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Intervention de Mgr Luc Ravel

Réunion du 30 mars 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Mgr Luc Ravel, évêque aux armées, aumônier en chef du culte catholique :

Je souhaite partager avec vous un débat de fond : pourquoi des aumôneries militaires ? Mon expérience, très brève – je ne suis aumônier militaire que depuis dix-huit mois – m'amène à trois réflexions.

Premièrement, et même s'il ne s'agit pas d'en faire un exemple ou un modèle à étendre à la société elle-même, l'aumônerie militaire est un cas d'école pour une laïcité à la française. Un prêtre rwandais, en France depuis un an et demi, est tombé des nues en apprenant qu'il existait des aumôneries militaires dans nos armées.

C'est du reste ainsi que se pose aujourd'hui la question. Il y a quelques mois, alors que, avec mon chauffeur, un caporal-chef, je prenais un café sur l'autoroute, trois jeunes se sont étonnés, du fait de son uniforme – j'étais moi-même habillé en clergyman – que je sois à la fois prêtre et militaire.

Alors qu'il y a trente ans, la question aurait été éthique – comment peut-on être chrétien ? –la question qui m'a été posée a été : « comment l'armée - et l'État laïc - peuvent-ils financer une aumônerie militaire ? ». Cette question nous est posée à la fois dans les armées et en dehors d'elles. Lors d'une intervention au Centre des hautes études militaires (CHEM), un échange s'est tenu à ce sujet.

Notre fonction de soutien à l'homme et de conseil au commandement des aumôneries militaires est reconnue.

Cependant, nous devons sans cesse retrouver un équilibre. Nous ne sommes plus ni en 1880, ni en 1905. Jusqu'où le commandement doit-il intervenir dans le culte ? Développer une laïcité « plafond » et une laïcité « plancher » n'est pas de même nature. Le commandement doit-il tout accepter ? Comment et jusqu'où collaborer entre cultes ? Quels critères d'accueil et de discernement appliquer aux cultes ? Jusqu'où nos aumôniers peuvent-ils parler et agir ?

Mon expérience de la société civile m'amène à considérer aujourd'hui que dans les armées s'élabore une laïcité sans exclusion et extrêmement pragmatique. Nous avons entrepris de lancer des formations auprès des commandements militaires sur ce thème.

Enfin, le décret de 2008 nous amène à nous interroger sur les rapports entre l'autorité du commandement et celle de l'aumônier. Nous nous devons aussi d'être prophètes et de savoir dire non.

C'est aux cultes de s'exprimer sur leurs besoins. Nous ne sommes pas des adolescents. Certains pourraient revendiquer 35 siècles d'humanisme et d'expertise ! Le commandement répond alors comme il le peut à nos demandes.

Je ne suis pas sans m'étonner que l'Observatoire de la laïcité ne comporte parmi ses membres de droit aucune autorité religieuse reconnue.

Une deuxième expérience que je souhaite vous faire partager est une approche très libre du monde militaire. Hors hiérarchie, l'aumônier peut échanger avec chacun avec beaucoup de liberté. Quelles conclusions puis-je en tirer ?

D'abord, la proximité des aumôniers avec les militaires m'amène à souligner les difficultés qui affectent la famille et sont liées à la disponibilité, problématique qui semble tourner à la catastrophe.

Ensuite, des forces d'individualisme corrodent le tissu militaire, d'abord construit sur une cohésion, un « faire ensemble ». Cette situation n'est simple à gérer ni pour les aumôniers, ni pour le commandement.

Enfin, le tropisme matérialiste de nos sociétés freine l'engagement des militaires qui est lié à la gratuité. Bien sûr, chacun est payé. Mais une vie humaine n'a pas de prix. Il y a donc bien tôt ou tard gratuité de l'action.

Face à ces trois difficultés, je constate un dévouement – tout à fait étonnant – et une compétence, dont, pour comparer mes séjours successifs en Afghanistan à l'expérience de mon service militaire, il y a trente ans, je constate qu'elle a rarement été atteinte.

Cependant, ces compétences et cette passion se heurtent de façon de plus en plus violente à un manque de moyens, qui amène de plus de plus de personnes à « décrocher » de leur mission. Elles se heurtent aussi à une baisse du sentiment national : que veut dire aujourd'hui « mourir pour la Nation » ?

De plus, quelle reconnaissance la Nation accorde-t-elle désormais à nos soldats ? C'est bien le fond de la question du lien armée - Nation. Pour moi, la nécessité des armées s'estompe dans la conscience de beaucoup de nos concitoyens, peut-être simplement parce que nous devenons un peu invisibles.

Enfin, les missions des militaires me semblent de moins en moins bien définies.

Le troisième sujet que je souhaite aborder portera sur «  l'impact humain d'un service de la Nation ». Je me suis bien gardé d'utiliser les termes de service national - il ne s'agit pas de dupliquer quelque chose qui a existé. Il y a quelques jours, à Abu Dhabi, j'ai rencontré de jeunes polytechniciens de la promotion 2010. Épanouis, ils partageaient avec moi, avec enthousiasme, leur expérience militaire de sept ou huit mois. Elle rejoignait la mienne, vécue trente ans plus tôt. Il reste qu'ils ont convenu que si cette expérience n'avait pas été obligatoire, ils n'auraient pas forcément accepté de la vivre.

Le pape Benoît XVI a parlé de trois logiques : logique économique, logique politique, logique de gratuité. En France, cette logique de gratuité existe, ce que j'ai pu constater quand j'étais curé de paroisse, à propos des associations. En tant qu'aumôniers militaires, nous constatons que c'est cette logique de gratuité qui donne sa saveur aux choses. Ce qui est affaibli, me semble-t-il, c'est le lien entre les trois logiques.

Je conclurai par certaines expériences qui m'ont beaucoup marqué. D'abord, j'ai constaté en visitant les départements, collectivités et territoires d'outre-mer, que la France n'est dénuée ni de jeunesse, ni de ressources humaines.

J'y ai découvert le service militaire adapté (SMA) et ses résultats, tout à fait probants. Alors que la sélection pour le SMA – qui n'est pas obligatoire et ne s'adresse qu'aux populations d'outre-mer – se fait sur la base de l'échec scolaire, je constate dans l'encadrement militaire un enthousiasme et un épanouissement exceptionnel dans ce travail opérationnel qui n'est pas de guerre mais humain.

Par ailleurs, à la brigade des sapeurs pompiers de Paris – qui fait partie de l'armée de terre – le rapport entre le nombre d'embauchés et celui des candidats est de un à vingt. Autrement dit, quelles que soient les difficultés des armées – l'armée de terre notamment – à recruter, dire que la jeunesse d'aujourd'hui n'est plus capable de servir et de se donner à des causes importantes est faux. Cependant, le volontariat a ses limites. Comment demander à un jeune d'oublier la compétition de la vie ? Seuls les plus forts le feront.

En même temps, et je crois que les armées l'ont découvert ces dernières années, les machines ne remplaceront jamais les hommes.

Je forme donc le souhait que chaque jeune français puisse, d'une manière ou d'une autre retrouver un service de la Nation et s'y construire.

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