Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous commençons à débattre aujourd'hui d'un texte important pour les libertés individuelles et la justice. Celle-ci est en effet censée incarner à la fois les impératifs de l'ordre public et ceux de la recherche de la vérité. Cela m'amène à développer trois idées.
Tout d'abord, je note, comme d'autres collègues sur l'ensemble des bancs, le caractère inachevé de la réforme.
Pendant de nombreux mois, les observations et propositions de l'opposition, mais aussi d'un certain nombre de collègues de la majorité, appelant à modifier les dispositions applicables se sont heurtées à une forme d'autisme de vos prédécesseurs, monsieur le garde des sceaux. Ceux-ci prétendaient que le régime appliqué en France ne contrevenait en rien aux principes de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme. Il a fallu une décision du Conseil constitutionnel s'imposant à tous les pouvoirs publics et une date limite d'adoption d'une législation nouvelle pour que nous puissions discuter d'un projet de loi sur la garde à vue.
Cette remarque préliminaire renvoie à deux constats.
Premièrement, ce projet est examiné en dehors de toute autre modification de la procédure pénale, pourtant annoncée ici même. Pour refuser toute amélioration partielle de la garde à vue, je me souviens qu'on avait opposé aux députés socialistes qu'une réforme de celle-ci était consubstantiellement liée à une réforme des autres dispositions de la procédure, laquelle, de toute évidence, ne viendra pas, en tout cas pas sous cette législature.
Deuxièmement, ses articles 1er et 2, dans le texte du Gouvernement, inscrivent la garde à vue dans le cadre des décisions et du contrôle exercé par le procureur de la République. Malgré les interprétations rassurantes qui nous sont données, celui-ci ne constitue pas, selon les standards de la justice européenne, une autorité judiciaire indépendante, autorité seule à même d'ordonner le placement sous contrainte, la prolongation de la mesure, le contrôle de son bon déroulement.
Nous ne pouvons donc que regretter que ce projet important soit marqué par l'urgence de son adoption et ne prenne qu'insuffisamment en compte son environnement solidaire, à savoir une adaptation des autres dispositions de procédure pénale et la modernisation du statut du parquet.
Deuxième idée : le dispositif proposé est en lui-même insuffisant pour garantir les droits des justiciables.
D'une part, la rédaction actuelle ne fait pas de la garde à vue une mesure de contrainte exceptionnelle puisque l'énumération à l'article 1er des objectifs poursuivis, aussi louable soit-elle, constitue plutôt une liste de motifs variés pouvant justifier la garde à vue qu'une limitation de principe à son recours.
D'autre part, l'article 11 bis relatif à la période dite « sans contrainte » pouvant précéder la garde à vue ne retient pas le principe selon laquelle toute personne invitée par la police ou par la justice peut se faire assister par un avocat.
En l'état, cette disposition introduit donc un régime sans droits pour la personne auditionnée par le policier enquêteur alors même qu'aucune durée à cette audition n'est fixée. Il conviendrait que toute personne entendue ou pouvant être mise en cause ait le droit d'être assistée d'un avocat dès qu'elle est invitée ou convoquée par toute autorité exerçant l'action publique, et que ce droit lui soit rappelé dès qu'elle est dans une telle situation. Cette seule mention suffirait à lever toute ambiguïté. Or elle n'y figure pas.
Enfin, je l'ai déjà souligné, le contrôle de la garde à vue est confié au procureur, juge par statut, et non à un véritable magistrat rendant des décisions juridictionnelles. De nombreuses voix s'élèvent pour demander que la garde à vue soit placée sous la responsabilité d'un magistrat indépendant. À cette fin, le choix devrait être fait de donner cette responsabilité au juge des libertés et de la détention, qui serait doté du pouvoir, sur saisine de la personne gardée à vue ou de son avocat, de mettre fin à tout moment à la mesure après un débat contradictoire.
Le dernier point de mon intervention porte sur la réticence de votre gouvernement à accepter la présence d'un avocat lors la garde à vue, réticence qui parasite l'adoption d'un texte cohérent avec les exigences constitutionnelles et comparable aux dispositions les plus avancées adoptées par d'autres États européens. Le Gouvernement paraît toujours douter du fait que la garde à vue encadrée soit un plus pour les citoyens. Peut-être pense-t-il que donner des droits à une personne, c'est donner l'impression à l'opinion publique de reculer en ce qui concerne la force de la répression ?
À cet égard, je ferai trois observations.
Trop souvent, l'argument du droit applicable dans d'autres pays comparables est utilisé pour diminuer les droits économiques et sociaux, et, à l'inverse, quand les ressources du droit européen valorisent les libertés individuelles, elles sont réfutées au nom d'un pouvoir souverain pour juger de ce qui est bon pour nos concitoyens et ne pas s'en laisser compter par les autres.
Pourtant, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, au Danemark, en Allemagne, l'avocat est présent tout au long de la procédure, certes sous des formes diverses et variées : présence constante en Espagne, intervention sur tous les actes en Italie, présence de droit si elle est demandée en Grande-Bretagne,…