Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de grand rabbin Haïm Korsia

Réunion du 30 mars 2011 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

grand rabbin Haïm Korsia :

Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre. Avec Caïn et Abel, la suite s'est mal passée. En effet, nous disent les textes, ils n'ont pas trouvé les moyens de se parler. Cet enjeu de fraternité, au coeur de la problématique républicaine, est traité dès le début de notre histoire biblique comme une sorte d'échec. Toute l'histoire de la Bible pourrait être lue au travers du prisme de cette recherche de fraternité.

La fraternité se construit donc sur la parole. Le symbole qui figure sur mon uniforme, les Tables de la Loi, est appelé en hébreu non pas les Dix Commandements mais les Dix Paroles. C'est la parole qui retisse du lien. Or, les aumôniers sont des éléments essentiels dans la parole, qu'elle soit donnée par quelqu'un, pour se relier à un ensemble, ou écoutée. Les aumôniers sont une force d'écoute sans jugement, ce qui est essentiel car, dans le système militaire, montrer une faiblesse c'est courir le risque d'être mal considéré par ses camarades de combat, ceux en qui vous avez confiance et qui doivent vous faire confiance. Un espace dérivatif est donc nécessaire pour permettre l'expression d'une parole de questionnement et de doute, qui en même temps ne rende pas le militaire globalement vulnérable. Les aumôniers sont dépositaires de ce besoin de parole et d'écoute.

Même si, dans le monde militaire, il est difficile d'avouer une faiblesse, il y a une grandeur à considérer que la faiblesse d'un homme à un instant de sa vie n'est pas pour autant un élément rédhibitoire. La spécificité forte de l'aumônerie des armées, tous cultes confondus, fait l'honneur de la France. D'autres systèmes d'aumôneries existent dans le monde. Aux États-Unis, l'organisation est hiérarchique : il y a un patron de l'aumônerie, quel que soit son culte, auquel d'autres aumôniers, éventuellement de cultes différents, sont subordonnés. Avec ses quatre aumôneries, qui sont traitées de manière équitable, sont distinctes et travaillent ensemble, le système français offre une allégorie assez exceptionnelle de la laïcité en France. Il n'est pas question ici de syncrétisme.

Dans notre aumônerie, il y a, non pas un débat, mais un dialogue permanent sur la laïcité. Nous le tenons au sein du Conseil de coordination des aumôneries militaires que Mme Alliot-Marie a mis en place. Un élément essentiel de ce dialogue est l'organisation de l'adéquation de nos moyens et de notre mission.

Ma logique n'est pas de savoir ce que l'armée va faire pour moi mais ce que je peux faire pour les forces. Au-delà du cadre militaire, les religions en France ne se trouvent plus en situation de demander à l'État ce qu'il peut faire pour elles mais de réfléchir à ce qu'elles peuvent apporter en termes de lien social, de solidarité, de responsabilité envers ceux qui sont un peu affaiblis à un moment.

De manière intelligente, l'État considère que les lois relatives à la laïcité ne lui interdisent pas de subventionner les cultes. Même s'il ne les subventionne pas directement, les dons pour le denier du culte, la synagogue, le temple ou la mosquée sont défiscalisés. Autrement dit, l'État considère que quelqu'un qui participe à un effort cultuel produit un bien.

Je préfère aux aumôneries étrangères le modèle français pour son équité. Au Canada, chaque aumônier, quel que soit son culte, doit signer l'engagement écrit de travailler dans l'interreligieux. Mais en France, c'est une évidence ! Lors des cérémonies, les forces attendent de nous que nous exprimions quelque chose ensemble, dans notre diversité. Nous venons de publier un livre, « Les Soldats de la Parole ». Vous pourrez, si vous le souhaitez, vous y plonger.

L'écoute que nous offrons concerne les difficultés de la vie et celles qui sont spécifiquement liées à l'état militaire comme les départs, les opérations extérieures et les retours.

Plus que le fait de donner la mort ou de la recevoir, c'est la proximité avec elle qui est essentielle. Si le fourrier de la base aérienne de Balard court peu de risques de mourir en opération extérieure, le militaire à qui il va fournir des éléments de paquetage peut, lui, ne pas revenir. Cette proximité avec la mort crée un monde parfois un peu anxiogène dans une société qui a réussi à extirper la mort de son environnement : alors que les cimetières étaient au pied de l'église - autrement dit au centre du village - ils ont été éloignés de plus en plus loin à la périphérie des villes, les grands brocards noirs de notre enfance ont disparu… La mort est devenue invisible. Or, dans le monde militaire, la mort est toujours très présente. Il n'y est pas nécessaire qu'un esclave rappelle comme à César pendant son triomphe : « souviens toi que tu vas mourir ». La mort est présente, y compris pour le fourrier de Balard.

