Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, je voudrais, en préambule, saluer la mémoire de Jean Royer qui, réélu député onze fois consécutives, a siégé trente-neuf ans dans cet hémicycle et dont les obsèques ont eu lieu ce matin à Tours, ville dont il fut maire pendant trente-six ans. Je voulais aussi rappeler qu'il fut, comme élu local et national, un précurseur en matière de politiques d'emploi et d'insertion professionnelle.
Pas plus que Gérard Cherpion je ne reviendrai sur toutes les mesures de la loi. En commission, le 8 mars dernier, nous avons pu en faire un tour très complet ; je m'en tiendrai donc à quelques points qui continuent à faire question.
Vingt-six mois après l'accord interprofessionnel du 7 janvier 2009, quinze mois après l'adoption de la loi, quelles sont les réalisations concrètes ?
En commission, le président Méhaignerie a tenu des propos un peu désabusés, observant que les apports concrets de la loi se limitaient au déploiement des écoles de la deuxième chance, au début de regroupement des OPCA et au financement de formations pour les salariés en chômage partiel.
Je salue moi aussi la réussite des écoles de la deuxième chance et l'engagement de l'État, aux côtés des régions, pour le développement de leur réseau. Elle atteste qu'une formation en alternance couplée à un accompagnement renforcé des jeunes vers et dans l'emploi est une bonne formule.
Je voudrais souligner les difficultés d'application de l'article 37, qui stipule que les missions locales seront « évaluées dans des conditions qui sont fixées par convention avec l'État et les collectivités territoriales qui les financent ». La circulaire de la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle sur le renouvellement des conventions pluriannuelles d'objectifs n'associe nullement les collectivités ; elle est pour l'instant, il faut le dire, rejetée par l'ensemble du réseau car, pour l'évaluation et le financement des missions locales, elle ne tient compte, pour l'essentiel, que du placement en emploi et néglige le travail d'accompagnement des jeunes, qui est tout à fait nécessaire.
À propos de deuxième chance, je regrette que la loi n'ait pas mis en oeuvre une des mesures les plus novatrices de l'accord national interprofessionnel de 2009, la création d'un droit à la formation initiale différée. Voilà une mesure qui, si elle était appliquée, généraliserait le principe de la deuxième chance, transformerait radicalement la problématique de l'orientation et agirait de même sur les inégalités d'accès à la formation.
L'objectif central de la loi, qui était d'améliorer l'accès des moins qualifiés à la formation continue, a donné lieu à la création du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. Ce fonds, que les partenaires sociaux ont su mettre en place très rapidement, a permis, dès 2010, un doublement de l'effort de péréquation entre les OPCA. Il reste que c'est seulement dans quelques années que nous pourrons évaluer dans quelle mesure il aura permis de réorienter les fonds vers les demandeurs d'emploi et les salariés les plus fragiles.
À court terme, c'est sa gouvernance qui doit être clarifiée. Qui décide dans le cadre du Fonds paritaire ? Le Gouvernement ou les partenaires sociaux ? La ponction autoritaire de 300 millions d'euros opérée dès la première année du fonds pour financer des dépenses de l'État, alors que nous pouvions, au contraire, espérer un abondement de la part de l'État, semble malheureusement donner la réponse à cette question. Cette ponction va à l'encontre de la volonté explicite du législateur, puisque nous avions approuvé, tous groupes confondus, l'amendement du rapporteur du Sénat, Jean-Claude Carle, qui s'efforçait d'interdire de telles pratiques. Les partenaires sociaux, quant à eux, ont réagi en proposant, pour 2011, un taux réduit à 10 % de prélèvement sur la collecte des OPCA au bénéfice du fonds, ce qui hypothéquera son développement. Madame la ministre, pourriez-vous nous rassurer et nous garantir qu'une telle ponction ne se reproduira pas ?
Un autre débat porte sur les rôles respectifs des organisations patronales dites « interprofessionnelles » et de celles dites « hors champ ». Est-il normal que des activités représentant 20 % des salariés soient écartées de cette gouvernance alors qu'elles contribuent au fonds ?
