Effectivement, la conclusion provisoire pourrait être « Peut mieux faire »… Il y a là un véritable enjeu démocratique. Nous ne pouvons pas nous contenter des dernières places dans les classements européens.
Nos propositions sont organisées autour de trois axes : mieux répondre aux besoins, innover dans les modes d'accès à la justice et la résolution des conflits, rationaliser le dispositif.
Il nous faut, tout d'abord, mieux répondre aux besoins, tant des publics les plus fragiles que de personnes appartenant aux classes moyennes qui, faute de moyens, renoncent à des contentieux pourtant sérieux.
S'agissant du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, nous proposons de porter le plafond de ressources, actuellement fixé à 929 euros par mois, au niveau du SMIC net – ce qui représenterait une augmentation de 10 % –, avec indexation.
En ce qui concerne l'AJ partielle, nous proposons de porter le plafond à 1 537 euros et, par ailleurs, de demander aux instances représentatives des avocats de déterminer, en concertation avec la Chancellerie, des barèmes d'honoraires exigibles en fonction des ressources des bénéficiaires.
Nous souhaitons que la rétribution des avocats repose davantage sur un tarif horaire, afin de tenir compte de la complexité de certains contentieux et de l'investissement en temps qui est nécessaire. Le système des unités de valeur (UV) est en effet devenu inadapté. Il serait bon qu'une concertation s'engage à ce sujet avec les barreaux.
Nous considérons qu'il faut permettre à tout justiciable, que ce soit dans le cadre de l'aide juridictionnelle ou dans celui de la protection juridique, qu'il opte pour la voie juridictionnelle ou pour la voie amiable, d'être défendu par un avocat de son choix.
Parmi les garanties minimales que doit respecter l'assurance de protection juridique, nous considérons que doit figurer l'assistance obligatoire d'un avocat librement choisi, quelle que soit la procédure engagée, et que doit s'y ajouter, pour les procédures visant à la réparation d'un dommage corporel, l'assistance d'un médecin expert.
Enfin, il nous paraît nécessaire d'augmenter de façon substantielle les moyens de l'aide juridictionnelle – actuellement environ 300 millions d'euros. Nous proposons de créer un fonds de soutien alimenté par une hausse des droits d'enregistrement appliqués aux actes juridiques qui opèrent des mutations de droits ou de biens.
Une deuxième série de propositions vise à innover dans les modes d'accès à la justice et la résolution des conflits.
Il est, à notre avis, souhaitable d'accélérer le développement de la médiation juridictionnelle et extra-juridictionnelle, notamment en demandant au Gouvernement que le projet de loi portant transposition d'une directive européenne sur la médiation, déposé au Sénat le 22 septembre 2010, soit examiné dans les meilleurs délais.
Nous suggérons la prise en charge par l'État d'une consultation juridique préalable à une demande d'aide juridictionnelle, ce qui permettrait d'expliquer à l'intéressé s'il a ou non des chances de succès en s'engageant dans une procédure.
Surtout, nous proposons d'introduire dans le droit français l'action de groupe. Il ne s'agit pas de transposer la class action américaine : on ne permettrait pas les dommages-intérêts punitifs. L'action de groupe serait limitée, dans un premier temps, aux litiges du droit de la consommation – qui sont les plus nombreux, du fait du très grand nombre de contrats signés sans grande liberté contractuelle. À l'issue de cette première expérience, il conviendrait de l'étendre aux contentieux liés à la responsabilité de l'État, à celle des entreprises privées et, peut-être, à la responsabilité médicale ; dans ce dernier domaine, nous restons interrogatifs car chaque cas personnel doit être examiné dans sa spécificité. L'introduction de l'action de groupe dans notre droit serait en tout cas une innovation majeure.
Nos propositions visent, en troisième lieu, à rationaliser le dispositif.
Nous ne renonçons en rien à notre ambition de garantir la pérennité et l'effectivité des dispositifs qui favorisent l'accès au droit et à la justice. Il reste que, dans le contexte actuel de nos finances publiques, il nous faut impérativement utiliser au mieux les deniers publics, alors même que nous proposons le doublement des ressources consacrées à l'aide juridictionnelle et à l'accès au droit. Rationaliser ne signifie pas restreindre les dépenses, dès lors qu'elles répondent à des besoins ; en revanche, il faut éviter les frais inutiles.
