Je tiens tout d'abord à vous remercier de vous être mobilisés au moment du débat sur le livret A. Lorsque vous m'aviez auditionné, le 9 février dernier, en compagnie de Michel Bouvard, la situation était d'autant plus menaçante que l'on ne mesurait pas bien la portée et l'importance de l'accroissement des encours du livret A.
Si j'ai alors considéré qu'il était de mon devoir d'alerter la représentation nationale sur le fait que le livret A est un bien public, c'est parce que j'en mesure l'utilité sur le territoire et parce que les encours explosent depuis qu'en 2004 la conjonction du plan national de rénovation urbaine et du plan de cohésion sociale a entraîné un accroissement spectaculaire du flux annuel de prêts au logement social et à la politique de la ville. Auparavant, le montant des nouveaux prêts était chaque année de 3 à 4 milliards d'euros, soit autant que les remboursements, et le stock des prêts sur le livret A demeurait donc stable. Or, en 2010, nous avons prêté 16,1 milliards d'euros au logement social et à la politique de la ville, soit 3,7 fois plus qu'en 2004. Mais les prêts ayant une durée de 40 ans, et même de 50 ans pour le foncier, le montant des remboursements n'a que peu crû et le stock s'accroît donc chaque année d'une dizaine de milliards d'euros. Avec une ressource du livret A et du LDD centralisée de 170 milliards l'an dernier et un stock de prêts habitat-ville appelé à passer dans les années qui viennent de 110 à 160 milliards, nous risquons de nous trouver, d'ici quatre ou cinq ans, en pénurie de ressources.
Au moment du débat sur la centralisation, beaucoup ne comprenaient pas les craintes de la Caisse des dépôts vis-à-vis d'un système qui fonctionnait de manière satisfaisante depuis trente ans. Je confirme donc que la représentation nationale a des motifs de se préoccuper de la gestion de ce bien public qu'est le livret A parce que la construction de logements sociaux a explosé depuis 2004-2005, sans que d'ailleurs cela suffise à régler les problèmes de logement de nos concitoyens. Pour compenser la décohabitation et le départ de plus en plus précoce des enfants du domicile familial, on estime que, pour maintenir le nombre des habitants d'une commune, il faut accroître chaque année de 5 à 10 % le nombre des logements.
Grâce aux prêts sur fonds d'épargne, nous avons aidé l'an dernier à financer 130 000 logements sociaux – c'est un record – et, bien que nos prévisions soient à l'avenir de 90 000 logements par an, nous estimons que l'encours, c'est-à-dire le stock des prêts sur livret A, va passer de 110 milliards cette année à 160 milliards en 2016.
Le Gouvernement envisageait, dans le projet de décret, de plafonner à 3 % la collecte annuelle au profit de la CDC, toute la part au-delà allant au système bancaire. Ce plafonnement me paraissait mortifère et je me réjouis que le Gouvernement y ait renoncé à la suite du débat qui s'est instauré parce que la représentation nationale s'est saisie de ce sujet. Je crois que le décret qui a finalement été pris préserve l'avenir dans la mesure où si nous nous apercevons, en 2014-2015, que le financement du logement social est menacé par une absence de ressources, il sera possible d'utiliser de nombreux leviers, comme par exemple d'augmenter le plafond du livret A pour alimenter le financement du logement social.
Dès lors que la Commission des affaires économiques avait été saisie au fond du projet de loi de modernisation de l'économie, il me semblait nécessaire de faire aujourd'hui devant elle le point à ce propos.
Mais, vous l'avez dit monsieur le président, la présente audition porte sur les autres activités de la Caisse des dépôts et je vais m'efforcer de répondre aux questions que vous m'avez posées.
Je rappelle en préambule qu'en 2010 nos résultats ont été élevés, avec un total de 2,15 milliards d'euros pour l'ensemble du groupe. Hors éléments exceptionnels, notre résultat récurrent – 1,8 milliard – est le plus élevé de l'histoire, de même que notre niveau de capitaux propres, qui atteint 20,2 milliards. On peut donc dire que la Maison a effacé la crise.
La Poste est un sujet d'actualité puisque nous allons participer demain à notre premier conseil d'administration de cet établissement.
