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Intervention de Yves Fromion

Réunion du 12 avril 2011 à 15h00
Contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Fromion, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées :

Monsieur le président, mes chers collègues, M. le ministre vient de le rappeler, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui revêt une importance déterminante pour nos armées et pour nos industries de défense.

La complexité et l'aridité technique de ce texte, que M. le ministre a tenté de rendre poétique, ne doivent pas masquer le caractère stratégique des décisions que nous allons prendre. Nos choix auront en effet un impact évident sur les industries de défense et surtout sur les sous-traitants. Ils orienteront également notre positionnement sur la scène internationale et auront donc un effet sur notre bilan commercial extérieur.

Je n'entrerai pas dans le détail du texte – M. le ministre vient de le faire – et, puisque nous sommes tous familiers des deux directives que nous transposons, je me contenterai de rappeler les points qui me paraissent les plus importants.

Je voudrais insister sur le poids des industries de défense dans l'économie nationale. Divers sites industriels sont implantés dans certaines de nos circonscriptions, et nous savons ce que ce secteur représente en termes d'emploi – plus de 160 000 emplois directs. Nous devons conserver ces objectifs en mémoire, tout au long de l'examen du texte et le débat technique ne doit pas nous les faire perdre de vue.

Je dois dire d'emblée que, tel qu'il a été adopté par le Sénat et complété par la commission de la défense, le texte me semble préserver et conforter les intérêts essentiels de la France, de ses forces armées et de ses industriels. L'ensemble des personnes que j'ai pu auditionner, notamment les industriels, se sont d'ailleurs déclarés, ainsi que l'a rappelé M. le ministre, particulièrement favorables aux grandes orientations et aux modifications opérées dans le texte du projet de loi.

Avant de détailler les grands axes du texte, je tiens à souligner que la France sera l'un des premiers, voire le premier pays, à transposer le nouveau dispositif communautaire, communément appelé « paquet défense ». Nous devons nous en réjouir, car c'est l'intérêt global de notre économie, de nos industriels et de nos forces armées, mais aussi mesurer le fait que nos choix seront examinés par nos partenaires, certains attendant notre transposition pour en reprendre l'économie générale.

J'en viens au chapitre Ier du projet de loi qui transpose la directive « transferts ». Ce qui fait l'originalité de la démarche française, c'est que, en même temps que cette transposition, le Gouvernement a souhaité moderniser notre dispositif de contrôle des importations et exportations hors de l'Union européenne. Il ne s'agissait pas d'une obligation, mais, pour avoir beaucoup travaillé sur ce sujet, je suis convaincu du bien-fondé de cette initiative. Notre système était devenu trop complexe et l'apparition d'un nouveau régime intracommunautaire risquait de rendre l'ensemble incompréhensible, avec des dispositions différentes, selon que l'on était en intracommunautaire ou en extracommunautaire. Ce travail fait d'ailleurs écho aux recommandations que j'avais faites dans le cadre de la mission que m'avait confiée le Premier ministre en juin dernier.

Les nouvelles modalités, je le répète, n'affaiblissent en aucun cas le contrôle de l'État sur le commerce des matériels de guerre, que ce soit hors ou au sein de l'Union. Il est important de le rappeler. Le projet de loi maintient et conforte le principe général d'interdiction du commerce des armes de guerre sans autorisation préalable. En améliorant la lisibilitédu système et en renforçant les contrôles a posteriori, il devrait même en améliorer l'efficacité, de même qu'il nous met en phase avec l'ensemble des pays qui sont de grands intervenants dans le domaine du marché des armements.

Le texte hiérarchise les contrôles en distinguant les opérations réalisées hors du territoire de l'Union européenne des opérations intracommunautaires, désormais appelées « transferts ». Pour les exportations et les transferts, il instaure par ailleurs un mécanisme de licences permettant un traitement différencié selon les matériels et les destinataires considérés. Les services de l'État, notamment la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, placée auprès du Premier ministre, pourront ainsi se concentrer sur les enjeux essentiels. Tous les dossiers ne méritent pas d'être traités de la même manière. Il faut arrêter de soumettre à la même procédure l'exportation de missiles de croisière ou celle de gilets pare-balles – je ne caricature pas.

Dans tous les cas, sauf pour les matériels spatiaux, le système actuel d'autorisation en plusieurs étapes est supprimé et remplacé par une autorisation unique ; l'autorisation préalable ne disparaît donc pas. En contrepartie, le texte, s'inspirant des pratiques de plus en plus fréquentes, notamment chez certains de nos concurrents sur le marché mondial, renforce les obligations et les contrôles a posteriori, puisque c'est dans ce domaine des réexportations de matériels vendus à certains pays que des suspicions et des faiblesses peuvent se manifester.