À cet égard, nos propositions concernent l'ensemble des dispositifs de l'aide juridictionnelle, de l'aide à l'accès au droit et de l'aide aux victimes.
En ce qui concerne l'aide juridictionnelle, il s'agit tout d'abord d'améliorer le fonctionnement des bureaux de l'aide juridictionnelle, dans un souci d'égalité de traitement sur le territoire. Nous recommandons d'organiser pour leurs responsables une formation préalable adaptée. Nous suggérons de préciser la liste des pièces justificatives à fournir à l'appui d'une demande d'aide juridictionnelle, afin d'éviter les distorsions ; et nous invitons les pouvoirs publics à expliciter les modalités de prise en compte des éléments de patrimoine dans l'appréciation de la condition de ressources.
Nous voulons également faire en sorte que les crédits de l'aide juridictionnelle bénéficient à ceux qui en ont vraiment besoin. Cela suppose un contrôle plus efficace de leur usage. Il convient de renforcer la mise en oeuvre des procédures de recouvrement des frais exposés par l'État au titre de l'aide juridictionnelle, notamment en cas de retour à meilleure fortune ou en cas de fraude. Il faudrait d'autre part construire un véritable réseau d'information et de traitement informatisé des dossiers d'aide juridictionnelle entre les bureaux d'aide juridictionnelle, les juridictions et les avocats : une modernisation des méthodes de travail paraît nécessaire.
De même, nous appelons de nos voeux la création d'un réseau de gestion et de distribution des crédits de l'aide juridictionnelle. Une convention pourrait réaffirmer le rôle essentiel de l'Union nationale des caisses de règlement pécuniaire des avocats et préciser ses missions dans le suivi de la gestion de ces crédits, l'assistance voire la supervision des CARPA, afin d'unifier les pratiques. D'autre part, il conviendrait d'accélérer la réflexion engagée avec les barreaux en vue du regroupement de certaines caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), ce qui permettrait de réduire les frais liés à la gestion des crédits de l'aide juridictionnelle et d'assurer une gestion plus efficace.
S'agissant de l'aide à l'accès au droit, il faut assurer la coordination des initiatives locales, créer des synergies afin que les efforts fournis par les nombreux acteurs de terrain produisent tous leurs effets.
C'est pourquoi nous proposons d'instituer un véritable pilote à l'échelle locale. Il nous est apparu, à l'issue de longues discussions, que le mieux serait de confier ce rôle au conseil départemental de l'accès au droit – dont 10 % des départements ne sont malheureusement pas encore pourvus. Il conviendrait, d'une part, de remanier la composition du conseil départemental de l'accès au droit, en instituant une vice-présidence confiée au président du conseil général ou à son représentant, avec pleine délégation de pouvoir et de signature, et en assurant une représentation spécifique des établissements publics de coopération intercommunale. D'autre part, il faudrait recentrer le conseil départemental de l'accès au droit sur une mission de pilotage, en lui donnant explicitement la compétence d'élaborer et de mettre en oeuvre un schéma directeur de l'accès au droit dans le département.
Il est en effet important d'avoir une vision globale de l'accès au droit sur le territoire départemental ; peut-être sera-t-il parfois difficile de réaliser le schéma, mais il faut au moins réunir autour d'une table l'ensemble des acteurs. Il s'agit de coordonner les initiatives et les bonnes volontés. Le schéma directeur constituerait un document de planification et de programmation, ainsi que de mutualisation et de coordination des moyens ; ce serait un gage de transparence et d'efficacité dans la gestion des crédits, prévoyant précisément l'affectation des sommes allouées.
S'agissant enfin de l'aide aux victimes, nous invitons à une réflexion sur un possible rapprochement avec l'aide à l'accès au droit, dans l'organisation ainsi que dans le financement, dans la mesure où les objectifs poursuivis sont les mêmes.
Parmi toutes les propositions que je vous ai présentées, certaines sont opérationnelles tout de suite, d'autres s'inscrivent dans une démarche à moyen terme, d'autres encore ne sont qu'une invitation à la réflexion avec les acteurs, et notamment avec les barreaux. Dans tous les cas, il s'agit de répondre au mieux aux attentes de nos concitoyens, aujourd'hui trop souvent perdus dans les méandres de notre droit.