Je tiens tout d'abord à vous rassurer quant au maintien des missions d'intérêt général et de service public dans le cadre de cette opération. Ces missions ont été précisément codifiées par la loi du 9 février 2010, La Poste et l'État ayant des obligations respectives à ce titre. Par ailleurs, La Poste s'est engagée à maintenir ses points de contact sur l'ensemble du territoire. Ce réseau de proximité est pour elle une force et un atout. Je sais que vous y êtes attentifs et nous avons créé les conditions pour que la Caisse des Dépôts soit pleinement associée à La Poste dans le respect de ses engagements.
Nous avons négocié notre entrée au capital en veillant à ne jamais nous trouver en divergence avec les missions d'intérêt général de La Poste. Certains ont pu penser que nous nous étions montrés rugueux dans la négociation de nos conditions d'entrée au capital et que nous avions tiré le prix vers le bas. Mais je l'ai fait tout simplement parce que je ne veux me trouver à aucun moment en situation de dire au président de La Poste que la rentabilité exige de supprimer davantage de points de contact ou d'emplois. J'ai toujours considéré que notre investissement avait pour seul objectif d'aider à la modernisation de cette entreprise publique. Il n'est pas fréquent que l'État décide d'apporter du capital à une entreprise alors qu'elle n'est pas en crise. Or, La Poste n'est pas en crise et on a pourtant décidé de lui apporter 2,7 milliards d'euros pour investir – 1,2 milliard provenant de l'État et 1,5 milliard de la CDC. Nous avons pris soin que cette entrée se fasse à partir d'une valeur des fonds propres suffisamment raisonnable pour que nous puissions « acheter » le business plan dans l'état dans lequel son président l'avait présenté à son conseil d'administration, qui l'avait approuvé. Nous entrons donc à La Poste, à hauteur de 26,3 % du capital, de plain-pied avec les projets de M. Jean-Paul Bailly, sans remettre en cause quoi que ce soit et en étant partie prenante des missions de service public que nous souhaitons maintenir, tout en étant assurés qu'il s'agit d'un investissement raisonnable pour la Caisse des dépôts. Je tiens à ce propos à rendre hommage à Mme Lagarde, qui a mené les négociations avec nous et qui a compris que le fait que nous entrions au capital à un prix raisonnable allait dans le sens de l'intérêt collectif.
Nous avons pour objectif de ne pas nous montrer intrusifs dans le management de La Poste. Nous avons trois représentants au sein de son conseil d'administration : une collaboratrice de la Caisse des dépôts, Mme Sabine Schimel, moi-même, ainsi que M. Michel Rose, que nous avons choisi parce qu'il connaît bien l'international, pour avoir été directeur de Lafarge aux États-Unis, ainsi que les ressources humaines, puisqu'il a été DRH au sein de ce groupe. Je souhaitais que nous ayons avec nous une personne attentive aux relations sociales, qui m'apparaissent essentielles dans une entreprise de plus de 300 000 personnes.
Des possibilités de coopération existent entre nos deux maisons dont les cultures sont voisines. Il s'agit en particulier du numérique dans lequel des partages d'expertise sont escomptés ; des points de présence locale, à propos desquels nous avons récemment signé un accord avec le ministre de l'aménagement du territoire ; des activités bancaires et du crédit aux entreprises, en particulier autour du microcrédit et du crédit aux très petites entreprises, les TPE ; de l'actionnariat salarié à grande échelle et pour lequel j'ambitionne, avec M. Jean-Paul Bailly, de mettre en oeuvre un projet innovant est ambitieux.
J'en viens à la contribution du groupe Caisse des dépôts au développement des entreprises, qui est une des priorités du plan ELAN 2020 que j'ai mis en place en décembre 2007. Au fond, nous sommes assez fiers d'avoir anticipé la crise de l'endettement… La crise des subprimes a marqué l'apogée d'un système dans lequel, pendant 30 ans, on a abusivement endetté aussi bien les ménages américains que les États européens, tandis que les entreprises spéculatrices ont fait du leverage un usage tellement excessif qu'il a abouti à cette catastrophe. Nous avons aujourd'hui besoin de passer d'une économie d'endettement abusif à une économie de fonds propres. Or, dans notre pays, trop peu d'institutions sont capables d'en apporter aux entreprises : nous ne disposons ni des banques de développement allemandes ou italiennes, ni de fonds de pension. Au total, nous nous trouvons de fait, avec le fonds stratégique d'investissement, dans la position de principal acteur du capital-développement en France.