Dans l'armée, la fraternité n'est pas seulement un concept abstrait. La fraternité d'armes est vraiment un engagement. On peut risquer de mourir non seulement pour des valeurs, pour la France, mais pour un camarade à côté de soi. La parole dont nous sommes porteurs, essentielle pour construire la cohésion du monde militaire, est aussi la démonstration de la coexistence possible de croyances différentes. Nous sommes porteurs d'un questionnement, d'un doute, qui peut s'exprimer. Dans les aumôneries, l'apport de chacun est valorisé. Je ne me suis jamais défini comme l'aumônier des Juifs des armées mais comme l'aumônier israélite des armées. Si je traite des questions cultuelles pour les Juifs, la diversité que j'apporte est aussi une part du génie de la France, qui fait de notre pays un creuset dans lequel chacun apporte ce qu'il est. De ce point de vue, comme mes trois collègues, j'ai un apport spécifique à fournir, y compris à ceux qui ne croient pas mais espèrent en l'homme, ce qui finalement n'est pas si éloigné. Nous sommes garants de cette laïcité intelligente qui a toute son épaisseur.

Il est bon d'avoir un modèle. La laïcité dans les armées fonctionne parfaitement. Son fonctionnement pourrait très bien être exporté ailleurs.

Sur ce point, je voudrais évoquer devant vous la figure tutélaire de l'aumônerie israélite, le grand rabbin Abraham Bloch, qui le 29 août 1914, est mort près du village de Taintrux dans les Vosges en apportant sur le front un crucifix à un soldat catholique mourant. Apporter à quelqu'un qui en exprime le besoin un élément essentiel pour lui est profondément républicain.

Enfin, la présence des aumôniers à l'occasion des retours et dans les hôpitaux militaires, est essentielle. Si l'on honore les morts aux combats, les blessés sont un peu oubliés. J'ai embauché deux aumôniers pour les hôpitaux parisiens qui reçoivent les blessés – le Val-de-Grâce et Percy. Les blessés ont besoin de sentir qu'ils continuent à faire partie de la famille. Nous avons un devoir de réhumanisation, de réenchantement de l'espérance de ces militaires qui, à un moment, se sentent un peu oubliés, n'étant à la fois plus au combat.

De plus, de nombreux civils fréquentent les hôpitaux militaires et les aumôneries sont un élément important de ce qu'on a appelé à un moment le lien armée - Nation. J'étais au départ assez dubitatif sur celui-ci. L'idée était qu'il ne fallait pas que l'armée fasse sécession par rapport au corps de la Nation mais j'avais bien plus peur que la Nation fasse sécession par rapport à l'armée. En effet, nombre de nos concitoyens ne manifestent aucun intérêt pour ce qui peut se passer dans l'armée ou pour les problématiques militaires. De plus, les valeurs que portent les armées - homogénéité, fraternité, respect, cohésion, engagement, responsabilité envers les autres - ne sont pas les valeurs cardinales de la société, qui sont plutôt l'immédiateté et l'égoïsme. J'avais peur de ce décrochage des valeurs de la société par rapport aux valeurs de l'armée. En réalité, se situer par ce qu'on produit au coeur du pacte républicain, de la laïcité, de la liberté, de la fraternité, de l'égalité est important. L'armée est celle de la Nation. Les aumôneries sont donc aussi une part de la diversité de la Nation.

Enfin la prière pour la République est prononcée dans chaque cérémonie où l'aumônerie israélite est présente, comme dans toutes nos synagogues le samedi. Cette prière n'est pas seulement une invocation mais aussi une forme d'action. Bernard de Clairvaux disait souvent : « la plus belle des prières sera l'oeuvre de vos mains ». Prier est aussi une façon de s'engager dans l'histoire, le devenir et l'espérance des hommes et des femmes de la défense. C'est ce que nous essayons de faire, sans syncrétisme mais ensemble, parce que nous portons aussi cette fraternité qui est au coeur de la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion