En partie. J'y reviendrai. Internet ne permettant pas la montée en charge de la vidéo, les CDN ou les diffuseurs de contenus déploient des serveurs au plus près des internautes afin de diffuser en local. En copiant le contenu provenant de l'hébergeur, ils contournent le goulot d'étranglement, puisqu'ils n'effectuent qu'une seule requête pour servir des milliers d'internautes. C'est un des pans du débat sur la net neutralité.
Au sortir du serveur d'Amazon, le plus gros site de commerce électronique, concurrent d'eBay, une latence de 100 millisecondes induit une diminution de 1 % des ventes. On peut parler d'un effet papillon : une cause minime produit un effet considérable. Au sortir du serveur de Yahoo, une latence de 400 millisecondes fait perdre 5,9 % de trafic. Quand la société Google a mis sur son site une photo en fond d'écran, elle a perdu 500 millisecondes, soit 20 % de recherches. Aussitôt qu'une vidéo met du temps à démarrer ou « bufferise », c'est-à-dire se bloque, 81 % des internautes cessent de la regarder. En revanche, une amélioration de 20 % de la performance de France Télévisions représente 10 % de revenus supplémentaires, soit plus de 360 000 euros par an. En effet, l'efficacité du site permet à l'internaute de voir plus de pages, donc plus de publicité, ce qui se traduit par des rentrées d'argent. Si un site de commerce électronique comme RueDuCommerce « saute à la figure » de l'internaute, celui-ci découvre plus de fiches-produits, donc achète davantage. Il est de plus en plus rare qu'un site tombe en panne et les éditeurs de contenu rivalisent à la milliseconde près, tant les internautes sont devenus impatients.
Un pour cent des internautes représente 20 % du trafic et 20 % des coûts des ISP ; 10 % d'entre eux consomment 60 % du trafic. En conséquence, les FAI doivent s'interroger : faut-il que les gros consommateurs paient plus cher, tandis que 40 % des internautes, qui consomment peu, acquitteraient moins de 30 euros ? À cause des coûts du dernier kilomètre d'accès, l'internaute qui verse chaque mois 30 euros TTC, soit 25 euros hors taxe, est connecté à un DSLAM (digital subscriber line access multiplexer), c'est-à-dire à un petit Data center, qui est proche de lui. Ce centre est connecté à un BAS (broadband access server), c'est-à-dire à un Data center plus important, qui regroupe plusieurs DSLAM et peut être connecté à un réseau comme Orange. La consommation mensuelle d'un internaute, qui représentait en moyenne 46 kilobitsseconde en 2008, ayant doublé une première fois en 2009 et une deuxième fois en 2010, les coûts d'un ISP sur le dernier kilomètre ne cessent d'augmenter, alors que le prix de vente reste fixe. La fibre, qui permet une économie d'échelle, peut régler une partie du problème mais elle n'est pas déployée partout.
En déplaçant ses services, un fournisseur d'accès peut économiser de l'argent et s'offrir une bouffée d'oxygène. Pour cela, il devra recourir à des sociétés qui sont toutes américaines ou chinoises. Mais en Angleterre, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, en Italie ou en Espagne, les FAI commencent à proposer un service au plus proche, comme le font SFR et Orange. Ils développent leur propre technologie et achètent du Cisco, du Varnish ou du Alcatel-Lucent pour servir en local. Ils réalisent ainsi une économie, dégagent la concurrence du réseau et permettent d'améliorer la qualité de service de l'éditeur de contenu.
En somme, l'éditeur de contenu versait de l'argent à un CDN, qui le reversait à un backbone correspondant au milieu de l'internet, qui était payé par l'ISP qui lui-même recevait 30 euros par mois de l'internaute. Or le CDN et l'ISP, qui financent tous deux, se mettent en rapport pour court-circuiter le backbone. Reste à financer le milieu de l'internet. Un éditeur de contenu comme Dailymotion calcule que, puisque le CDN est cher, il peut se connecter directement à l'ISP, ce qui réduit ses frais en permettant une meilleure qualité de service. Le FAI peut aussi imposer aux gros diffuseurs de payer un accès au réseau. Est-ce une mesure équitable ou une forme de racket ? M. de Martino répondra mieux que moi à la question. Quoi qu'il en soit, le fournisseur d'accès devient CDN et contrôle une partie du trafic, ce qui ouvre le débat de la net neutralité.