Nous alimentons ainsi 180 fonds de capital-risque et de capital-développement, dont 80 fonds territoriaux. Nous aurons bientôt le bonheur de créer un fonds territorial avec le Crédit mutuel d'Alsace ainsi que la région Alsace, mais je cite cette région parce que, malheureusement, nous avons trop peu d'acteurs locaux qui acceptent de co-investir avec nous. Or, nos engagements européens interdisent de disposer de plus de 49 % de fonds publics dans ces fonds d'investissement dans lesquels nous intervenons.
Nous sommes très engagés dans cette politique et le partage des rôles est très clair : OSEO s'occupe du bas de bilan, c'est-à-dire des crédits et des garanties, tandis que le groupe Caisse des dépôts, notamment avec le FSI, s'occupe des fonds propres. Filiale d'OSEO et de la CDC, Avenir Entreprises intervient également dans ce domaine.
La Caisse des dépôts est toutefois aussi présente dans le domaine des prêts, puisqu'elle gère le dispositif Nacre (Nouvelle aide à la création d'entreprise), qui a concerné 13 500 entreprises en 2010, ainsi que tous les prêts d'honneur et les micros crédits pour la création d'entreprises, dont 27 000 d'entre elles ont bénéficié.
Si la France est championne de la création d'entreprises – 600 000 en 2010 –, elle rencontre davantage de difficultés dans leur croissance et dans leur pérennisation une fois qu'elles atteignent le seuil de 500 salariés : la tendance à la vente à de grands groupes étant alors beaucoup plus forte dans notre pays qu'ailleurs, l'entreprise perdure mais elle n'a pas le même dynamisme que lorsqu'elle était dirigée par une petite équipe totalement responsabilisée. Ce manque d'entreprises de taille intermédiaire, les ETI, entre 250 et 5 000 salariés, est un des points de fragilité de notre économie. Si l'on retranche de nos 4 700 ETI les entreprises bancaires, immobilières et de commerce, qui ne sont pas dans le champ du FSI, notre cible est de seulement 751 entreprises, parmi lesquels 440 ont déjà fait l'objet des attentions du FSI. Il est donc pleinement légitime de se fixer pour objectif de faire progresser ces entreprises, suffisamment grandes pour être exportatrices et suffisamment petites pour être dynamiques et créer des emplois car, chacun le sait, ce ne sont plus les grandes entreprises qui sont fortement créatrices d'emplois. Nos ETI représentent 20 % de l'emploi salarié, soit 3 millions de personnes qui produisent 20 % de la valeur ajoutée.
Perçu à l'origine comme un pompier destiné à protéger de l'incendie les pépites du CAC 40, le FSI se trouve en fait au coeur de cet enjeu national qu'est la structuration des fonds propres des entreprises de taille intermédiaire. Il intervient bien évidemment dans les entreprises plus importantes, mais, doté de 20 milliards d'euros, il ne peut avoir l'ambition d'être l'actionnaire de référence de toutes les sociétés du CAC 40…
Nous voulons maintenir le rythme au cours des trois prochaines années et nous avons pour ambition d'investir dans 1 200 nouvelles entreprises. Le FSI s'appuie sur CDC Entreprises, qui est une société de gestion de notre groupe, et sur nos directeurs régionaux.
Je vous sais par ailleurs très attentifs à la visibilité de notre action dans les territoires. Vous avez d'autant plus raison que cette action est nouvelle : avant 2007, nos directeurs régionaux avaient pour instruction de ne pas s'occuper des entreprises… Depuis lors, nous avons fait de l'apport de fonds propres aux PME une priorité ; nos directeurs régionaux ont par exemple créé avec OSEO des plates-formes d'appui aux PME. Il nous appartient de faire mieux connaître nos offres : la nomination comme directeur général délégué du FSI et président de CDC Entreprises de M. Philippe Braidy, ancien directeur du développement territorial de la Caisse, y concourra sans doute.
