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Intervention de Philippe Plisson

Réunion du 24 mars 2011 à 15h00
Débat sur la question climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Plisson :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le climat de la planète a évolué au cours des siècles précédents. Il continuera de changer dans les décennies à venir. Ces changements climatiques sont aujourd'hui plus importants et plus rapides que par le passé à cause des activités des hommes et du dérèglement du cycle du carbone que l'espèce humaine a provoqué avec une accumulation de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, notamment le CO2.

Les grandes forêts du monde jouent un rôle important dans le cycle carbone. La déforestation impacte donc directement le climat mondial. La forêt primaire de nombreux pays du Sud est de plus en plus perçue comme un bien économique rapidement exploitable. Les poumons de la planète, situés en Afrique équatoriale, en Amazonie, en Sibérie ou bien encore dans le sud de l'Asie, sont en danger. Chaque jour, des arbres sont abattus. Le bois noble est alors vendu sur le marché mondial ou tout simplement brûlé afin de pouvoir étendre les exploitations agricoles intensives de soja, de canne à sucre ou d'autres cultures. Avec la disparition des précieux puits de carbone que sont les arbres, c'est aussi tout un écosystème forestier qui disparaît : une faune et une flore spécifiques bien sûr, mais aussi le plus important des réservoirs dérivés de la forêt : les détritus et réserves organiques du sol.

La France possède un important couvert forestier en milieu tempéré, en métropole, et tropical, en Guyane, avec plus de huit millions d'hectares. Nous disposons également d'une tradition forestière séculaire et notre savoir-faire en matière de gestion durable des forêts est reconnu dans le monde entier. Il nous incombe bien sûr de le transmettre aux autres pays forestiers.

La communauté internationale a décidé de renforcer les mécanismes de lutte contre la déforestation, lors de la conférence internationale sur le climat de Cancùn, à la fin de l'année dernière. Un programme de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts, dit « REDD + », a été adopté à cette occasion. Le mécanisme du partenariat semble assez simple à première vue : il consiste à attribuer des quotas correspondants à la quantité d'émissions de gaz à effet de serre évitée par un projet de reboisement ou de préservation des forêts dans les pays en voie de développement.

Les interrogations sont néanmoins nombreuses à ce jour. On ne dispose d'aucun cahier des charges précisant la nature du reboisement. Personne ne sait exactement sur quel marché ces quotas seront vendus et échangés et à quel prix. En outre, en fonction de quelle méthode seront-ils déterminés ? Enfin, aucune autorité de contrôle n'est prévue pour réguler l'achat de quotas et l'effectivité du reboisement. En résumé, la bonne idée théorique du reboisement est là, mais aucun mécanisme précis n'a, à ce jour, été adopté pour la mettre en oeuvre.

Néanmoins, les premiers crédits du partenariat REDD + ont été accordés précipitamment le 8 février dernier à un projet de reboisement au Kenya. Dit « corridor de Kasigau », ce projet est porté par l'ONG WildlifeWorksdans une zone semi-tropicale du sud-ouest de ce pays, et il est certifié par une entreprise norvégienne. Madame la ministre, à votre connaissance, y a-t-il des entreprises françaises qui travaillent actuellement sur un projet de reboisement éligible au programme REDD + ? Si c'est le cas, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quelles sont ces entreprises ?

REDD + rassemble à ce jour soixante-dix pays forestiers et donateurs et mobilise plus de quatre milliards de dollars de financement potentiel sur trois ans. La France, initiatrice du projet, et le Brésil, grand pays forestier, assurent la présidence du partenariat pour ce premier trimestre 2011. La dernière loi de finances a créé un compte d'affectation spéciale intitulé « Engagements en faveur de la forêt dans le cadre la lutte contre le changement climatique » qui permet, entre autres, de financer cette initiative REDD +.

Depuis la conférence de Copenhague de 2009 et sans attendre les résultats de la conférence de Cancùn de décembre 2010, la France s'était particulièrement engagée sur le front de la lutte contre la déforestation avec la Norvège. Des conférences ont eu lieu à Paris et Oslo en 2010. Elles ont permis de réfléchir à la mise en oeuvre des dispositions de l'accord de Copenhague relatives à la protection des forêts, avec l'instauration d'un partenariat expérimental de REDD +.

L'empressement et la précipitation de la France sur ce sujet soulèvent un certain nombre d'interrogations. Vous allez me répondre que ces deux conférences ont permis de trouver plus facilement qu'à l'ONU un consensus sur de nombreuses questions. Cependant, si une telle méthode devait à l'avenir faire jurisprudence, elle affaiblirait sûrement le processus décisionnaire de l'ONU. De plus, ce partenariat présente une grosse lacune en matière de transparence et de fonctionnement démocratique : les représentants de la société civile et des peuples autochtones concernés ne sont pas associés dans l'organisation. La France va-t-elle prochainement prendre l'initiative de corriger ces problèmes afin que les peuples directement concernés par ces programmes de protection des forêts ou de reboisement puissent logiquement faire entendre leur voix ?

Enfin, madame la ministre, reboiser et préserver l'existant, c'est bien, mais ces forêts sont souvent implantées dans des pays où la démocratie n'est pas encore totalement aboutie, où la corruption est forte, où les moyens de l'État sont faibles et où, hélas ! l'exploitation illégale des forêts et son commerce ne sont pas rares. Comment la France entend-elle s'impliquer, et par quel biais, dans la lutte contre l'exploitation illégale du bois et dans l'aide aux États qui en sont victimes? Je rappelle que l'Union Européenne vient d'adopter un règlement européen interdisant l'importation en Europe de bois illégal, auquel la France s'est longtemps opposée.

2011 est l'année internationale des forêts, aujourd'hui plus que jamais il est urgent de les protéger, de les préserver et de mener en ce sens une politique ambitieuse au niveau international. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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