Vous avez tous en mémoire nos débats de l'an dernier sur la proposition de loi sénatoriale tendant à interdire la présence de bisphénol A (BPA) dans les plastiques alimentaires, proposition qui a abouti à la loi du 30 juin 2010 suspendant la fabrication et la commercialisation des biberons produits à base de BPA jusqu'à ce qu'une nouvelle expertise de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) les autorise de nouveau.
Cette initiative parlementaire, unanimement saluée, a contribué à faire évoluer le débat au niveau européen, puisqu'une nouvelle directive en date du 28 janvier 2011 a modifié la réglementation relative aux matériaux et objets en matière plastique entrant en contact avec les aliments. Tout comme la loi du 30 juin 2010, elle vise à interdire l'utilisation du BPA dans les biberons en plastique jusqu'à ce que l'on dispose de données scientifiques complémentaires confirmant les effets toxiques de cette substance – changements biochimiques dans le cerveau, effets immuno-modulateurs et prédisposition accrue aux tumeurs du sein, en particulier. Cette interdiction est effective pour tous les États membres de l'Union européenne depuis le 1er mars.
C'est à la même démarche que tend ce texte. Le BPA n'est en effet pas la seule substance chimique potentiellement dangereuse dans notre environnement quotidien : de nombreux autres composés présents dans les produits de grande consommation rendent possible une contamination par toutes sortes de voies – ingestion, inhalation ou contact cutané.
Le texte distingue trois familles de produits. Il s'agit d'abord des phtalates, qui servent essentiellement de plastifiants dans le PVC, dans les vernis, colles et laques, dans l'encre ou le caoutchouc, mais sont aussi utilisés dans l'industrie papetière, dans celles du bois et des matériaux de construction, dans l'industrie automobile, et entrent dans la composition des parfums, voire, pour certains, d'additifs, de filtres de cigarettes et même de sucettes !
Des interdictions ponctuelles – dans certains produits – et des restrictions quant à la concentration autorisée ont été décidées. Trois phtalates seront en outre interdits à partir de 2015 dans le cadre du nouveau règlement européen REACH sur les produits chimiques. Les fabricants pourront néanmoins demander des autorisations pour des usages spécifiques.
La deuxième famille de produits visée est celle des parabènes, conservateurs que l'on retrouve surtout dans les cosmétiques, mais aussi dans l'industrie alimentaire et dans les produits du tabac. Ils ne font actuellement l'objet d'aucune interdiction, mais sont au centre de la polémique. Le Danemark vient d'ailleurs d'interdire provisoirement les produits cosmétiques contenant du propylparabène et du butylparabène destinés aux enfants de moins de trois ans. Des études sur la présence de parabènes dans les médicaments sont en cours, mais la balance bénéfices-risques n'est pas la même pour les produits de santé. J'ajoute qu'il semble que pour les cosmétiques, des produits de substitution puissent être utilisés.
Enfin, les alkylphénols sont des agents surfactants qui sont les principaux agents actifs des détergents et désinfectants industriels, ménagers ou médicaux. Ils font l'objet de restrictions quant à leur concentration en raison de leur toxicité pour le milieu naturel et de leur bio-persistance dans l'environnement.
Classés CMR, c'est-à-dire cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, de catégories 1 à 3, certaines de ces substances suscitent aujourd'hui des interrogations quant à leurs effets sur notre organisme, notamment comme perturbateurs du système endocrinien. C'est la raison pour laquelle le Parlement a, dans la loi du 30 juin 2010, demandé un rapport sur le rôle de ces perturbateurs endocriniens dans le cadre des travaux de l'INSERM. Ceux-ci n'étant pas encore achevés, c'est un rapport d'étape que le Gouvernement a déposé sur le bureau des assemblées le 11 mars dernier. Il est donc difficile d'en tirer des conclusions définitives, mais il confirme la nécessité de la prudence vis-à-vis de ces substances.