Depuis dix ans, la CDC accompagne les collectivités et l'État dans leur politique de développement du numérique ; elle investit dans des projets d'infrastructures haut et très haut débit, et soutient des projets d'utilisation et d'accès au haut débit. Ainsi, dans le cadre du projet structurant « + de services publics », nous avons signé en septembre 2010 avec le ministre de l'aménagement du territoire, aux côtés de neuf opérateurs de service public, un protocole en vue de créer dans les territoires ruraux des lieux d'accueil uniques avec visio-guichets, internet et bornes interactives. Nous menons également depuis dix ans, une action en faveur des cyber-bases : nous en comptons désormais 850, dotées d'ordinateurs et d'animateurs qui forment ceux qui se présentent, en particulier ceux qui cherchent un emploi. Nos cibles d'implantations prioritaires sont les maisons de l'emploi, les prisons et les écoles, où il s'agit souvent d'un moyen de faire entrer les parents, comme nous le constatons dans les 23 cyber-bases de l'agglomération des Portes du Hainaut.
Le programme des investissements d'avenir intervient fortement sur le numérique et a clairement dévolu ce rôle à la Caisse des Dépôts, où Mme Karen Le Chenadec et son équipe ont la charge des 4,25 milliards d'euros que l'État a décidé de consacrer à ce sujet. Ce montant est certes très important mais aussi insuffisant au regard des 25 à 30 milliards qui seraient nécessaires pour équiper d'ici 2025 tous nos concitoyens sur l'ensemble du territoire en très haut débit, chiffre que l'on peut en outre rapporter aux 3 milliards qui ont été nécessaires pour l'équipement en haut débit. Avec un tel budget, il va nous falloir être très rigoureux et très inventifs, très modestes et très ambitieux !
Cette somme se décompose en deux parties. Un premier volet de 2 milliards sera consacré au développement des infrastructures, notamment au déploiement de réseaux optiques : 1 milliard sera destiné aux prêts aux opérateurs d'infrastructures en dehors des zones denses ; 750 millions aux subventions aux collectivités locales en dehors des zones denses ; 250 millions aux subventions et prises de participations pour les zones les plus difficiles d'accès comme la montagne et les zones forestières.
Doté de 2,25 milliards, le second volet sera dédié au soutien des usages, services et contenus numériques : 1,4 milliard en financement classique de projets innovants – fonds propres, quasi fonds propres, prêts, fonds dédié aux investissements des PME numériques ; 850 millions pour soutenir des projets de recherche et développement, sous forme de subventions ou d'avances remboursables.
Vous m'avez par ailleurs interrogé sur les engagements financiers de la Caisse des dépôts. La totalité des résultats du bilan des fonds d'épargne va à l'État : sur un bilan de 200 milliards en 2010, 1,450 milliard de résultats sera entièrement consacré au regonflement des fonds propres du Fonds d'épargne pour 485 millions d'euros et à l'État, qui pourra prélever 965 millions.
S'agissant de la section générale, qui dispose de 20,2 milliards de capitaux propres, notre résultat est de 2,150 milliards. Il est d'abord consacré à une contribution volontaire, sorte de dividende. Nous attribuons chaque année à l'État une fraction de notre résultat, soit, en application d'une nouvelle règle, 50 % de notre résultat consolidé, plafonné à 75 % de notre résultat social. Cela va nous conduire cette année à lui verser 39 % de notre résultat, soit 839 millions. Nous investissons ce qui nous reste principalement en dépenses d'intérêt général : nous engagerons ainsi 450 millions dans la politique du logement et de la ville, 380 millions à destination des fonds propres des entreprises, 120 millions pour les brevets et les universités et 130 millions en faveur du développement durable. Un tiers de cette dernière enveloppe est dédié aux énergies renouvelables. En la matière, nous avons pour objectif difficile de faire émerger des filières professionnelles nationales sans susciter d'effet d'aubaine. Si nous nous demandons toujours si nous avons raison d'investir dans l'éolien ou dans le photovoltaïque, nous n'avons pas d'hésitation à soutenir la valorisation de la biomasse, pour laquelle notre pays compte 10 unités contre 5 000 en Allemagne ! Nous sommes ainsi partie prenante de projets innovants, par exemple la méthanisation des résidus agricoles dans les Côtes-d'Armor ou la valorisation des déchets des centres commerciaux en Picardie. Nous nous efforçons ainsi d'atteindre l'objectif d'un gigawatt d'énergies renouvelables en 2013. Nous nous intéressons aussi aux éoliennes offshores.