Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le projet de loi relatif au contrôle de l'importation et de l'exportation des matériels de guerre ainsi qu'aux marchés de défense et de sécurité. Ce texte a été déposé le 27 octobre 2010 au Sénat, qui l'a adopté le 1er mars. Le délai d'examen dont notre assemblée dispose est sensiblement plus court, les délais communautaires nous imposant de transposer ces règles avant le 30 juin.
Le texte traduit dans le droit national les grandes orientations du « paquet défense ». Depuis 2007, la Commission européenne a mis en place une stratégie visant à rendre l'industrie de défense européenne plus forte, plus compétitive et plus cohérente. Ces travaux ont abouti à l'adoption de deux directives en 2009 sous présidence française. La première, appelée directive « transferts », concerne le contrôle de l'importation et de l'exportation des matériels de guerre au sein du territoire de l'Union ; la seconde traite des marchés de défense et de sécurité.
En parallèle des initiatives communautaires et très opportunément, la France a engagé une réflexion interne. J'ai, dans ce cadre, rendu deux rapports au Premier ministre, l'un consacré à la construction d'une base industrielle et technologique européenne, l'autre à la transposition en droit français de la directive « transferts ».
Avant de détailler les grands axes du projet de loi, je tiens enfin à souligner que la France sera l'un des premiers, voire le premier, pays à transposer le « paquet défense ». Nous devons nous en réjouir, mais aussi mesurer que nos choix seront examinés par nos partenaires, certains attendant notre transposition pour en reprendre l'économie générale dans leurs propres textes.
Le premier chapitre du projet de loi transpose la directive « transferts » du 6 mai 2009. Le Gouvernement a souhaité profiter de l'occasion de cette transposition pour moderniser le dispositif de contrôle des importations et des exportations hors de l'Union européenne. Bien qu'elle n'eût aucun caractère d'obligation, je suis convaincu du bien-fondé de cette initiative : l'apparition d'un nouveau régime intracommunautaire risquait de rendre incompréhensible un système devenu trop complexe.
Je veux insister sur un point capital, qui préoccupe nombre d'entre vous : les nouvelles modalités du contrôle n'affaiblissent en rien le contrôle de l'État sur le commerce des matériels de guerre, que ce soit hors ou au sein de l'Union, le projet de loi confortant au contraire le principe général, posé en 1939, d'interdiction du commerce des armes de guerre sans autorisation préalable. En améliorant la lisibilité du système et en renforçant les contrôles a posteriori, il devrait même en améliorer l'efficacité.
Le texte hiérarchise les contrôles en distinguant les opérations réalisées hors du territoire de l'Union européenne des opérations intracommunautaires, désormais appelées transferts. Pour les exportations et les transferts, il instaure par ailleurs un mécanisme de licences permettant un traitement différencié selon les matériels et les destinataires considérés. Il existera désormais trois licences : les licences générales pour les matériels les moins sensibles et pour tous les opérateurs de l'armement. Les licences globales et les licences individuelles seront quant à elles accordées nominativement à un opérateur pour une opération donnée, la différence entre les deux sortes de licences tenant à la durée, au volume et au montant de l'opération.
Dans tous les cas, sauf pour les matériels spatiaux, le système actuel d'autorisation en plusieurs étapes est supprimé et remplacé par une autorisation unique : il n'y a donc pas de disparition de l'autorisation préalable. En contrepartie, le texte renforce les obligations et les contrôles a posteriori. Il crée pour cela de nouvelles infractions pénales, charge aux agents habilités du ministère de la défense et du ministère chargé des douanes de les constater et d'en saisir le Procureur de la République. Les exportateurs et les fournisseurs devront, par exemple, tenir un registre des exportations ou un registre des transferts et le présenter à la première demande des contrôleurs. L'Europe a voulu éviter la lourdeur des procédures de contrôle préalable, qui d'ailleurs diffèrent beaucoup d'un pays à l'autre, tout en renforçant le contrôle a posteriori.
