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Intervention de Jean-Louis Schilansky

Réunion du 23 mars 2011 à 10h15
Commission des affaires économiques

Jean-Louis Schilansky, président de l'Union française des industries pétrolières :

Les questions qui viennent de m'être posées traduisent bien l'intérêt de la représentation nationale et les préoccupations des Français pour le sujet qui nous occupe.

Beaucoup d'interrogations portent sur le prix du pétrole brut et les bénéfices des sociétés pétrolières. Cela me conduit à préciser le fonctionnement du marché du pétrole brut. Il faut savoir que personne ne peut le manipuler car personne ne dispose des moyens financiers suffisants pour faire monter ou descendre les prix. Trop d'opérateurs interviennent et les montants en jeu sont trop élevés pour cela. Cela dit, le marché répond, comme tous les marchés, à des anticipations et réagit aux risques courus. Aujourd'hui le prix du brut augmente parce que les marchés sont inquiets de ce qui pourrait advenir dans les pays du Moyen-Orient, notamment au Koweït, en Arabie Saoudite et au Qatar.

Nous avons entièrement compensé le défaut d'approvisionnement des 1,6 million de barils libyens par des productions provenant d'Afrique, d'Arabie Saoudite et de mer du Nord. Malgré cela, les marchés sont préoccupés par le risque que ferait courir une étincelle au Koweït, en Arabie Saoudite ou au Qatar. Nous plongerions alors dans l'inconnu.

Dans une telle situation, les acheteurs de brut sont plus demandeurs que vendeurs. Ils tiennent d'abord compte du risque de nouvelles augmentations. Et ceux qui détiennent la matière première, suivant le même raisonnement, sont réticents à vendre. Dès lors, les prix montent. La prime de risque s'élève aujourd'hui à 20 dollars le baril : nous sommes ainsi passés de 95 à 115 dollars, montant devenu à peu près stable. Mais cette stabilité est suspendue à la survenance d'un nouvel événement. Si la situation s'apaise en Libye, si l'Arabie Saoudite demeure tranquille, si l'agitation cesse au Yémen, les marchés seront rassurés, on trouvera des vendeurs sur le marché et les prix baisseront … Mais cela fait beaucoup de « si ».

Dans notre langage courant, le mot « spéculation » est souvent synonyme de « manipulation » et laisse supposer que, dans des arrières bureaux, des gens jouent à la hausse ou à la baisse. Mais il faudrait des dizaines de milliards de dollars pour faire bouger le prix du pétrole ; or, personne ne les a !

Bien sûr, certains gagnent de l'argent. Mais d'autres en perdent : ce fut le cas de ceux qui, en 2008, possédaient d'importants stocks de brut achetés à 140 dollars le baril et qui les revendirent à 40 dollars, le prix du baril ayant été divisé par trois. C'est ainsi que fonctionne un marché, il faut bien le comprendre.

Le marché pétrolier est extraordinairement difficile à réguler. Ses principaux acteurs se situent en dehors de l'Europe, en Amérique et en Asie. Les convaincre d'adopter un système de régulation relève d'une tâche particulièrement ardue…

Le prix du baril en euros s'établit de façon mécanique. On peut certes s'interroger sans fin sur la relation entre le prix du baril et le cours du dollar mais personne n'est jamais parvenu à établir une corrélation. Cela étant l'euro fort nous protège, l'euro faible nous pénalise. Jusqu'à présent, la monnaie européenne a plutôt joué un rôle d'amortisseur.

Il faut distinguer les résultats des compagnies pétrolières selon qu'elles produisent ou non du brut. Dans le premier cas, il est incontestable que l'augmentation du prix du baril améliore, automatiquement, leurs profits. Mais d'autres entreprises sont seulement des raffineurs ou des distributeurs indépendants.

Le résultat, en 2010, de la seule compagnie pétrolière française intégrée, Total, s'est élevé à 10,3 milliards d'euros, à rapprocher d'un montant d'investissements de 20 milliards, notamment dans la production, la recherche et l'exploration. Le résultat d'Exxon-Mobil est de 35 milliards de dollars, pour environ 40 milliards d'investissements.

Ces résultats proviennent, pour l'essentiel, de la production de brut. Dans tous les pays, le raffinage et le marketing, autrement dit l'aval du secteur, ne dégagent que peu de profits. En France, leur profitabilité se situe aux alentours d'un centime d'euro par litre. Dans tous les cas, il s'agit de montants infinitésimaux. Cela s'explique par la vivacité de la concurrence, notamment des grandes surfaces, et par la facilité d'accès à ces marchés.

Bien que le consommateur le perçoive différemment, il n'est pas juste de dire que la répercussion des prix à la hausse s'opère plus vite qu'à la baisse. Les réactions sur les prix sont très rapides ; or, celui qui conserverait des prix élevés par rapport à ses concurrents perdrait des ventes.

Les accusations qui circulent à ce sujet sous-entendent l'existence d'ententes. Or elles sont impossibles : le marché de la distribution des carburants est ultra concurrentiel. Chacun essaye d'optimiser son équation « prix-volume ». De plus, la DGCCRF surveille sans arrêt les pratiques commerciales. Récemment, des enquêtes ont été réalisées sur les autoroutes et ont conclu à l'absence d'ententes.

Suivant de très près le fonctionnement de ce marché, nous estimons qu'un décalage d'une dizaine de jours sépare les variations du prix du brut de celles du prix à la pompe, aussi bien à la hausse qu'à la baisse. Il n'y a pas de dissymétrie possible dans un marché aussi concurrentiel. Le prix de l'essence est le seul qui soit affiché à l'extérieur des grandes surfaces. Car il s'agit d'un produit d'appel et de la « signature-prix » du magasin. Nos prix sont publiés partout, selon une extrême transparence. Ils le sont sur plusieurs sites Internet, relevant du Gouvernement comme d'organismes privés. Essayons d'imaginer ce que provoquerait, en haut des Champs-Élysées, l'affichage du prix de l'expresso en signaux lumineux sur les devantures des cafés de Paris…

Les pétroliers peuvent-ils faire un geste en faveur du consommateur ? La question est délicate. La seule société intégrée opérant aujourd'hui en France est Total. Si, pour une raison ou pour une autre, les pouvoirs publics décidaient de lui appliquer une disposition dans ce sens, cela reviendrait à la handicaper par rapport à ses concurrentes étrangères. Car on ne peut, évidemment, agir sur les profits d'Exxon-Mobil de BP ou de Shell qui ne sont pas réalisés en France. Il faut donc mener une réflexion en profondeur sur la compétitivité de l'entreprise.

La France est, en outre, dans la même situation que les autres pays au regard du niveau des prix.

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