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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 5 avril 2011 à 21h30
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

…alors même que le Gouvernement est divisé et que le ministre de l'intérieur vient de dénoncer point par point ce texte que nous présente le garde des sceaux, dans un courrier au Premier ministre rendu public par une dépêche de l'agence AISG à dix-neuf heures, en préambule à nos débats. Après avoir expliqué, le 31 mars dernier, que « la police et la gendarmerie seront prêtes à mettre en oeuvre » la réforme de la garde à vue, le ministre de l'intérieur s'est repris et dit, à présent, strictement l'inverse, comme pour se prémunir, et demande qu'un autre projet de loi, un prochain texte, complète, si ce n'est défasse cette réforme.

Vous nous demandez un vote conforme, un vote bloqué, alors même – là aussi c'est une situation peu commune – que le président de la commission des lois, en préambule à nos débats, s'est livré à une démonstration implacable concernant les impasses, pour ne pas dire les mensonges, de l'étude d'impact. C'est dire si le texte qui nous est présenté est fragile et imparfait.

Nous légiférons donc tous ici en connaissance de cause. En matière de procédure pénale, parce qu'il y a des précédents, nous savons ce que peuvent être les conséquences des fragilités, des imperfections, des incertitudes et insécurités juridiques que comportent les textes que nous avons votés. Ces conséquences se nomment : procédures annulées, mis en cause relâchés, victimes dégoûtées, justice discréditée, et ce dès la garde à vue, stade initial de la procédure pénale. Le groupe socialiste assume donc pleinement sa responsabilité en disant qu'il ne fermera pas les yeux sur les défaillances de cette réforme, défaillances que vous vous obstinez à ne pas vouloir corriger.

Il y a, bien sûr, en premier lieu, la question majeure des moyens, nombre de collègues en ont parlé, je n'y reviens pas. Cependant, à mes yeux cette réforme n'est pas seulement viciée, parce qu'il faudrait des moyens supplémentaires. Elle est viciée de par sa conception même et ce n'est pas un problème d'équilibre. Le Gouvernement, comme l'a justement précisé Alain Vidalies, a conçu cette réforme à reculons, contraint et forcé, alors qu'il avait l'occasion d'en faire un levier de modernisation et de simplification de la procédure pénale et que c'est à cette seule condition qu'il était possible qu'elle reçoive l'adhésion des professionnels, magistrats, policiers, gendarmes, avocats chargés de la mettre en oeuvre.

Au lieu d'un climat d'adhésion, c'est aujourd'hui un climat de défiance qui entoure votre projet de loi.

L'Union syndicale des magistrats dénonce « une réforme dans la précipitation qui est une folie dont, nous, professionnels, allons devoir assumer les conséquences » et ajoute : « Les avocats, les magistrats, les policiers ne sont pas du tout prêts. Il y a de nombreux vides juridiques dans le projet de loi ».

Les commissaires de police redoutent que l'on « paralyse l'action des services ». Les officiers du SNOP soulignent que « l'enquête judiciaire va considérablement s'alourdir et se compliquer ». Pour Unité police, cette réforme va « accentuer les difficultés auxquelles sont déjà confrontés les policiers enquêteurs ».

Le Syndicat des avocats de France souligne que, « sans les moyens matériels appropriés et sans une refonte immédiate du statut du parquet pour le rendre indépendant, la réforme sera un échec pour les citoyens et pour la justice, dont le Gouvernement portera seul l'entière responsabilité ».

Vous avez fait un texte offshore, en dehors des réalités. Vous n'avez pas cherché à lever les inquiétudes de ceux qui seront chargés de l'appliquer, qu'ils soient avocats, magistrats ou policiers, et j'en prendrai brièvement quelques exemples.

En ce qui concerne d'abord l'aide juridictionnelle, j'ai ici les cahiers de doléances du tribunal de grande instance de Niort concernant le bureau d'aide juridictionnelle, dont je vous lis un passage :

« Du 1er janvier au 10 mars 2011, le bureau d'aide juridictionnelle de Niort a enregistré 900 dossiers contre 704 pour la même période en 2010.

« À cette date, le 10 mars 2011, il reste 1 000 dossiers d'aide juridictionnelle en attente de décision.

« Au 1er mars, une vacataire est arrivée afin de renforcer notre effectif. Celle-ci effectue l'enregistrement des demandes d'aide juridictionnelle et la notification des décisions. Toutefois, cette aide précieuse est insuffisante au vu de la charge de travail de ce service et aléatoire dans le temps puisqu'il s'agit d'un CDD.

« Le 1er septembre 2010, lors de la fusion des tribunaux de grande instance de Bressuire et de Niort, l'effectif du bureau d'aide juridictionnelle était de 2,5 ETP. Depuis cette date, le service a subi deux départs à la retraite et, aujourd'hui, l'effectif est réduit à 1,50 ETP.

« Nous ne sommes plus en mesure de faire face à la charge de travail actuelle.

« Actuellement, le service est en réelle souffrance. Nous travaillons dans l'urgence et dans des conditions de stress permanent.