La proposition de loi ne remet évidemment pas en cause le travail accompli tant par nos agences sanitaires, notamment l'ANSES et l'AFSSAPS, que par l'Agence européenne de sécurité sanitaire. Le Gouvernement a depuis longtemps chargé les premières de se pencher, chacune dans son champ de compétence, sur le rôle des perturbateurs endocriniens. Nous avons auditionné le directeur général de l'ANSES, qui nous a exposé son programme de travail en matière de recherche de nouvelles méthodologies d'évaluation des risques et d'identification des substitutions possibles. Mais le champ est vaste et les expertises exigent du temps. En outre, au niveau européen, la réactivité avec laquelle les demandes d'évaluations complémentaires sont traitées par les industriels laisse parfois à désirer. Les parabènes font ainsi l'objet de demandes d'expertise répétées depuis le début des années 2000.
Le législateur doit-il pour autant attendre, alors qu'il est tout à fait à sa portée, si ce n'est d'interdire du jour au lendemain, du moins de suspendre la production et la commercialisation des produits contenant des substances potentiellement dangereuses ?
Si l'utilisation des phtalates, parabènes et alkylphénols est bien autorisée sur le marché européen, leurs effets ne sont pas totalement connus, de même que leur interaction. L'étude de leur toxicité repose en effet encore sur la définition de doses journalières admissibles, alors que d'éventuels effets « cocktail » ou ceux de petites doses régulières restent peu étudiés.
Quant aux voies de contamination, les études sur les risques liés à l'ingestion sont désormais bien documentées et ont permis des interdictions totales ou partielles, comme celles des phtalates dans les jouets. D'autres voies restent cependant inexplorées. Nous ne disposons par exemple que de peu d'éléments sur l'inhalation des phtalates, que ce soit dans l'air ambiant ou par le biais de poussières.
L'objectif de ce texte est donc d'interdire l'utilisation de ces substances chimiques par précaution. S'il est un domaine où le principe de précaution doit s'appliquer, c'est bien en effet la santé humaine. Trop d'exemples récents montrent, hélas, que des dégâts surviennent immanquablement lorsque les précautions élémentaires ne sont pas prises en amont.
La présente proposition de loi est certes radicale dans ses effets, puisque son champ d'application couvre des familles entières de produits chimiques dans toutes leurs utilisations. Son adoption définitive en l'état susciterait de nombreuses difficultés, en particulier pour la filière plastique, dont j'ai reçu les représentants. Il faudrait donc l'affiner, afin – par exemple – de retenir non des familles de substances, mais seulement les composés les plus dangereux ou pour lesquels aucune restriction n'est prévue à l'heure actuelle. Il conviendrait sans doute également de préciser les utilisations et les produits dans lesquels ces substances devraient en priorité être interdites, et de ménager un délai permettant de mettre en oeuvre des substitutions avant son entrée en vigueur.
Je travaille en ce sens et pense resserrer le dispositif, en particulier en le concentrant sur certains parabènes présents dans les cosmétiques. J'espère pouvoir vous présenter des propositions concrètes lors de notre réunion au titre de l'article 88.
Pour l'heure, je souhaite que le débat ait lieu sur l'ensemble des substances visées dans le texte. Je ne vous proposerai donc que deux amendements de forme, et reste ouvert à toutes vos suggestions dans la perspective de l'examen en séance publique.
Mon principal objectif est que le débat ait lieu. Le ministre chargé de la santé doit nous apporter des réponses précises sur les expertises en cours et sur les actions qu'il entend mener au niveau de l'Union européenne. J'attends qu'il nous explique par exemple ce que fait la France quand le Danemark, lui, interdit certains parabènes dans les produits cosmétiques pour enfants.
Parce que ces questions importantes pour la santé de nos concitoyens méritent d'être débattues dans l'hémicycle, je vous demande de bien vouloir adopter cette proposition de loi.