Nous voterons ce texte complexe, mais que le travail du rapporteur, que je tiens à saluer, a permis d'expliciter, parce qu'il est le moins mauvais possible dans une Europe imparfaite. Je voudrais cependant pointer quelques risques de dérives qui appellent notre vigilance.
Les pays européens disposant d'une base industrielle et technologique significative, c'est-à-dire la France et le Royaume-Uni pour l'essentiel, souhaitent préserver cet atout dans la compétition internationale, alors que les autres pays d'Europe souhaitent se doter de produits d'armement au meilleur prix, ces deux objectifs n'étant pas nécessairement compatibles. Une libéralisation du marché qui sacrifierait notre politique industrielle sur l'autel du prix le plus bas serait en définitive fort coûteuse en termes de désindustrialisation. Nous devons donc prendre quelques précautions.
Il faut d'abord éviter que la simplification du contrôle ne se fasse au détriment de nos industries, dont les exportations continueraient, elles, à être soumises en réalité à deux autorisations : l'une de négocier, l'autre d'exporter. Une harmonisation des procédures au niveau européen est nécessaire si on ne veut pas que notre pays soit pénalisé et que certains opérateurs ne s'installent dans notre pays dans le seul but de tirer profit de procédures plus avantageuses. Le risque est que, dans son obsession d'eurocompatibilité, la France n'instaure des règles de contrôle plus rigoureuses que celles de ses partenaires européens. Nous ne devons pas être plus exemplaire que nos partenaires qui n'hésitent pas à se protéger.
Ensuite, la mise en oeuvre du texte supposant de nombreuses dispositions réglementaires, il ne faudrait pas que le règlement vienne compliquer ce que la loi aura simplifié, en violation de l'objectif de la transposition.
Par ailleurs, identifier un « faux nez » suppose de savoir ce qu'est un vrai visage. Or, la directive, pas plus que les débats au Sénat, n'ont défini ce qu'était une entreprise européenne. Dans ces conditions, il est extraordinairement difficile de dire quelle entreprise serait un « faux nez ». Si, par exemple, le critère de définition de l'entreprise européenne est sa capacité à répondre aux commandes passées sur le territoire européen en employant des travailleurs français et en utilisant des investissements français, qu'est-ce qui empêchera Boeing d'implanter des usines en France au détriment des industries financées par les pays européens ? Que faire, monsieur le ministre, face à une telle situation ?
Tout autant que vous, nous nous félicitons que le Sénat ait introduit dans le texte le principe de la préférence communautaire. Cependant, il faut bien reconnaître que ce principe ne s'adosse à aucun article de la directive. Il n'apparaît que dans son considérant 18. Si d'aventure la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) devait se prononcer sur la décision de l'État français d'utiliser cet élément de droit pour écarter un industriel étranger, elle risquerait de juger qu'il n'a aucune base juridique dans le droit communautaire.
Enfin, on peut se demander ce qu'il adviendra de l'article 346 du TFUE, qui a pour fonction de protéger le domaine régalien de la concurrence de droit commun, le jour où un « paquet défense II » viendra sur le métier. Or, vous savez très bien que c'est ce qui se prépare. Déjà cette disposition fait l'objet de deux questions préjudicielles devant la CJUE, dans l'objectif de restreindre le champ d'application de cet article. Si la Commission suit cette jurisprudence, nous perdrons une grande partie de notre capacité à défendre nos industries de souveraineté.