Je vais y venir.
D'une part, le regroupement des gardes à vue pourrait constituer une rupture d'égalité de nos concitoyens pour l'accès au service public. En effet, le maillage territorial est l'un des principes fondamentaux qui sous-tend l'organisation de la gendarmerie nationale et lui permet d'assurer, sur le vaste territoire dont elle a la responsabilité, une égalité de traitement des justiciables, en apportant la réponse la plus immédiate aux appels d'urgence et à la commission des crimes et délits. La création de pôles de gardes à vue remettrait nécessairement en cause ce principe, et conduirait à une concentration des moyens de la gendarmerie au niveau des compagnies, voire à la fermeture de brigades territoriales, ce, au détriment des territoires ruraux et, plus largement, des territoires touristiques, auxquels je vous sais personnellement très attaché, monsieur le ministre, qui connaissent une variation très forte de population : je pense aux zones de montagne et à celles du littoral.
Pour prendre un exemple que je connais bien, celui de la Haute-Savoie et de la vallée de Chamonix, qui n'est pas la destination touristique la moins célèbre, elle ne compte pas moins de dix-sept points de garde à vue. Vous n'ignorez pas, en effet, que la proximité des services publics constitue un facteur essentiel de dynamisation des territoires, a fortiori en montagne où les problèmes de déplacement peuvent facilement devenir rédhibitoires en raison des conditions imposées par le relief et le climat. Plus encore que la distance, le temps de transport est un aspect particulièrement sensible en montagne où les trajets sont à la fois plus longs en raison du relief et plus dangereux en raison des aléas climatiques – gel, neige – ou des risques naturels.
La politique des services publics conduite par l'État est donc un outil majeur d'aménagement du territoire sur près de 25 % de la surface de notre pays occupée par les zones de montagne.
D'autre part, le regroupement des gardes à vue porterait à coup sûr atteinte à l'efficacité des effectifs des forces de l'ordre, en l'occurrence des forces de gendarmerie en zone rurale.
En effet, le temps passé à transférer la personne gardée à vue s'imputerait nécessairement sur le temps de l'audition et sur les actes de l'enquête et accroîtrait les risques d'évasion lors de ces transfèrements, ce qui obligerait peut-être, dans certains cas, à renforcer encore les escortes.
Dans un contexte budgétaire restreint et compte tenu de la volonté affichée par le Gouvernement de lutter de manière accrue contre l'insécurité, il paraît inenvisageable de mobiliser des effectifs importants de la gendarmerie pour réaliser ces transfèrements au détriment de leur mission première qui est le maintien de la sécurité, notamment dans les zones rurales et touristiques, d'autant que la gendarmerie et la police sont en train de procéder, à votre initiative, à une expérimentation dans trois régions pour transmettre 800 équivalents temps plein, je crois, de la police et de la gendarmerie auprès du ministère de la justice pour procéder aux transfèrements pénitentiaires. Comme vous le savez, j'ai une prison dans ma commune de Bonneville.
Dans le même temps, il nous faut envisager un dispositif plus juste d'indemnisation des avocats, en particulier en zones rurales et périurbaines. L'assistance d'un avocat durant la garde à vue doit être assurée de manière efficace et efficiente.
La mise en oeuvre de la réforme va entraîner des sujétions nouvelles, une disponibilité et une mobilité plus importantes des avocats. Cette nouvelle donne devra donc être prise en compte pour déterminer le montant de l'indemnité afférente à ces nouvelles missions.
Ce point est très important, monsieur le ministre. On ne peut pas calculer l'indemnité d'un avocat de la même manière dans une zone hyper-urbaine et dans une zone périurbaine ou rurale. Je sais que vous êtes très sensible à ce genre de question dans votre département et en tant qu'ancien ministre de l'aménagement du territoire. La couverture du territoire n'est pas la même dans les deux cas.
De façon plus générale, sans financement pérenne de la prise en charge du droit de plaidoirie par l'État, je crains que cette réforme ne soit qu'un leurre pour satisfaire les exigences qui nous sont imposées par les instances européennes.