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Intervention de Didier Quentin

Réunion du 23 mars 2011 à 15h00
Statut général des fonctionnaires de polynésie française — Discussion d'une proposition de loi organique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi organique dont nous sommes saisis est issue d'un texte déposé par MM. Louis-Constant Fleming et Michel Magras, respectivement sénateurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, proposition de loi qui a été adoptée par le Sénat en première lecture le 14 février 2011.

Ce texte se propose d'approuver quatre accords de nature fiscale entre l'État et des collectivités territoriales d'outre-mer relevant de l'article 74 de la Constitution : une convention entre l'État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscale ; et trois accords conclus entre l'État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Polynésie française et de Saint-Barthélemy, concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.

Nous devons, dans un premier temps, nous intéresser aux questions de forme, nous demander pourquoi il est nécessaire de conclure des accords fiscaux avec des collectivités d'outre-mer et de les approuver par la loi organique, avant, dans un second temps, de nous pencher sur le contenu de ces accords et sur les enjeux qu'ils soulèvent.

Du fait de leur accession au statut de collectivité d'outre-mer en 2007, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont obtenu une compétence fiscale générale. Ainsi, comme les autres collectivités, elles ont mis en place des régimes fiscaux distincts de celui en vigueur en métropole : les grandes lignes en sont présentées en annexe du rapport de la commission des lois. Aussi se trouvent-elles, au regard du droit fiscal, dans une situation comparable à celle des pays étrangers. C'est pourquoi l'État a été amené à négocier avec ces territoires des accords qui s'apparentent, dans leur contenu sinon dans leur statut, aux conventions fiscales internationales. Ces traités internationaux s'attachent en particulier à définir la notion de résident fiscal de la collectivité concernée, mais également à édicter des règles permettant d'éviter les doubles impositions et d'organiser les échanges de renseignements pour prévenir l'évasion et la fraude fiscales.

Par ailleurs, les dispositions relatives à l'entraide administrative au sein de la convention fiscale de 1957 entre l'État et la Polynésie française nécessitaient d'être complétées, car elles ne prévoient actuellement des échanges d'information que pour les impositions relatives aux revenus de capitaux mobiliers.

Cette situation n'est pas nouvelle, mais l'article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM, a permis de relancer les négociations en prévoyant que le bénéfice de l'ensemble des dispositifs de défiscalisation spécifiques à l'outre-mer serait subordonné à la qualité des échanges de renseignements entre l'État et les collectivités d'outre-mer concernées à compter du 1er janvier 2010.

Ensuite, pourquoi recourir à la loi organique pour approuver ces accords ? Le Conseil constitutionnel a été amené à préciser, dans ses deux décisions sur la constitutionnalité des deux lois organiques du 25 janvier 2010, que ces conventions fiscales devraient être approuvées par une loi organique dans la mesure où le texte affecte l'exercice des compétences transférées à cette collectivité par le législateur organique.

En ce qui concerne le contenu, j'observerai simplement que l'ensemble des dispositions de la convention et des trois accords est largement inspiré du modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune adopté par l'OCDE, en y intégrant les modifications que la France souhaite traditionnellement apporter lorsqu'elle négocie des accords fiscaux avec des pays étrangers.

Si l'on s'intéresse à l'esprit et aux particularités de chacun de ces accords, il convient de remarquer qu'ils relèvent de deux catégories distinctes.

La convention fiscale conclue avec Saint-Martin vise à éviter la double imposition des personnes et des entreprises. En effet, Saint-Martin a largement repris et adapté les impôts directs, tel que prévus par le code général des impôts. La convention définit le lieu d'imposition de chaque catégorie de revenus, afin que le citoyen ou l'entreprise d'un pays résidant dans un territoire et percevant des revenus en provenance de l'autre territoire ne soit pas imposé deux fois.

La principale particularité de la convention fiscale réside dans les modalités d'imposition des fonctionnaires de l'État français sur le territoire de Saint-Martin. Contrairement au modèle de convention prévu par l'OCDE, le millier de fonctionnaires appartenant à la fonction publique d'État en poste à Saint-Martin – ce qui représente 6 % de la population active – sera imposable à la fois par la collectivité et par l'État, un crédit d'impôt rendant cette opération financièrement neutre pour les intéressés.

