Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée est réunie pour discuter à nouveau de la proposition de loi relative au livre numérique.
Nous avons salué une initiative qui, sur le principe, devait permettre de réguler un secteur en plein essor – le livre numérique représenterait en volume plus de 13 % de l'offre globale payante – à un moment où la crise de la lecture risque de se voir aggravée par les conséquences de la fracture numérique.
Malheureusement, les discussions en commission l'ont montré, cette seconde lecture va sans doute révéler que la majorité n'entend pas répondre à ces défis et qu'elle compte, de manière incompréhensible, imposer des contraintes particulières aux entreprises françaises sans y soumettre les géants étrangers du secteur.
Si imposer un prix unique aux livres numériques diffusés sur notre territoire ne sera pas sans poser quelques difficultés techniques, cela devrait pourtant être notre ambition commune, dans la lignée de la loi de 1981 sur le prix unique du livre, dont nous reconnaissons, tous, les bénéfices pour le maintien de la diversité de l'édition, la qualité de son offre et le maillage des librairies sur l'ensemble de notre territoire.
J'évoque une situation incompréhensible car la majorité de l'Assemblée nationale risque de se laisser entraîner vers des décisions prises contre l'avis unanime des sénateurs, du Gouvernement, des éditeurs et même de la commission européenne, ou en tout cas des ouvertures qu'elle a laissées au législateur français !
Venons-en au fond du problème. En défendant l'insertion d'une clause de territorialité dans le texte, notre collègue Lionel Tardy donne, sur son blog – je le souligne au passage –,des leçons de conduite à la majorité : « La deuxième lecture à l'Assemblée nationale ne sera pas une simple formalité » ou encore « Déjà bien mal ficelé dès le départ, ce texte semble partir en vrille, politiquement et juridiquement comme beaucoup de textes qui nous viennent du ministère de la culture… ».
En défendant l'insertion de cette clause, Lionel Tardy s'est « réjoui du parallèle établi par le rapporteur entre droit, politique et applicabilité des textes ». Je le cite encore : « On aimerait entendre plus souvent de tels propos, en particulier dans le domaine de la culture, où l'on a tendance à faire de la politique sans toujours tenir compte du droit ! »
Je veux m'adresser à la majorité pour dire à ses membres que, dans ses avis rendus les 13 décembre et 31 janvier derniers, la Commission européenne elle-même a laissé entrevoir l'opportunité que le législateur français concilie « droit et politique ». Elle y a ainsi indiqué qu'elle pouvait « envisager la possibilité sous certaines conditions de considérer la protection de la créativité et de la diversité culturelle comme un impératif d'intérêt général ».
Car, ne nous y trompons pas, malgré toutes les dangers que représente Bruxelles en matière de libéralisme, d'ouverture totale des marchés publics à la concurrence et de convergences absurdes sur le plan des dépenses sociales et publiques, elle ne peut quand même pas balayer d'un revers de manche les objectifs d'intérêts culturels tels qu'énoncés à l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et surtout par la Convention de l'UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles, adoptée en 2005, lors de la 33ème session de la Conférence générale !
Le rapporteur a laissé entendre qu'il avait trouvé une issue à ces débats en complétant l'article 3 de la proposition de loi par un alinéa stipulant qu' « Est nul et réputé non écrit tout contrat ou toute clause autorisant la vente d'un livre numérique à un prix de vente inférieur à celui fixé dans les conditions déterminées à l'article 2 ».
Nous verrons ensemble, lors de la discussion de cet article 3, que cette disposition ne garantit en rien que les lecteurs français ne pourront pas acheter des oeuvres auprès d'Amazon, Appel ou Google,…