Pour les transferts, le texte crée également une procédure de certification des opérateurs, tout à fait nouvelle en France, à la différence d'autres pays européens. Il appartient à chaque État de l'Union de délivrer cette certification et d'apporter ainsi des garanties quant à la fiabilité de l'opérateur. Cette mesure est particulièrement importante pour créer une confiance réciproque. Il faut, par exemple, que les États puissent être certains que les clauses de non réexportation seront respectées dans tous les États. Si nous voulons que ce système fonctionne, il faudra veiller à l'harmonisation des différentes procédures de certification. L'agence européenne de défense pourrait dans ce domaine jouer le rôle de médiateur, voire auditer les procédures nationales, non pas pour imposer un système, mais pour éviter que n'existent de trop grandes disparités entre les États membres.
Ce nouveau dispositif s'inscrit donc dans la continuité des procédures actuelles. Il faut rappeler que la France est déjà exemplaire en matière de contrôle, même si cela se sait et se dit trop peu souvent. Si la France apparaît encore en retrait sur ce point, alors même que cette image ne correspond pas à la réalité, c'est que la plupart de nos partenaires communiquent beaucoup sur ces sujets. Sans rendre vulnérable notre politique d'exportation, nous pourrions mieux expliquer et mieux valoriser nos méthodes de contrôle qui sont particulièrement performantes.
Les changements induits par le texte vont nécessiter une refonte totale des outils de l'administration. Le système informatique actuel, appelé SIEX, ayant déjà montré ses limites, je crains un engorgement de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre (CIEEMG) qui nuira à l'efficacité et à la réactivité du dispositif. C'est pourquoi il me semblerait utile de mettre en place, de façon au moins transitoire, une procédure assouplie pour les dossiers les moins sensibles. La CIEEMG, ainsi délivrée du traitement d'une masse de dossiers non sensibles, pourrait se concentrer sur les enjeux principaux et les opérateurs ne souffriraient pas de délais d'instruction trop longs. Sur les 700 dossiers traités chaque mois par la CIEEMG, seule une centaine mérite un examen approfondi.
Le chapitre II du projet de loi transpose la directive 200943 du 13 juillet 2009 relative aux marchés de défense et de sécurité. L'essentiel de la transposition se fera par voie réglementaire et concernera le code des marchés publics. Il convenait cependant d'ajuster un certain nombre de dispositions législatives, notamment l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises au code des marchés publics.
Le projet de loi ne devrait avoir qu'un impact limité pour le ministère de la défense, dont l'essentiel des marchés relève de la procédure dérogatoire prévue par l'article 346 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cet article du Traité de Lisbonne, qui remplace l'ancien article 296, exclut du champ des marchés publics les marchés qui ont trait à la production d'armes de guerre ou qui concernent les intérêts essentiels de la sécurité de l'État.
Cette partie du projet de loi a été significativement enrichie par le Sénat, qui a clairement introduit le principe d'intérêt communautaire et donné aux pouvoirs adjudicateurs et aux entités adjudicatrices les moyens d'écarter les candidats qui ne disposeraient pas des capacités techniques suffisantes ou dont la fiabilité pourrait être mise en cause. Je me félicite de ces avancées, saluées par l'ensemble de nos industriels, et je vous proposerai de les poursuivre, notamment en introduisant la référence aux considérations sociales dans les conditions d'exécution des marchés.
Le chapitre III prévoit des mesures transitoires visant à laisser au Gouvernement le temps nécessaire pour adapter ses outils. Il est également prévu que les autorisations délivrées avant l'entrée en vigueur de la loi restent valables jusqu'à leur terme, le passage au nouveau régime se faisant ainsi progressivement.
Ce texte équilibré transpose avec mesure et raison les stipulations communautaires. Les modifications apportées par le Sénat vont dans le bon sens et nous devons les consolider : c'est l'objectif des ajustements que je vous proposerai. Sous réserve de ces modifications mineures, je vous recommande donc d'adopter ce projet de loi.