dix ans, la prostitution de rue a diminué de moitié et elle ne s'est pas réfugiée ailleurs, sur Internet ou sur des bateaux en mer Baltique. Des écoutes téléphoniques réalisées par la police suédoise ont montré que désormais les réseaux se désintéressaient de la Suède, ce qui a également eu un impact sur la criminalité de manière générale.
Le corps social comme le corps politique se sont d'ailleurs rendus à l'évidence. Alors que seul un tiers de la population soutenait la loi pénalisant le client en 1999, ce sont aujourd'hui les trois quarts qui s'expriment en sa faveur. Il en va de même au sein des partis politiques : ceux qui n'avaient pas voté la loi en 1999 ont affirmé qu'ils agiraient tout autrement aujourd'hui, tant la loi a fait la preuve de son efficacité.
À tout le moins, nous devons essayer d'aller dans cette direction en créant un délit de recours à la prostitution, mais surtout en sensibilisant les clients par le biais de rappels à la loi. D'ailleurs, en Suède, ce délit n'a donné lieu qu'à 700 peines d'amende en 10 ans, et à aucune peine d'emprisonnement. La répression a donc posé une sorte de frein mental à la prostitution, ce qui a permis la diminution de celle-ci.
Les personnes prostituées doivent être mieux accompagnées qu'elles ne le sont aujourd'hui. Elles doivent bénéficier d'un accompagnement intégral. Les associations fournissent aujourd'hui un travail admirable. Mais, comme le tonneau des Danaïdes, ce travail se perd dans les sables. C'est pourquoi nous proposons que des référents soient instaurés dans chaque service de l'État concerné, afin de faciliter le parcours administratif des personnes prostituées. Ensuite, nous devons prendre des dispositions intelligentes et responsables en matière de délivrance de titres de séjour. De même, l'accès au logement, aux soins, à la formation et à l'emploi doit être assuré.
Le proxénétisme fait d'ores et déjà l'objet d'une lutte efficace, qui doit être amplifiée et systématisée. Nous devons tirer parti des dispositifs communautaires que sont Europol et Eurojust. Il est aujourd'hui nécessaire de s'appuyer sur ces institutions. De même, des partenariats doivent être noués avec les chaînes hôtelières qui abritent malgré elles des « sex tours ». En outre, la presse quotidienne régionale, qui publie des petites annonces à caractère prostitutionnel dans l'impunité la plus totale, doit être sensibilisée à la question.
Enfin, il faut davantage confisquer les avoirs criminels. L'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que le président Jean-Luc Warsmann et moi-même avons d'ailleurs contribué à créer, devra prendre la place qui lui revient sur cette question qui génère des flux financiers considérables.
La traite et la prostitution, loin d'être deux phénomènes distincts, se confondent de plus en plus. C'est pourquoi nous avons présenté ces conclusions, dont nous pensons qu'elles sont cohérentes et respectueuses de l'ensemble des valeurs fondatrices de notre République.
Le 13/04/2011 à 22:38, Act Up-Paris a dit :
Pénaliser les clients nuit à la santé des prostituéEs
http://www.actupparis.org/spip.php?article4448
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