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Intervention de Jean Dionis du Séjour

Réunion du 30 mars 2011 à 10h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Dionis du Séjour, rapporteur :

Si je me suis engagé dans ce travail, c'est en réponse aux interpellations récurrentes des agriculteurs de mon département du Lot-et-Garonne sur les graves distorsions de concurrence auxquelles ils sont confrontés. Cette proposition de loi du groupe Nouveau centre, portée par Charles de Courson et moi-même, est issue d'un travail de dix mois et s'honore de 110 cosignataires, que je remercie. Nous avons aussi travaillé autant que possible avec Bernard Reynès, chargé par le ministre d'une mission sur le financement alternatif de la protection sociale agricole.

L'agriculture française souffre de fortes distorsions de concurrence par rapport aux autres grands pays agricoles européens. Le consensus s'est maintenant établi autour de ce diagnostic. Ces distorsions sont essentiellement liées au coût du travail, même s'il pourra être question par la suite des produits phytosanitaires, de la réglementation sur l'eau par exemple. Elles nuisent gravement à la compétitivité de notre agriculture – car il faut bien prendre conscience que la compétition la plus vive ne se fait pas avec le Chili ou le Maroc, mais avec les pays de l'Union européenne.

Dès 2005, le rapport remis par notre collègue Jacques Le Guen au Gouvernement sur l'impact de la concurrence sur l'emploi agricole dans l'Union européenne avait mis en évidence ces distorsions. Les divers dispositifs nationaux – certains pays n'appliquent pas de salaire minimum, d'autres ont des dispositifs d'allègements de charges spécifiques à l'agriculture, recourent à la main-d'oeuvre étrangère, légale ou illégale, ou encore passent des contrats de prestations de services avec les nouveaux États membres de l'Union – sont autant de facteurs de divergence des coûts salariaux agricoles.

Ainsi, en Allemagne – qui a désormais ravi à la France la position de première puissance agricole européenne – le système du détachement de travailleurs, c'est-à-dire le recours à des travailleurs des nouveaux États membres, originaires principalement de Pologne, est fréquent en agriculture. On estime qu'ils représentent 25 % de la main-d'oeuvre agricole du pays. Or, dans ce système, les cotisations sociales sont payées dans le pays d'origine. En outre, certains secteurs ne sont pas tenus à l'obligation de salaire minimum et les salaires des travailleurs étrangers sont bien inférieurs à ceux des Allemands – ayons à l'esprit que le salaire minimum brut polonais se situe entre 1,6 et 2 euros de l'heure !

En Espagne, le salaire minimum brut dans le secteur agricole est de 3,20 à 3,50 euros de l'heure et le taux de cotisations de base est de 21 %. Ce grand pays agricole applique un régime spécifique aux cotisations du secteur. En France, nous sommes à 9 euros de l'heure et à 45 % de taux de charges employeurs hors exonérations ! Le constat est glaçant. De telles distorsions menacent directement la compétitivité de notre agriculture – et ont déjà commencé à produire leurs effets. Alors que le secteur représente un de nos atouts économiques majeurs, la part de la France dans les exportations agroalimentaires mondiales a été ramenée de 6,7 % en 2000 à 5,6 % en 2008, tandis que celle de l'Allemagne passait de 5,3 à 6,6 %. En 2009, la France, traditionnellement seconde, n'était plus que le quatrième exportateur mondial, derrière les États-Unis, l'Allemagne et les Pays-Bas.

Dans le cadre de la discussion de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP), vous aviez, monsieur le ministre, insisté sur l'importance de la compétitivité de l'agriculture française et souligné le fait que l'Allemagne nous prenait des parts de marché, qu'il s'agisse du porc, du lait ou des fruits et légumes. Comment donc enrayer cette perte de compétitivité ? La cible prioritaire doit être le coût du travail, où se font le plus sentir les distorsions de concurrence. En effet, si l'harmonisation sociale et fiscale à l'échelle de l'Union reste un objectif politique majeur, elle est pour l'instant hors de portée compte tenu des écarts existants et de l'absence d'une volonté unanime des États. Le Parlement doit donc prendre l'initiative d'un allégement du coût du travail agricole. Il ne ferait ainsi que prolonger l'exonération de cotisations patronales pour les travailleurs saisonniers décidée par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, qui a permis de ramener le coût de l'heure, pour eux, à 9,43 euros de l'heure. Cette mesure représente un effort significatif de l'État, puisqu'elle lui coûte près de 170 millions supplémentaires par rapport aux dispositifs existants.

En juillet 2010, dans le cadre de la loi de modernisation, Charles de Courson et moi-même avions déjà voulu étendre ce dispositif à l'ensemble des salariés agricoles. Plusieurs de nos collègues, du Nouveau centre mais aussi des groupes UMP et socialiste, avaient voté en ce sens, mais la proposition n'avait pas été adoptée, l'excellent rapporteur Michel Raison faisant valoir qu'une mesure de cette importance ne pouvait résulter d'un simple amendement. Nous nous sommes donc mis au travail. Nous avons consulté de nombreux experts nationaux afin d'établir une étude d'impact complète, tels que le service des études de la Mutualité sociale agricole, FranceAgriMer et le Conseil national des centres d'économie rurale, le tout en restant en contact avec le ministre, à qui nous avons remis une première proposition le 18 décembre. Car il faut absolument donner à nos agriculteurs les moyens de lutter à armes égales avec leurs concurrents. Ils ne demandent rien d'autre : le reste, ils s'en chargent !