Cette modification devrait créer une moins-value fiscale pour l'État de l'ordre de deux millions d'euros par an. Ce choix n'est pas inopportun au vu des difficultés économiques et financières que connaît Saint-Martin. En application du modèle de l'OCDE, les pensions versées par l'État seront imposables comme dans un département d'outre-mer, alors que les retraites privées seront imposées dans le lieu de résidence.

Cependant, plusieurs autres adaptations ont été rendues nécessaires et, de manière plus générale, de nombreuses clauses ont été introduites afin d'éviter que ces accords fassent l'objet d'une utilisation abusive. Elles visent à déclarer la présente convention fiscale inapplicable à des structures juridiques ou des pratiques, telles que l'utilisation de prête-nom, auxquelles des contribuables mal intentionnés pourraient recourir uniquement dans le but de bénéficier des dispositions de la convention.

Au contraire de Saint-Martin, Saint-Barthélemy n'a mis en place aucun impôt direct, à l'exception de celui portant sur les plus-values immobilières. En posant le principe d'un crédit d'impôt généralisé, la loi organique du 25 janvier 2010 a rendu sans objet la conclusion d'une convention fiscale avec cette collectivité. En effet, selon l'analyse faite par la direction de la législation fiscale, une éventuelle convention pourrait conduire à devoir supprimer des prélèvements à la source effectués en métropole sur les revenus à destination des résidents de Saint-Barthélemy non imposés sur place, ce qui aboutirait à une situation de double exonération.

J'en viens maintenant aux trois accords d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui relèvent d'une logique différente. Ces accords ont pour objectif de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales en permettant à chacune des autorités fiscales concernées de demander la communication d'informations pour appliquer sa réglementation fiscale et recouvrer les créances fiscales de contribuables résidents dans une autre partie.

Ces informations peuvent être fournies d'office, comme le prévoit dans l'Union européenne la directive relative aux revenus de l'épargne, ou à la demande d'une autorité fiscale. Dans ce cadre, l'autorité fiscale doit mettre en oeuvre tous les pouvoirs dont elle dispose pour obtenir ces informations, notamment en exigeant des banques, établissements financiers ou mandataires implantés sur son territoire la communication des renseignements demandés, même si elle n'en a pas besoin pour mettre en oeuvre son système d'imposition propre.

Les clauses des trois accords soumis à votre approbation vont plus loin que celles prévues par le modèle de l'OCDE en offrant notamment la possibilité à l'État de contrôler sur place la réalité des opérations ayant ouvert droit à une défiscalisation, ainsi que de procéder à l'imposition des personnes installées à Saint-Martin et Saint-Barthélemy et fiscalement considérées comme résidentes de l'État.

Je souhaite terminer sur certains enjeux que soulèvent ces accords, notamment dans le cadre des efforts internationaux de la France – rappelés par Mme la ministre – pour la transparence et contre l'évasion et la fraude fiscales.

Tout d'abord, j'observe que les collectivités d'outre-mer sont le plus souvent laissées hors du champ d'application géographique des conventions fiscales et accords d'assistance en matière fiscale conclus par la France.

Cependant, la loi organique de 2007 a prévu l'obligation pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin, ainsi que pour Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, de participer à l'exécution des engagements de la France en matière de coopération fiscale.

Ainsi, un État ou territoire tiers pourra demander par l'intermédiaire de l'État à ces collectivités de fournir des renseignements de nature fiscale en sa possession. Pour autant, cette absence d'accord en matière d'échange international de renseignements ne signifie pas que ces collectivités puissent être considérées comme des territoires non coopératifs.

La commission des lois a adopté ce texte sans modification. En effet, s'agissant d'un texte portant approbation de conventions, comme pour les autorisations de ratification des traités internationaux, le droit d'amendement trouve difficilement matière à s'appliquer.

Pour autant, cela ne signifie pas que la commission des lois, et au-delà notre assemblée, n'est pas attentive aux enjeux soulevés par ces accords et par leur bonne application. Comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel, même en approuvant ces textes le législateur organique conservera la compétence pour prendre les mesures nécessaires si ces conventions ne permettent pas d'organiser efficacement la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales affectant aussi bien l'État que les autorités fiscales étrangères.

C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'adopter cette proposition de loi approuvant ces accords fiscaux.

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