Pour les transferts, le texte crée également une procédure de certification des opérateurs. Il appartient à chaque État de l'Union de délivrer cette certification et d'apporter ainsi des garanties quant à la fiabilité de l'opérateur. Cette mesure est indispensable pour créer une confiance réciproque. Il faut par exemple que les États puissent être certains que les clauses de non-réexportation seront bien respectées dans tous les États. Si nous voulons que ce système fonctionne, il faudra veiller à l'harmonisation des différentes procédures de certification. Il existe un risque que certains pays soient plus soucieux que d'autres de la qualité des certifications. Pour éviter de trop grandes disparités entre les États membres, nous souhaitions, monsieur le ministre, que l'on réfléchisse à l'idée de confier à l'Agence européenne de la défense un rôle de médiateur. L'Agence pourra avoir pour mission de procéder à une sorte d'audit des certifications réalisées en intracommunautaire, de façon à éviter les disparités dans la valeur de la certification entre tel et tel pays, qui empêcheraient que les règles de confiance s'établissent. Un arbitre est nécessaire. Il n'est pas prévu dans les directives. La commission de la défense a repris ma suggestion, afin que l'Agence européenne puisse être saisie de cette affaire. J'ai évoqué le principe avec les responsables de l'Agence. Il semble que la proposition soit recevable.

En définitive, le nouveau dispositif s'inscrit donc dans la continuité des procédures actuelles et les améliore. Il faut rappeler que la France est déjà exemplaire en matière de contrôle, même si cela se sait et se dit trop peu souvent. La plupart de nos partenaires communiquent beaucoup sur ces sujets. La France apparaît encore en retrait sur ce point. Sans tout rendre public, nous pourrions peut-être mieux expliquer et mieux valoriser nos méthodes. Chaque année, les services du ministère publient un rapport de grande qualité sur nos exportations. Il pourrait encore gagner en clarté et en lisibilité, même si des améliorations ont été apportées, année après année.

Le texte transpose également la directive de 2009 relative aux marchés de défense et de sécurité. L'essentiel de la transposition se fera par voie réglementaire et concernera le code des marchés publics. Il convenait cependant d'ajuster plusieurs dispositions législatives.

Le projet de loi ne devrait avoir qu'un impact limité pour le ministère de la défense dont l'essentiel des marchés relève de la procédure dérogatoire prévue par l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Cet article existe depuis les origines de l'Union européenne, puisqu'il date du traité de Rome. C'est dire son importance. Cet article du traité de Lisbonne sort du champ des marchés publics les marchés qui ont trait à la production d'armes de guerre ou qui concernent les intérêts essentiels de la sécurité de l'État.

Cette partie du projet de loi a été significativement et opportunément complétée par le Sénat. Je tiens à rendre hommage à nos collègues sénateurs, car ils ont fait un excellent travail, sous la conduite du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Josselin de Rohan. Ils ont apporté à ce texte européen difficilement applicable un certain nombre d'éléments forts, qui protègent nos industriels, sans pour autant transformer la France et l'Europe en une sorte de forteresse, puisque ce n'est absolument pas l'esprit du traité de l'Union européenne. Ils ont voulu que soit prise en considération, par exemple, l'exigence de réciprocité : on ne peut pas accepter que les industriels de certains pays viennent chasser sur nos terres, et que les mêmes pays se ferment à nos industriels, lorsque des marchés y sont ouverts. Ce principe de réciprocité a été inscrit dans le texte par les sénateurs, qui ont fait un excellent travail.

La commission de la défense a conforté ces avancées en intégrant notamment la référence aux considérations sociales, et donc à l'emploi. Dans les conditions actuelles, la défense de l'emploi est également une priorité pour le Parlement.

En conclusion, il me semble que le texte est bien équilibré : il transpose avec mesure et raison les stipulations communautaires. Les modifications apportées par le Sénat vont dans le bon sens et nous avons le devoir de les conforter. Les ajustements que la commission a adoptés s'inscrivent dans cet esprit. Je vous recommande donc de suivre l'avis de la commission de la défense en adoptant ce projet de loi.

Je ne peux terminer mon propos sans souligner que ce texte constitue, quoi qu'il en soit, une avancée notable dans la construction d'une Europe de la défense. En cette période où le pessimisme va bon train, il me paraît indispensable de saluer chaque progrès accompli, même si l'on est encore, dans certains domaines, loin du compte.

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