Comment allons-nous donc faire, tout en respectant l'esprit de la directive autant que sa lettre, pour ne pas être plus rigoureux envers nos propres entreprises que les autres pays de l'Union envers les leurs ? Car ce serait une manière, par excès de contrôle, de réintroduire les éléments d'une distorsion de concurrence que la directive s'emploie à supprimer.
Je me joins enfin à la préoccupation exprimée par Philippe Vitel, qui concerne les contrôles a posteriori. Nous devons impérativement veiller à ce que ces derniers, que la simplification rendra plus nombreux, soient les mêmes dans tous les pays de l'Union, afin que notre rigueur n'aille pas de pair avec le laxisme des autres.
Quant à la directive du 13 juillet 2009, qui crée le marché européen de la défense, elle représente incontestablement, comme la première, une opportunité, à condition, là aussi, que nous soyons vigilants sur deux ou trois points.
Le premier, que vous avez évoqué vous-même, monsieur le ministre, est la préférence communautaire. Je veux revenir au débat que nous avons eu en commission de la défense il y a quelques jours, afin d'apporter quelques précisions et de vous interroger.
La préférence communautaire résulte de l'introduction dans le texte de loi français d'un amendement déposé au Sénat et qui vise à protéger notre industrie d'une concurrence déloyale ou déséquilibrée. La préférence communautaire, visée à l'article 37-2 de l'ordonnance de 2005, est un dispositif souhaitable ; l'amendement est opportun et de nature à protéger notre industrie.
Cela étant, on ne peut manquer de s'interroger sur les fondements juridiques de ce dispositif. En effet, le seul alinéa de la directive qui le fonde ne figure pas dans le texte même, mais dans ses considérants : il s'agit du considérant 18. Il sera laissé à l'appréciation de la Cour de justice de l'Union européenne, qui s'exprimera dans la jurisprudence que celle-ci élaborera.
On a dit en commission – c'est vous qui l'avez dit, je crois, monsieur Fromion – que vous aviez demandé à la Commission européenne si elle acceptait ce principe de préférence communautaire tel qu'il figure dans le texte de loi français. Elle l'a accepté en effet ; mais, comme M. Gilles Briatta, secrétaire général aux affaires européennes, l'a lui-même indiqué, lorsque la Cour de justice de l'Union européenne examine des directives européennes dans le cadre d'un contentieux, elle en fait prévaloir le texte sur les considérants. Or, je le répète, le texte de loi français se fonde sur le considérant 18 et non sur la directive proprement dite, puisque nos partenaires de l'Union n'ont pas souhaité y introduire la préférence communautaire.
Je vous le demande donc à nouveau, monsieur le ministre : quel est le fondement juridique de la préférence communautaire ? Quelle est sa solidité ? Pensez-vous que nous serons en mesure de défendre nos intérêts devant le juge dans des conditions satisfaisantes ? Comme Jean-Pierre Chevènement, je suis enclin à croire, à la lumière des débats qui ont eu lieu au Sénat, que notre argumentation juridique est faible ; mais peut-être disposez-vous d'éléments que nous ignorons et qui rendent ce fondement juridique plus solide.
En deuxième lieu, j'en viens à l'article 346 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne. Cet article dérogatoire aux préconisations de l'Union européenne en matière de marchés publics, élaborées en 2004, permet de protéger des secteurs stratégiques, qui requièrent le secret ou dans lesquels sont menés des projets de recherche et développement trop importants pour ne pas être soustraits à la logique du marché. Or votre prédécesseur, monsieur le ministre, a dit aux sénateurs que, sur tous les sujets qui nous semblent les plus importants, nous pourrions faire prévaloir nos intérêts en nous fondant sur cet article 346.
Toutefois, ces points font l'objet de deux questions préjudicielles devant la Cour de justice de l'Union européenne, qui est en train de définir très précisément, par la jurisprudence, le périmètre de l'article 346 ; et il y a relativement peu de chances que la Commission européenne continue de laisser la jurisprudence faire son oeuvre sans être tentée d'introduire dans une directive des préconisations plus précises.
Ces quelques incertitudes en droit ne sont rien d'autre que le résultat de l'absence de volonté politique de l'Union européenne de protéger véritablement son marché au moment où elle abat les frontières en son sein. Car, comme le disait M. Vandewalle, il y a une grande différence entre l'absence de volonté de l'Union d'instaurer la préférence communautaire et l'attitude de notre principal concurrent, les États-Unis : à l'heure où ceux-ci recourent au Buy American Act et aux proxy boards, qui définissent très précisément les conditions d'intervention des industriels venus vendre aux États-Unis, de production, d'emploi de cadres, nous sommes incapables d'inscrire la préférence communautaire dans nos directives, lui donnant ainsi une assise juridique très fragile. Face à tout cela, que faire ? N'y a-t-il pas d'autres textes en préparation ?
Tels sont les quelques points que je voulais évoquer, à propos d'un texte qui fait consensus, car il y est question de sujets essentiels : la construction de l'industrie de défense et le renforcement de notre base industrielle et technologique. Or, sur ces sujets hautement stratégiques, il est bon que nous cheminions de concert. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)