Si la préoccupation qui le sous-tend – la protection de la santé de nos concitoyens – est louable, ce texte ne peut pur autant être voté en l'état. Tout d'abord, il serait d'application particulièrement brutale. La France peut difficilement être la seule dans l'Union européenne à interdire de manière drastique la fabrication, l'importation, la vente et l'offre – c'est-à-dire la distribution à titre gratuit – de ces trois catégories de produits. Nous ne pouvons être le petit village gaulois qui résiste seul, encore et toujours, à l'envahisseur ! Du reste, nous ne saurions nous affranchir du jour au lendemain de tous ces produits utilisés à très petites doses tout au long de la vie quotidienne. J'appelle enfin votre attention, puisque nous parlions d'emploi tout à l'heure, sur les enjeux économiques.
Nous sommes bien sûr favorables au remplacement de certains produits par des produits « bio », mais cela ne peut se faire de manière aussi brutale.
Si chacun d'entre nous attache une grande importance à la maîtrise des risques liés aux substances chimiques et au principe de précaution, ce texte interfère d'autre part avec de nombreux travaux en cours. Plusieurs interdictions ont en effet été décidées, tandis que des travaux étaient lancés sur les perturbateurs endocriniens. Des programmes de recherche sont ainsi conduits par l'Agence nationale de la recherche ou par le ministère de l'écologie, avec le programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens. Les agences de sécurité sanitaire et l'INSERM ont également été chargées d'évaluer les risques des substances suspectées d'agir sur le système endocrinien. Le Gouvernement a d'ailleurs transmis un rapport préliminaire au Parlement au mois de mars. Les résultats définitifs de ces expertises, qui devraient être connus dans l'année, permettront d'ajuster et de compléter les actions déjà entreprises. Mieux vaut donc attendre avant de légiférer.
Interdire de façon absolue l'utilisation de ces trois catégories de molécules suppose en outre de trouver des substances de substitution qui ne présentent pas de risques pour la santé. Cela exige du temps, toute généralisation de ces substituts devant être précédée d'un examen attentif de leur balance bénéfices-risques pour les différents usages concernés.
Comme le reconnaît le rapport, l'article unique « vise, d'une manière générale, les trois catégories de substances chimiques susmentionnées sans opérer de distinction en leur sein ni en fonction des classements de toxicité établis par l'Union européenne. » Cela me paraît d'autant plus surprenant que certains produits concernés sont déjà interdits. Ainsi, l'utilisation d'un certain nombre de phtalates dans les cosmétiques est proscrite au niveau européen. Par ailleurs, en visant tous les phtalates, le texte ne prend pas en compte la spécificité des produits de santé susceptibles d'être concernés. Faut-il rappeler, enfin, que 90 % des phtalates produits en Europe sont utilisés comme plastifiants pour rendre les PVC plus souples et plus flexibles ? Il n'y a pas là de risque pour la santé.
Les parabènes sont pour leur part utilisés dans certains médicaments. Des études ont fait état d'un risque d'effets cancérigènes, mais d'autres qui sont en cours à l'initiative de l'AFSSAPS tendent pour le moment à démontrer que celui-ci n'est pas avéré. Attendons donc des conclusions définitives pour prendre éventuellement la décision d'interdire les parabènes aux doses où ils sont utilisés dans les médicaments.
Les alkylphénols, enfin, sont utilisés pour fabriquer des détergents industriels ou des émulsifiants – donc rarement mis sur le marché grand public. La réglementation européenne interdit de fait, et ce depuis plusieurs années, l'utilisation de deux d'entre eux, le nonylphénol et l'éthoxylate de nonylphénol, qui ne peuvent être utilisés à plus de 0,1 % dans de nombreux usages.
Il apparaît néanmoins « nécessaire », indique l'exposé des motifs, « de réduire l'exposition de la population à ces molécules, au nom du principe de précaution, dès aujourd'hui, sans attendre les résultats d'études à venir. » Si tel est le principe, interdisons immédiatement les produits que nous savons extrêmement dangereux et particulièrement cancérigènes, comme les cigarettes !