Cette exonération permettrait également, et c'est fondamental, de lutter contre la précarisation du travail agricole. Nous ne pouvons pas nous en tenir à l'exonération du seul travail saisonnier : cela provoquerait mécaniquement un transfert massif du travail permanent vers le travail saisonnier – qui a déjà commencé –, et donc un mouvement de précarisation et de perte de savoir-faire. Il faut au contraire renforcer le salariat permanent afin de favoriser la professionnalisation du secteur et la bonne transmission des entreprises d'une génération à l'autre. De nombreux exploitants choisissent en effet pour leur succéder un de leurs salariés permanents, et il ne faut pas désamorcer ce mouvement.

Le dispositif que nous proposons est calqué sur celui du 9 mars 2010, simplement étendu aux travailleurs permanents. Les cotisations exonérées sont les mêmes : assurance maladie, vieillesse, prestations familiales et accidents du travail, ainsi que certaines cotisations conventionnelles. Le barème est également identique : l'exonération est totale pour un salaire mensuel inférieur ou égal à 2,5 SMIC et dégressive ensuite jusqu'à 3 SMIC, puis disparaît au-delà. Dès lors, si le dispositif du 9 mars était compatible avec le droit européen, le nôtre l'est aussi.

Sur ce point, je rappelle que la politique sociale est une compétence partagée entre l'Union et ses États membres. La Cour de justice de l'Union a jugé que, dès lors que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale, il leur appartient, en l'absence d'une harmonisation au niveau communautaire – et l'on en est loin en matière agricole – d'aménager leurs régimes de sécurité sociale, et notamment le niveau des cotisations. C'est l'arrêt Blanckaert du 8 septembre 2005. En outre, puisque l'exonération que nous proposons bénéficie à tous les employeurs, elle n'introduit pas de distorsions de concurrence entre les entreprises du secteur. Un dispositif concentré sur les filières intensives en main-d'oeuvre ne ma paraît à cet égard pas être une bonne piste.

Enfin, et au-delà du débat juridique, la France est tout simplement la victime de distorsions concurrentielles graves, qui résultent de mesures nationales toutes plus ou moins contestables. La compétence des États membres en matière de financement de la protection sociale étant affirmée dans le droit européen, dans les traités et dans la jurisprudence, il est légitime pour la France d'entreprendre une action nationale pour se défendre.

Pour financer cette mesure, nous avons pleinement pris en compte la nécessité de réduction des déficits publics – faites confiance à Charles de Courson pour cela ! Le coût de l'exonération, évalué à 1 milliard, sera entièrement compensé par une « contribution en faveur de la compétitivité durable de l'agriculture » portant sur les ventes au détail de produits alimentaires à base de produits de l'agriculture et de l'élevage. Considérant les déséquilibres persistants entre producteurs et distributeurs au sein de la filière alimentaire, il nous a en effet semblé légitime de faire participer l'aval au soutien de l'amont. C'est ce qui se passe dans d'autres secteurs, comme celui des télécoms.

Là encore, nous n'avons rien inventé : nous n'avons fait qu'étendre un outil fiscal que vous connaissez bien, la « taxe poissons », autrement dit la contribution pour une pêche durable adoptée par le Parlement dans la loi de finances rectificative du 25 décembre 2007 – et probablement bien étudiée pour ce qui est de l'eurocompatibilité. Nous avons voulu une assiette très large et un taux réduit. L'assiette, constituée des produits frais et des produits agroalimentaires, représente 100 milliards si l'on exonère les petits commerçants. Un taux de 1 % permet donc d'équilibrer la dépense. Cette taxe aura un impact à la fois en amont, avec une pression sur les prix d'achat des produits agricoles, sur les distributeurs, qui devront réduire leurs marges et enfin en aval, par sa répercussion sur les prix de vente des produits concernés. Mais avec un taux global de 1 %, les conséquences pour les producteurs et les consommateurs resteront restreintes. Enfin, les entreprises au chiffre d'affaires inférieur à 777 000 euros seront exonérées, pour ne pas pénaliser les petits distributeurs et commerçants.

Cette démarche s'inscrit dans le cadre général du débat sur le financement de notre protection sociale. Il est urgent de repenser notre mode de financement. Il l'est encore plus de trouver une solution aux problèmes du secteur agricole, qui pourra peut-être être généralisée par la suite.

En tout cas, il est urgent de nous départir d'une certaine naïveté française, qui dure depuis longtemps – j'en parlais déjà avec les prédécesseurs de M. Le Maire. Notre agriculture est bel et bien en danger structurellement, malgré des embellies conjoncturelles comme celles dont profite en ce moment le marché des céréales. L'exonération des cotisations sur le travail saisonnier était un bon début. Renoncer à poursuivre serait se condamner à court terme à l'abandonner, parce que le travail saisonnier ne pourra pas rester exonéré durablement de manière isolée. Renoncer serait s'enfermer dans une naïveté coupable et complice. Ayons l'audace de faire un geste fort pour redonner de la visibilité à ce secteur clé de notre économie.

Monsieur le ministre, j'ai apprécié vos prises de positions récentes, notamment au congrès de la FNSEA. Je crois parler au nom des 112 cosignataires en disant que l'essentiel, pour nous, est l'exonération des charges pour les travailleurs permanents de l'agriculture. Si vous avez trouvé une meilleure assiette de financement, nous sommes ouverts à la discussion. L'essentiel est de faire en urgence un geste significatif envers nos agriculteurs.

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