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Intervention de Jean-Paul Chanteguet

Réunion du 24 mars 2011 à 15h00
Débat sur la question climatique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Chanteguet :

Monsieur le président, madame la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, mes chers collègues, le réchauffement climatique est en marche, et il est à craindre qu'il se produise plus vite que nous ne le pensions il y a quelques années.

En effet, le niveau de la mer s'élève substantiellement plus rapidement que les modèles ne le prévoyaient et la banquise ainsi que les calottes glaciaires déclinent beaucoup plus vite que prévu.

Comme le précise un article paru dans la revue Nature, les 700 milliards de tonnes de carbone qui, s'ils étaient émis au cours des quarante prochaines années, nous permettraient de rester sous la limite des 2 °C, le seront en fait, au rythme actuel, en une vingtaine d'années.

Nous devons donc passer d'un régime d'augmentation des émissions à un régime de baisse d'ici à cinq ou dix ans.

Nous le savons, il est d'autant plus urgent d'agir que l'inertie du système est grande.

Personne aujourd'hui, compte tenu des décisions prises par le Gouvernement, madame la ministre, ne pense que l'objectif des 23 % d'énergie renouvelable sera atteint.

Il n'est qu'à analyser les textes relatifs au nouveau dispositif de soutien au photovoltaïque : à la lecture de la déclaration de M. le Premier ministre, les professionnels de cette filière ont exprimé stupéfaction et incompréhension. Pour beaucoup, les dispositifs proposés sont mortifères pour la filière.

En effet, il est difficile de croire que les prévisions du Gouvernement concernant le marché 2011 et 2012 portant sur 3 000 mégawatts seront tenues, puisque celui-ci se fixe une cible annuelle de 500 mégawatts, bien inférieure aux 700 à 1 000 mégawatts demandés par les acteurs industriels et aux 800 mégawatts proposés par nos deux présidents des commissions du développement durable et des affaires économiques : Serge Grouard et Serge Poignant.

Par ailleurs, est-il utile de rappeler que la filière méthanisation est à ce jour sinistrée : on compte 30 installations en France, pour 5 000 en Allemagne. On attend toujours les décrets fixant les nouveaux tarifs d'achat d'électricité issue du biogaz ou le tarif d'injection du biogaz dans le réseau de gaz naturel. Les procédures d'autorisation sont toujours aussi lourdes et des délais de raccordement des installations toujours aussi longs : près d'un an, contre quatre à cinq mois en Allemagne.

Pour ce qui concerne l'éolien, le durcissement de la législation actée dans le texte Grenelle 2, sous la pression de votre majorité, a freiné les investisseurs : comme le remarque Arnaud Gossement, il est aujourd'hui plus facile dans notre pays de créer une centrale nucléaire qu'un parc éolien.

La plupart des projets faisant l'objet d'un recours, vous n'atteindrez pas les 500 mâts inscrits dans la loi et ce n'est pas le lancement d'un appel d'offres portant sur une puissance installée de 3 000 mégawatts en éolien offshore qui nous permettra d'atteindre les 25 000 mégawatts prévus en 2010.

Personnellement, je considère que la politique énergétique en France est une politique à contre-courant, qui regarde vers le passé et ferme la porte à l'avenir, au risque de renier les quelques avancées du Grenelle de l'Environnement. Elle vise à tuer les énergies renouvelables au profit d'autres filières jugées plus stratégiques, comme le nucléaire, les gaz de schistes ou les forages en eaux profondes.

N'est-ce pas Mme Lagarde qui, à l'occasion de sa cérémonie des voeux, le 14 janvier dernier, déclarait que l'« un des atouts de notre compétitivité économique est de disposer d'une énergie peu coûteuse. Or, partout dans le monde, l'industrie nucléaire connaît un essor rapide, des gisements de gaz et de pétrole sont régulièrement découverts, de nouvelles technologies d'exploitation mises au point » ?