« Enfin, vingt-cinq mètres linéaires d'archives sont stockées dans une armoire et un placard dans le bureau. Ces rangements sont aujourd'hui saturés, les boîtes d'archives sont désormais entassées à même le sol : la sécurité n'est plus assurée. »

Si j'évoque cette situation, c'est que, du fait de ces mille dossiers en attente, les avocats demandent le report de toutes les audiences pour lesquelles le dossier d'aide juridictionnelle de leur client n'a pas été examiné par le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal. Qu'en sera-t-il des personnes placées en garde à vue qui demanderont à se faire assister d'un avocat mais dont le dossier de demande d'aide juridictionnelle n'aura pas été examiné et dont les avocats diront qu'ils ne pourront pas assurer la défense ?

J'aurais aimé que le ministre de l'intérieur soit également ce soir au banc du Gouvernement, et que, au lieu d'adresser des lettres au Premier ministre, il soit à vos côtés pour répondre aux questions des parlementaires puisque cette réforme de la garde à vue n'arrive pas dans n'importe quel contexte.

Elle intervient en effet au terme d'une double législature qui a été profondément marquée par les dérives de la politique du chiffre, laquelle a conduit à l'augmentation de 72 % du nombre de gardes à vue, et ce en grande partie afin de faire monter artificiellement le taux d'élucidation.

Elle intervient dans un contexte d'une diminution sans précédent des moyens de la police et de la gendarmerie, qu'ils soient humains, puisque 9 564 postes ont été supprimés en trois ans, qu'en crédits de fonctionnement et d'investissement, du fait de la révision générale des politiques publiques.

Mes chers collègues, ce n'est pas hors sujet ni sans conséquence sur les conditions d'organisation et de déroulement des gardes à vue, et nous aurions aimé entendre le ministre de l'intérieur notamment sur deux éléments directement liés au déroulement des gardes à vue.

Premier élément, la réforme de la médecine légale : une circulaire interministérielle du 27 décembre a modifié son organisation pour les victimes comme pour l'examen médical des personnes placées en garde à vue. Cette nouvelle organisation alourdit considérablement la charge de travail des policiers et gendarmes en les obligeant à faire de longs déplacements. J'ai interpellé le ministre de l'intérieur sur ce sujet depuis plusieurs semaines ; je suis toujours dans l'attente de sa réponse.

Second élément que nous aurions aimé aborder : le nouveau logiciel de rédaction de procédure, initialement dénommé Ardoise, qui a été rebaptisé LRPPN2. C'est avec cet outil informatique que les policiers devront établir tous les procès-verbaux lors d'une garde à vue. Ce logiciel est en pratique totalement incompatible avec les besoins opérationnels des services, son ergonomie est dépassée, son architecture obsolète, son fonctionnement lourd et laborieux. Les officiers de police judiciaire redoutent le cocktail que va créer dans les services l'arrivée simultanée de la réforme de la garde à vue et de ce logiciel LRPPN2. Plusieurs rapports d'inspection ont été réalisés, mais nous ne savons toujours pas si le ministère de l'intérieur va prendre la seule décision qui s'impose, celle d'abandonner purement et simplement ce logiciel et d'utiliser une version adaptée de celui utilisé par la gendarmerie, beaucoup plus fonctionnel.

Lors de notre débat en première lecture, j'avais souligné qu'en ne touchant pas à la politique du chiffre, en ne procédant pas à une réforme d'ensemble, concernant notamment le statut du parquet, en ne garantissant pas une présence effective de l'avocat pour tous et partout au risque de créer une garde à vue à deux vitesses et de générer de profondes inégalités territoriales et sociales, en n'engageant pas la simplification concomitante de la procédure pénale et sa dématérialisation, le Gouvernement ne se donnait pas les moyens que cette réforme soit acceptée par ceux qui seront chargés de la mettre en oeuvre. J'avais pointé du doigt le risque que les policiers et gendarmes soient découragés, démotivés. Ces mises en garde n'ont pas été entendues.

Il y avait pourtant des changements simples à engager, qui n'auraient pas coûté le moindre euro et qui auraient même permis de faire des économies, je pense en particulier à la réduction du nombre de procès-verbaux. Cela aurait permis de créer les conditions d'une adhésion des personnels à cette réforme.

Le problème, en effet, n'est pas la présence de l'avocat en garde à vue, celle-ci étant incontournable et tous ceux qui prétendront le contraire à cette tribune sont des marchands d'illusions. Le problème, c'est que ce texte ne s'accompagne d'aucune amélioration, d'aucune simplification qui aurait permis de mettre fin à un certain formalisme administratif archaïque et fastidieux.

Toute réforme, c'est vrai, comporte sa part de risque, et il faut parfois avoir le courage de l'assumer, quitte à corriger et à réajuster un texte ensuite, mais votre réforme, monsieur le ministre, ce texte sur lequel vous nous demandez un vote bloqué, ne comporte pas seulement une part de risque, elle organise une mise en danger de la procédure pénale car ce projet de loi est tout entier caractérisé par l'insécurité juridique, avec toutes les conséquences que nous pouvons redouter. C'est pourquoi le groupe SRC votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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