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Intervention de Jean-Jacques Candelier

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Candelier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, aujourd'hui, en France, avoir connu la garde la vue est devenu banal. Ce qui est un acte de privation de liberté, fortement traumatisant dans bien des cas, concerne plus de 1 % de la totalité de la population française par an. À l'explosion du nombre des gardes à vue s'ajoute l'augmentation de leur durée : 74 % d'entre elles dépassent les vingt-quatre heures. À cette double dérive, s'en ajoute une troisième : des centaines de témoignages attestent chaque année de traitements dégradants et de conditions de privation de liberté inadmissibles. En garde à vue, humiliations et violences sont la règle et non l'exception.

Comment ne pas comprendre que c'est précisément le trop grand nombre de mesures qui conduisent à cette détérioration des conditions de détention ?

Face à ce constat, notre législation a subi un triple camouflet, de la part de la Convention européenne des droits de l'homme, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation.

Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche avaient pourtant alerté le Gouvernement et la majorité sur la gravité de la situation et l'incompatibilité manifeste de la procédure avec les conventions internationales. De nombreuses propositions de loi, aussi bien à l'Assemblée qu'au Sénat, avaient été déposées par les groupes d'opposition. À l'époque, elles avaient toutes été balayées sans argument par une droite arrogante, qui aujourd'hui, contrainte et forcée, est bien obligée de modifier la loi.

C'est bien la mort dans l'âme que vous modifiez la garde à vue, et ce manque d'entrain se voit dans le projet de loi que vous nous soumettez et qui a bien du mal à sortir d'une partie de ping-pong avec le Sénat.

Sur de nombreux points, en effet, ce projet n'est toujours pas conforme aux principes de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi, par exemple, l'intervention de l'avocat est réduite au strict minimum. Les interrogatoires pourront débuter avant qu'il ne soit arrivé, c'est-à-dire sans que la personne mise en cause puisse bénéficier d'un entretien préalable censé permettre d'organiser sa défense. Le procureur de la République, en charge de l'accusation, pourra décider de différer l'arrivée de l'avocat de douze heures, voire de vingt-quatre s'il le juge utile, sans qu'il lui soit nécessaire d'en rendre compte à quiconque, et sans recours pour la partie adverse.

Autant dire que ce projet de loi risque fort de ne pas avoir d'application concrète en matière de présence de l'avocat dès le début de la mesure, ce qui signifie que nous légiférons en pure perte, pour l'instant.

Tout est fait pour que les avancées timidement concédées soient immédiatement compensées par des dérogations et des restrictions nouvelles. Pire, un corps à corps serait engagé entre les avocats et les forces de sécurité et les magistrats. Ce n'est pas ma conception de la politique. Il ne faut pas opposer les personnes, les professions, mais favoriser les droits de tous les Français.

Il est très clair que le Gouvernement n'a pas l'intention de réellement renforcer les droits de la défense, de permettre une garde à vue juste et équilibrée et de faire progresser les droits de l'homme.

Autre exemple : l'avocat n'aura pas accès au dossier, il ne pourra s'entretenir avec son client qu'à la fin des interrogatoires, et c'est son adversaire dans la procédure, c'est-à-dire le procureur de la République, qui sera chargé de veiller au contrôle de la légalité de la procédure.

Ce texte ne remet pas en cause les régimes dérogatoires de garde à vue plus longues, jusqu'à quatre-vingt-seize heures, dont on a déjà montré qu'ils étaient de plus en plus utilisés. Il ne remet pas en cause non plus les gardes à vue des mineurs.

Nous n'ignorons pas que vous êtes tenus par les délais définis par le Conseil constitutionnel. Et alors ? Nous sommes là, aujourd'hui encore, pour légiférer. Eh bien légiférons !

Il ne faut pas balayer d'un revers de la main les différentes propositions que nous formulons pour mettre le projet de loi en conformité avec les exigences conventionnelles et pour garantir les droits et libertés de nos concitoyens.

Vous avez l'intention de faire voter conforme le projet pour accélérer la procédure. Je le répète, ce texte sera à nouveau déclaré inconstitutionnel ou contraire aux textes européens. La France fera à nouveau l'objet de condamnations ; nous serons à nouveau la risée des nations européennes et, une nouvelle fois, le législateur devra se pencher sur la question. Ce n'est pas faire preuve de beaucoup de respect pour la représentation nationale que de la convoquer pour entériner à la va-vite un « texte rustine ». Nos propositions permettraient de rendre le projet de loi viable, donc de faire gagner un temps précieux à tout le monde.

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