Je voudrais revenir sur le débat entre nucléaire et énergies renouvelables qui agite aujourd'hui la classe politique. Il est d'actualité : le Président de la République n'a-t-il pas réuni, il y a peu, le Conseil de la politique nucléaire ? Je rappelle que le rapport de M. Roussely a été classé « secret défense ». Pour le Président de la République, en effet, le nucléaire doit faire l'objet d'un choix régalien, à l'abri du débat public, comme le prouvent d'ailleurs les décisions qu'il prend, qu'il s'agisse d'exclure ce sujet lourd des débats du Grenelle de l'environnement ou d'engager en janvier 2009 – c'est-à-dire en pleine discussion au Parlement du texte sur le Grenelle 1 – la construction, sans concertation, sans transparence, sans évaluation des besoins énergétiques, d'un deuxième EPR à Penly, en Seine-Maritime.

N'appartenant pas au club des bien-pensants, je m'inquiète et m'interroge. Je m'inquiète lorsque je constate, à l'occasion de l'accident nucléaire qui s'est produit au Japon il y a quelques jours, à la suite du tremblement de terre et du tsunami, que l'énergie nucléaire est incontrôlable et dangereuse, et que la France dispose, après les États-Unis, du deuxième plus important parc électronucléaire au monde. Je m'inquiète lorsque j'apprends que les déchets de haute activité s'accumulent et qu'ils sont, pour le moment, entreposés à La Hague, Marcoule et Cadarache, dans l'attente d'un centre de stockage profond. Je m'inquiète lorsque je découvre, dans un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que le projet de stockage géologique profond pourrait être remis en cause par les grands producteurs de déchets radioactifs, en raison de son coût estimé à 35 milliards par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Enfin, je m'interroge sur la décision de la France de développer des réacteurs de faible puissance de 100 à 300 mégawatts. S'agit-il de permettre, demain, à certaines industries ou à certains territoires de disposer de leur propre centrale nucléaire ? Allons-nous vers une dissémination nucléaire ? La question mérite d'être posée.

Alors que les Français sont très favorables aux énergies renouvelables, comme le montre une enquête commandée par l'ADEME, et alors que votre majorité est aux responsabilités depuis près de dix ans, comment expliquer que la puissance installée en éolien soit cinq fois plus grande en Allemagne qu'en France ? Comment expliquer que la puissance en photovoltaïque soit en Allemagne vingt et une fois celle de la France ? Comment expliquer que la France autorise à prolonger de dix ans l'exploitation de la centrale du Tricastin et s'apprête à faire de même, en 2011, pour dix autres réacteurs, sans demander aucune contrepartie, alors que l'Allemagne, qui a prolongé ses centrales en moyenne de douze ans, impose les opérateurs à hauteur de 13,8 milliards d'euros, afin de financer le développement des énergies renouvelables et la recherche dans le secteur des énergies propres ?

Même si, comme le laissent penser les propos tenus mercredi à Francfort par Angela Merkel, l'Allemagne semble revenir sur son choix de ne plus sortir du nucléaire, elle a fait du développement des énergies renouvelables un axe majeur de sa politique énergétique et industrielle en prévoyant d'atteindre 60 % de renouvelables dans sa consommation d'énergie en 2050. Grâce à ce choix, 200 000 emplois ont été créés, les industriels allemands de la filière éolienne disposent aujourd'hui d'une avance considérable qui leur assure une position dominante sur les grands marchés et les marchés émergents. Ils sont, derrière la Chine et le Japon, les troisièmes fabricants au monde de cellules photovoltaïques, et leur chiffre d'affaires approche les 15 milliards d'euros.

Vos choix en matière énergétique, madame la ministre, ne sont pas les nôtres. Aujourd'hui, dans notre pays, la production d'électricité est exclusivement dépendante du nucléaire. Cette énergie n'est pas durable et sa place doit être réduite, mais cela exige une volonté politique affirmée et des engagements budgétaires forts dans deux directions. En effet, la survalorisation du nucléaire a conduit à une consommation structurelle unique au monde : nous devons donc donner la priorité à la sobriété et à l'efficacité énergétique et investir massivement dans les énergies renouvelables, dont le potentiel est considérable. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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