Aujourd'hui, la Méditerranée est devenue un lac, qui concentre à lui seul tous les défis internationaux que nous devons relever.
Pendant des décennies, notre politique étrangère a été rivée sur la ligne bleue des Vosges, puis la ligne Oder-Neisse, plus à l'Est. La chute du mur de Berlin a rebattu les cartes et la fin du monde bipolaire nous a donné le monde global. Nous devons en tirer toutes les conséquences car il y a urgence. Il y a urgence, car le lac méditerranéen connaît toutes les ruptures.
Rupture démographique : même si certains pays comme la Tunisie, sont entrés en transition démographique, la plupart des pays du sud de la Méditerranée connaissent des augmentations de population qui rendent tout développement très difficile. En 1995, la population de l'Égypte augmentait d'un million de personnes par an. Aujourd'hui, c'est 1,3 million par an, d'où l'émigration, un défi majeur pour la France et l'Europe.
Rupture économique, car le poids des hommes et la crise internationale fragilisent des économies qui ont développé des industries touristiques aujourd'hui frappées de plein fouet.
Rupture politique, car des conflits demeurent sans solution et empoisonnent les relations entre le Nord et le Sud, et, au premier chef, le conflit du Proche-Orient.
Certes, une vague d'espoir et d'aspiration démocratique gagne tout le monde arabe et peut le transformer, mais l'immensité des questions à résoudre demeure et nous oblige à rester très prudents et sans illusion. Alors, que faire ?
La Méditerranée, le Maghreb, le Machrek et, au-delà, l'Afrique doivent être la priorité de nos priorités en matière de politique étrangère. L'Afrique, la Méditerranée avant l'Afghanistan, telle doit être notre politique.
Comment agir ? Le lancement de l'Union pour la Méditerranée, l'UPM, a suscité des espoirs légitimes, mais son insertion dans une mécanique multilatérale et, de surcroît, européenne a grandement hypothéqué l'action et l'efficacité de cette organisation, dont l'échec est programmé.
Il y a en effet un piège structurel dans l'action multilatérale. Non seulement le multilatéral est la diplomatie des paresseux, mais, en raison de sa lourdeur propre, il ne peut fonctionner que si toutes les composantes s'acceptent et coopèrent. Tel n'est bien sûr pas le cas dans le bassin méditerranéen, pour des raisons évidentes qui tiennent au conflit du Proche-Orient mais pas seulement. Cela me rappelle ce que disait l'un de nos aînés en politique, Michel Péricard : quand tu choisis ton suppléant ou ta suppléante, tu adjoins à tes ennemis les siens. En Méditerranée, il y en a beaucoup.
Nous devons en tirer toutes les conséquences et privilégier l'action bilatérale. L'heure doit être au multibilatéral. La France entretient de bonnes relations avec tous les États de la Méditerranée. C'est sur ce capital qu'elle doit agir, en recentrant ses moyens, ses crédits de coopération en actions bilatérales. Elle y gagnera en efficacité, en rapidité de décision et, surtout, en lisibilité politique. La France ne doit pas disparaître dans l'anonymat du multilatéral, il en va de son influence.
Je souhaite terminer sur un point que j'estime majeur. Le tropisme linguistique monomaniaque vers le globish anglo-américain réducteur est une faute. La France a eu de très grands connaisseurs du monde arabo-musulman comme Maxime Rodinson, Jacques Berque, Louis Massignon. Elle a encore des universités à Beyrouth, voire au Caire. Nous devons réinvestir intellectuellement dans le monde arabo-musulman, par l'apprentissage de la langue arabe et la connaissance de ces sociétés.
J'en appelle, monsieur le ministre, à la création d'un très grand institut universitaire méditerranéen pour instaurer un pont culturel entre les deux rives, car, « si nous voulons, autour de cette Méditerranée, accoucheuse des grandes civilisations, construire une civilisation industrielle qui ne passe pas par le modèle américain, et dans laquelle l'homme serait une fin et non un moyen, »…