Entre la démagogie et l'angélisme, il faudrait un peu de raison. Sur des questions aussi sensibles, rien ne serait pire que de créer des illusions.
La « taxe poissons » est plus que nécessaire, elle est indispensable aux pêcheurs qui sont dans une situation véritablement dramatique. Mais elle n'est pas eurocompatible et deux procédures ont été engagées contre elle. Je le dis et je le répète : je suis un homme de dialogue, mais je me refuse catégoriquement à prendre des mesures qui ne soient pas eurocompatibles. Les centaines d'heures de travail consacrées depuis des mois à réunir tous les acteurs de la filière pour imaginer une solution alternative et garantir à l'euro près la même ressource aux pêcheurs sont la conséquence de décisions qui ont mis en place des dispositifs qui n'étaient pas valables. Je ne ferai pas la même erreur que mes prédécesseurs. C'est moi qui ai dû me « frotter » aux maraîchers en colère parce que des générations de ministres avant moi leur avaient accordé des aides illégales en pensant qu'elles passeraient inaperçues. Eh bien, arrive le jour où il faut passer à la caisse. Quand la Commission européenne réclame 500 millions d'euros, il faut payer, sinon, l'amende est de 80 millions d'euros par semaine.
Or, la proposition de loi que vous examinez n'est pas eurocompatible. Pourquoi ? Parce que nous serions les seuls à pratiquer une exonération sur le travail permanent. D'autres pays exonèrent le travail occasionnel, comme nous l'avons fait en faveur des travailleurs occasionnels et des demandeurs d'emploi, car la Commission accepte les régimes dérogatoires pourvu qu'ils luttent contre le travail illégal. Si nous options pour une exonération totale du travail permanent dans l'agriculture, il s'agirait d'une aide d'État caractérisée et elle serait sanctionnée comme telle, car il ne s'écoulerait pas plus d'une semaine avant que tous nos voisins nous dénoncent. Et il n'y aura pas de transfert massif du travail permanent vers le travail occasionnel pour la bonne raison qu'il est une nécessité pour la viticulture et la production de fruits et légumes.
Dernier point sur l'aide d'État. Toutes les aides au fonctionnement d'un secteur particulier de l'économie sont interdites. Une aide spécifique peut être acceptée sous réserve qu'elle porte sur l'ensemble de la filière, et pas seulement sur l'agriculture. Enfin, nous créerions une distorsion de concurrence vis-à-vis d'autres pays, ceux où le coût du travail est plus élevé, comme les Pays-Bas, qui attaqueraient aussitôt ce dispositif et nous devrions rembourser. Voilà pourquoi je refuse de m'engager dans cette voie même si je comprends parfaitement l'ambition de Jean Dionis du Séjour. Les producteurs de fruits et légumes ont déjà payé.
D'après André Chassaigne, dont je regrette qu'il ne soit plus là, l'abaissement des cotisations sociales dans l'économie n'aurait pas eu d'effet sur la création d'emplois. Les bras m'en tombent qu'un élu responsable puisse proférer une pareille contre-vérité ! La Cour des comptes elle-même, dont le premier président peut difficilement être soupçonné d'être proche de la majorité, a écrit noir sur blanc que la remise en cause des allégements de charges sur les bas salaires aboutirait à la suppression de 700 000 à 800 000 emplois.
Je suis en revanche entièrement d'accord avec Catherine Coutelle et Jean Gaubert qui ont fait valoir que le coût du travail n'était pas le seul paramètre de la compétitivité. Il y a aussi l'innovation, l'organisation des filières, la capacité à prendre des parts de marché à l'exportation. Pourquoi le plus grand abattoir de porcs en France est-il moins compétitif que celui du Danemark ? Tout simplement parce que, du premier, il ressort des carcasses là où le second produit des barquettes étiquetées contenant un produit transformé bien valorisé. Et j'ai demandé un audit des abattoirs parce que je sais que la compétitivité se joue à chaque étape de la filière, et pas seulement dans les exploitations. L'industrie agroalimentaire aussi a des efforts à faire.
Pour conclure de manière constructive, il y a trois points sur lesquels nous pouvons tomber d'accord. Premièrement, chercher une solution immédiate pour alléger le coût du travail permanent dans l'agriculture. Je suggère que Jean Dionis du Séjour, Charles de Courson et Bernard Reynès qui doit me remettre son rapport travaillent ensemble à une proposition car ils ont déjà creusé la question. Le Gouvernement les soutiendra, et je mettrai tout mon poids dans la balance. Les arguments qu'ils avancent ont suffisamment de poids pour être entendus. Deuxièmement, l'échéance de 2012 devra être l'occasion d'un débat sur le financement de la protection sociale et l'asseoir sur le travail n'est certainement pas le bon choix. En tout état de cause, c'est un débat politique de fond qui mérite d'être lancé. Troisièmement, je répète mon engagement d'Européen convaincu en faveur d'une harmonisation sociale. Si nous voulons sortir l'Europe de l'ornière où elle se trouve, il faut offrir des perspectives de long terme. Je ne sous-estime pas l'extrême difficulté mais nous sommes bien arrivés à faire passer l'Europe agricole de la libéralisation totale prônée par Mme Fischer-Boel qui menait à une impasse, à la régulation à la française défendue maintenant par Dacian Cioloş. Il n'est donc pas interdit de rêver.