Monsieur le président de l'Office, messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les parlementaires, nous venons, Éric Besson et moi, rendre compte devant vous de la situation au Japon, et aussi chez nous. Et je salue tous ceux qui nous apportent leur expertise en ce moment de crise, particulièrement les représentants de l'Autorité de sûreté nucléaire, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire et du Commissariat à l'énergie atomique.
Le Japon est le théâtre d'une catastrophe dont les conséquences sont loin d'être encore entièrement connues et qui suscite en France des inquiétudes auxquelles il faut répondre. Un séisme dévastateur, de magnitude 9, a été suivi d'un tsunami très meurtrier qui a porté des atteintes très sérieuses à la sécurité de certains réacteurs. Ces derniers ont supporté le tremblement de terre comme prévu, et une dizaine d'entre eux se sont arrêtés automatiquement, mais le tsunami a gravement endommagé les systèmes de refroidissement. Or un réacteur arrêté doit encore être refroidi pendant plusieurs semaines. Là où les réacteurs ont été privés d'eau, une fusion partielle du coeur s'est produite : cela concerne au moins les réacteurs n°s 1, 2 et 3 de Fukushima Daiichi. De surcroît, et c'est sans doute le point le plus important, l'enceinte du réacteur n° 2, et probablement celle du n° 3, ont également été endommagées, ce qui entraîne des rejets radioactifs continus et plus intenses s'ajoutant aux rejets volontaires décidés pour diminuer la pression dans le coeur des réacteurs. Les inquiétudes portent en outre sur une piscine contenant du combustible usé et que les autorités cherchent à remplir pour éviter que ce combustible se retrouve à nu. L'ennoyage est en effet nécessaire pour empêcher une dégradation qui provoquerait une émission directe de radioactivité dans l'environnement, d'autant que la piscine n'est pas confinée.
Dans ce contexte, entre les émissions intentionnelles destinées à réduire la pression dans les réacteurs, les émissions permanentes liées au déconfinement de certains réacteurs, et la dégradation probable du combustible usagé entreposé dans des piscines, la radioactivité dans l'environnement est devenue forte. La majorité des personnels de la centrale a été évacuée. Certains sont revenus avant d'être évacués une seconde fois. Selon les informations dont nous disposons, les conditions d'intervention sont extrêmement difficiles et les opérateurs restés sur place mettent en péril leur santé, et même leur vie. À ce stade, les rejets radioactifs sont concentrés dans un rayon de vingt kilomètres autour de la centrale et la radioactivité diminue graduellement au fur et à mesure que l'on s'en éloigne. Toutefois les rejets atmosphériques peuvent aller plus loin. Le 15 mars, les vents les ont entraînés vers Tokyo où la radioactivité a augmenté, mais sans risque sanitaire. La situation est susceptible de se dégrader à cause du déconfinement des réacteurs, de la baisse du niveau de l'eau dans les piscines de stockage du combustible usagé, et de l'incapacité d'intervenir dans laquelle les opérateurs risquent de se trouver, en dépit de leur héroïsme. On ne peut exclure que certaines opérations de refroidissement du réacteur encore confiné deviennent impossibles, avec un risque de réactions en chaîne. Une aggravation est donc encore envisageable.
Nous avons recommandé aux Français qui se trouvent là-bas de quitter Tokyo pour tout au moins gagner le sud de l'archipel. À titre préventif, des pastilles d'iode leur ont été distribuées mais il leur a été conseillé de ne rien absorber à moins d'une instruction des autorités japonaises. Toutefois, je le redis, la radioactivité mesurée à Tokyo ne présente pas de risque sanitaire.
Un mot sur le Pacifique et nos territoires d'outre-mer. La radioactivité libérée jusqu'à présent ne devrait pas avoir de conséquence sanitaire sur les territoires très éloignés. Et les premiers territoires français sont à 7 000 kilomètres du Japon. Cela étant, ces conclusions rassurantes se fondent sur la radioactivité libérée jusqu'à présent. Nous devons rester extrêmement vigilants et nous allons effectuer des mesures en permanence grâce au réseau de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), composé de 163 balises de surveillance. Il y en a une à Tahiti et les données sont disponibles sur le site de l'Institut. Celui-ci modélise aussi, et c'est indispensable compte tenu du scénario probable, l'évolution du panache radioactif afin de prévoir son déplacement. Le public en sera naturellement tenu informé tant en métropole qu'outre-mer, les Français présents à l'étranger aussi, et des dispositions seraient prises en cas de besoin.
En métropole, la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire, de 2006, nous a dotés d'outils puissants : en premier lieu, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui est une autorité administrative indépendante, sorte de gendarme du nucléaire chargé de contrôler les sites, impose aux exploitants des prescriptions qui peuvent aller jusqu'à la fermeture en cas de risque grave. Elle s'appuie sur les experts, internationalement reconnus, de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui dispose d'un budget de plus de 600 millions d'euros, qui emploie 1 600 personnes et qui mène d'importants programmes de recherche. Expert pour la France, cet institut est aussi une force de proposition et il est en mesure d'assister le Japon si ce dernier le demandait. Dans ce système transparent, le moindre incident, aussi minime soit-il, doit être systématiquement signalé à l'ASN, sans appréciation de la part de l'opérateur. C'est donc à elle d'évaluer, de définir l'importance des incidents et de les rendre publics dans des délais très courts. À elle aussi de tirer d'éventuelles conséquences en matière de sûreté. La loi de 2006 a également créé un Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, présidé par le sénateur honoraire Henri Revol ici présent et chargé d'améliorer l'information destinée au grand public. La sûreté est prise en compte dès la construction des centrales, les différents risques naturels majeurs – séisme, inondation – étant étudiés au moment de la décision d'implantation. Si le risque est réévalué à la hausse, l'ASN demande à l'exploitant de prendre des mesures pour y faire face, et ces allers-retours bénéficient à l'ensemble des équipements, comme ce fut le cas après l'incident enregistré par la centrale du Blayais au moment de la tempête de 1999. De même, l'ASN a tiré les leçons de la tempête Xynthia pour évaluer le risque de submersion marine.
La France a fait le choix du nucléaire pour des raisons d'indépendance énergétique tout autant que pour des raisons technologiques. Il s'inscrit dans une stratégie de bouquet énergétique qui s'est aujourd'hui élargi aux énergies renouvelables, l'objectif étant qu'elles fournissent 23 % de notre énergie en 2020. Cependant, l'énergie la plus sûre, il faut le rappeler dans le contexte actuel, est celle que l'on ne consomme pas. L'un des enjeux du Grenelle de l'environnement est donc de réduire notre consommation globale.
La pertinence de notre politique repose dans la durée sur une exigence absolue de sûreté. Le commissaire européen à l'énergie, M. Oettinger, a proposé des tests de résistance de toutes les centrales européennes sur une base volontaire. Un groupe de haut niveau doit se réunir en avril pour arrêter des critères et des normes qui tiennent compte de ce qui s'est passé au Japon. À la lumière de ces travaux, ainsi que le Premier ministre l'a annoncé, la France procédera en toute transparence à une évaluation de la sûreté de chaque réacteur et le résultat sera rendu public. Les prescriptions de l'ASN seront systématiquement prises en compte. Au niveau tant national qu'international, la France continuera à promouvoir les normes de sûreté les plus exigeantes car c'est la condition première de l'acceptabilité du nucléaire, en France comme partout ailleurs.