La question qui reste posée est celle, plus générale, de la représentativité patronale, que le Gouvernement ne semble pas pressé de régler.
Pour conclure sur le Fonds paritaire, je citerai M. Pierre Ferracci, président de la commission quadripartite qui a préparé la négociation collective. Il émet un jugement pour le moins réservé : « Les règles de fonctionnement du fonds ne sont pas claires, notamment dans le rôle que l'État est appelé à jouer. » Il juge en outre que, « en créant un échelon national supplémentaire, on a rajouté un effet centralisateur et globalement dominé par la règle administrative ».
Plus généralement, croyez-vous, madame la ministre, que l'on puisse effectuer une « re-étatisation » sournoise de la formation professionnelle, sans l'assumer ouvertement et sans que l'État y mette des moyens financiers ? Plusieurs articles de la loi vont manifestement dans ce sens.
L'orientation constitue un autre enjeu majeur du texte, qui nous a beaucoup mobilisés lors des débats parlementaires et qui a fait consensus. Malheureusement, les bonnes intentions tardent à se concrétiser : la nomination de M. Pitte a été tardive, la mise en oeuvre opérationnelle du service dématérialisé de première information et de premier conseil n'est pas attendue avant l'été 2011 et le ministère de l'éducation bloque le décret sur la labellisation. Les grandes questions restent ouvertes : le but de la démarche de labellisation est-il seulement de vérifier la compétence des organismes d'orientation, ou d'aller vers la mise en place d'un réseau national de « lieux uniques » ? Quelles garanties avons-nous d'une bonne couverture du territoire ? Quels seront les rôles respectifs de l'État et des régions ?
L'AFPA est le dernier grand sujet qui me tient à coeur, en raison de l'urgence. Les amendements tardifs du Gouvernement ont aggravé les difficultés plus qu'ils ne les ont réglées. Si le Conseil constitutionnel n'avait pas censuré l'article 54, c'est la Commission européenne qui aurait interdit son application. De toute façon, ce transfert du patrimoine immobilier, sans les ressources pour l'entretenir, n'aurait rien réglé.
Aujourd'hui, l'AFPA est en péril, avec 11 millions d'euros de pertes en 2010 et un découvert de 50 millions, à tel point que le comité central d'entreprise a déclenché son droit d'alerte. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour sauver l'AFPA et ses 9 200 salariés ? L'État va-t-il enfin tenir les engagements financiers qu'il a pris au titre du contrat de progrès et de l'entretien du patrimoine ? Allons-nous enfin explorer la piste du mandatement, qui permettrait de reconnaître à l'AFPA une mission d'intérêt général sur la formation au premier niveau de qualification et de lui conférer des droits spéciaux dans le respect du droit communautaire des aides publiques et de la concurrence ? Pourquoi refusez-vous de confier la gestion du patrimoine aux régions qui le demandent ?
Pour conclure, madame la ministre, je dirai que cette loi patchwork touche à tous les éléments de la formation professionnelle sans vraiment régler ni clarifier les problèmes de financement et de pilotage. L'obligation légale relève-t-elle de cotisations gérées par les partenaires sociaux ou d'une contribution fiscale qui a vocation à être progressivement reprise par l'État avec Pôle emploi comme opérateur principal ?
Quant à l'alternance et à l'insertion professionnelle des jeunes, j'ai cru comprendre que mon excellent binôme, Gérard Cherpion, allait reprendre l'ouvrage sous forme d'une proposition de loi, mais sous votre dictée, madame la ministre. Comment pensez-vous associer les régions, dont c'est encore la compétence ? Comptez-vous y traiter d'autres sujets en débat, notamment la portabilité du droit individuel à la formation, l'avenir du contrat de transition professionnelle, sa fusion avec la convention de reclassement personnalité et l'allocation de fin de formation, qui, eux, relèvent de la négociation des partenaires sociaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)